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Quand les prisons débordent, la justice halète

Le taux d’occupation des prisons est de 114 %.
  • Les peines alternatives, une piste prometteuse

Le système carcéral mauricien est confronté à un problème de surpopulation, une situation qui s’aggrave au fil des années. Me Parwaiz Modaykhan analyse cette problématique et explore les solutions potentielles, telles que les peines alternatives, pour alléger la pression exercée sur les établissements pénitentiaires.

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Les prisons mauriciennes débordent. Les chiffres sont éloquents : au 21 janvier 2025, 2 649 détenus s’entassent dans 11 établissements pénitentiaires conçus pour 2 315 personnes. Plus troublant encore, près de la moitié d’entre eux – 45,6 % exactement – attendent leur jugement derrière les barreaux. Une situation qui interpelle, alors que la courbe des incarcérations dessine une tendance préoccupante, grimpant de 2 499 détenus en 2018 à 2 797 en 2020, pour atteindre aujourd’hui 2 649 âmes.

Dans ce contexte brûlant, Me Parwaiz Modaykhan, de MC Law Offices, dissèque les failles du système et propose des solutions concrètes pour désengorger nos prisons. Son diagnostic est sans appel : bien que des progrès aient été réalisés, le système judiciaire mauricien a un besoin urgent de modernisation. « Notre justice doit évoluer vers plus d’efficacité, d’humanité et d’équité », martèle l’avocat. « Les peines alternatives, bien pensées et encadrées, pourraient être la clé pour résoudre la crise de la surpopulation carcérale, tout en préservant la sécurité de nos citoyens. »

Spécificité mauricienne

Au cœur du problème se trouve une spécificité mauricienne : le système d’accusation provisoire. Ce mécanisme, qui permet aux forces de l’ordre de maintenir une personne en détention sans inculpation formelle pendant la durée de l’enquête, soulève de sérieuses questions. « Cette pratique ne repose sur aucune base légale précise », souligne Me Modaykhan. « Elle découle plutôt d’un enchevêtrement de principes de droit commun et de prérogatives accordées à la police et au parquet. »

Les conséquences sont parfois dramatiques : des citoyens se retrouvent enfermés pendant des périodes interminables, sans avoir été formellement accusés ni jugés. Le contraste est saisissant avec le Royaume-Uni, où la Police and Criminal Evidence Act (PACE) de 1984 impose des délais stricts pour inculper ou libérer un suspect.

Face à ces dérives potentielles, Me Modaykhan esquisse les contours d’une réforme nécessaire : l’instauration de délais de détention provisoire clairement définis, un recours plus systématique à la libération sous caution pour les délits non-violents, et l’adoption d’un cadre légal inspiré du modèle britannique. « Le projet de loi PACE, porté en 2013 par l’ancien Attorney General Yatin Varma, aurait pu transformer en profondeur notre système d’accusation provisoire. Il est temps de rouvrir ce débat crucial », insiste-t-il.

Les peines alternatives apparaissent comme une autre piste prometteuse. L’avocat dessine plusieurs scénarios : travaux d’intérêt général permettant aux condamnés de se racheter auprès de la société, surveillance électronique sur le modèle écossais, ou encore amendes renforcées pour les infractions mineures. « Ces alternatives à l’incarcération ne signifient pas un laxisme judiciaire », précise-t-il. « Elles constituent, au contraire, une approche plus intelligente, favorisant la réhabilitation et réduisant les risques de récidive », estime-t-il.

Pourtant, la mise en œuvre de ces solutions se heurte à trois obstacles majeurs : l’absence d’un cadre juridique adapté, le manque de moyens pour assurer le suivi des peines alternatives, et la nécessité d’une évolution des mentalités. Selon lui, pour que les peines alternatives soient efficaces, une réforme en profondeur s’impose, tant au niveau légal qu’au niveau de la perception du public. 

Un défi crucial

La réinsertion des détenus reste également un défi crucial pour lutter contre la récidive. Me Modaykhan s’inspire des modèles scandinaves et germaniques (Norvège, Pays-Bas, Allemagne), où les prisons sont devenues de véritables centres de réhabilitation et de formation. À Maurice, des initiatives encourageantes existent déjà : formations professionnelles variées en menuiserie, couture et agriculture, projets innovants, comme l’horticulture à Petit-Verger, financés par des partenaires internationaux, et collaborations avec des ONG comme Not A Number pour la réinsertion sociale et professionnelle des anciens détenus. Mais ces efforts restent insuffisants, faute de moyens financiers et de volonté politique. 

Quant au débat sur le rétablissement de la peine capitale, abolie en 1995, Me Modaykhan est catégorique : « La peine de mort n’a jamais démontré son efficacité dissuasive. Elle est irréversible et présente un risque énorme d’erreurs judiciaires. »

Sa vision pour l’avenir de la justice mauricienne repose plutôt sur un triptyque : renforcement des enquêtes criminelles pour des poursuites plus efficaces, prévention accrue de la délinquance par l’éducation et l’insertion sociale, et peines équilibrées conjuguant sanction et réhabilitation. Un programme ambitieux pour une justice plus humaine et plus efficace.

D’ancien policier à avocat chevronné

Me Parwaiz Modaykhan est un avocat chevronné avec plus de 15 ans d’expérience en plaidoirie, acquise notamment dans le cadre de poursuites judiciaires au Royaume-Uni et à Maurice. Au sein de MC Law Offices, il représente ses clients devant diverses juridictions, y compris la Cour suprême de Maurice.

Diplômé en droit de l’université de Wolverhampton et de la BPP Law School au Royaume-Uni, il a débuté sa carrière en tant que procureur auprès du National Probation Service au Royaume-Uni, où il a dirigé une équipe de procureurs et contribué à l’élaboration de lignes directrices sur les peines.

Il a également servi dans la police à Maurice.

 

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