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Protection des oiseaux endémiques : des Kestrels et des … hommes

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Le climat change. Le comportement des oiseaux endémiques aussi. En 1980, il ne restait plus que quatre Mauritius Kestrels sur l’île. Après une possible surestimation de 600 individus en 2003, leur population est passée à 350 en 2019. Ces birds of prey habitent majoritairement sur les côtes est et ouest de Maurice. La conséquence d’un travail de conservation intensif dans les montagnes Bambous et celles de Rivière-Noire. Cette semaine, Le Dimanche/L’Hebdo vous propose une incursion dans la Vallée-de-Ferney en compagnie des biologistes-conservateurs de la Mauritius Wildlife Foundation pour observer de plus près cette espèce menacée. 

L’histoire que nous allons vous raconter est celle de Pépita et de sa tribu de crécerelles de Maurice qui vivent sur le domaine privé de 2 800 hectares à Ferney. Situé sur la côte sud-est de Maurice, ce site historique, où les premiers Hollandais se sont installés, abrite aujourd’hui l’une des dernières forêts endémiques de Maurice en dehors du Parc National, mais encore une biodiversité unique grâce à une réserve naturelle à l’initiative de La Vallée-de-Ferney Conservation Trust. Ce dernier, en collaboration avec la Mauritian Wildlife Foundation (MWF), préserve la faune et la flore endémiques présentes dans cette zone de conservation, grâce à un partenariat public-privé entre le groupe CIEL et l’Etat mauricien. Ainsi depuis 2007, plus de 25 000 plantes et environ 200 oiseaux endémiques ont été réintroduits y compris des espèces en voie de disparition telles que le Pink Pigeon, le Kestrel, l’Echo Parakeet, le Flycatcher ou le Cuckoo Shrike entre autres. 


Les biologistes de la Ferney Station

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Sion Henshaw

Il est dix heures. Une casquette vissée sur la tête et vêtu d’un t-shirt, d’un pantalon et des chaussures de randonnée, le Fauna Manager de la Mauritius Wildlife Foundation, Sion Henshaw, nous accueille à la réception de la réserve naturelle de La Vallée-de-Ferney. Après un brin de causette rapide, nous prenons place dans un pick-up de la MWF pour aller à la Ferney Station où l’équipe des Mauritius Kestrel Field Biologists est en poste. 

Après un trajet rocailleux, nous arrivons sur place. « Depuis 2012, cette station a été mise à la disposition de la MWF. Nous avons environ 10 biologistes, mauriciens et expatriés, qui y vivent six jours sur sept. Chaque matin, ils sont dans la forêt pour l’observation et la collection des données essentielles pour la conservation sur les différents projets de la MWF », explique Sion Henshaw. Et d’ajouter qu’en période de reproduction des Kestrels, les conservateurs ont à l’œil les œufs dans les nids que la MWF place dans le cadre de la conservation, dans différents lieux de la réserve naturelle de Ferney. Par ailleurs, dit-il, une partie des œufs est aussi collectée pour être ensuite envoyée à la volière de Rivière-Noire. À savoir que celle-ci est gérée par la MWF et les officiers du National Park and Conservation Service (NPCS).

« Après l’éclosion des œufs, les poussins sont élevés à la main pendant 20 à 28 jours. Et lorsqu’ils sont en état de voler, ils sont relâchés dans la partie ouest de Maurice pour relancer la population des Mauritius Kestrels dans le National Park à Rivière-Noire », renchérit-il.


La rocailleuse exploration forestière 

Sion Henshaw nous présente ensuite l’équipe de la MWF qui travaille sur les divers projets : Kestrel, Pink Pigeon et Echo Parakeet entre autres. Pour cette rocailleuse exploration dans la réserve naturelle de La Vallée-de-Ferney, nous avions à faire un trajet de plus de 5 kilomètres en altitude en compagnie de la Mauritius Kestrel Project Team : les biologistes Benoit Gaude (Français), Nathan Delmas (Français), Katiana Saleiko (Allemande) et Gonzalo Paez (Espagnol). Nous apprenons que le seul Mauricien de l’équipe est Joshua Hollandais. « Il n’est pas là aujourd’hui. C’est son anniversaire », dit Sion Henshaw dans un éclat de rire. 

Leurs équipements en main et leurs sacs dans le pick-up, les conservateurs prennent le chemin de la forêt. Après des virages et énièmes sentiers rocailleux, Sion Henshaw s’arrête brusquement au 2e nid des Kestrels. Ses jumelles en main, il sort de son véhicule. « It might be a Flycatcher up there. Common guys! », annonce-t-il à cette équipe dont il est venu faire la formation des nouveaux venus concernant la technique de conservation connue sous le nom de Tagging, dont notamment celle des bébés Kestrels dans les nids placés par la MWF à différents endroits de cette forêt.


Baguer les bébés 

Un à un, les biologistes pénètrent la dense forêt. Benoit Gaude, un seau sur les épaules, grimpe à un arbre pour atteindre le nid des Kestrels. Il donne quelques petits coups sur la boîte pour ensuite l’ouvrir tout en criant : « There are 3 in it ». Avec précaution, le biologiste français les retire un par un, tout en mettant chacun d’entre eux dans des petits sacs noirs qu’il noue avant de les plonger dans le seau. Puis il descend de l’arbre et se rend sur le spot identifié par la biologiste Allemande Katiana Saleiko afin de commencer l’exercice du Tagging. Cela fait 10 ans que Sion Henshaw travaille pour la MWF. Maîtrisant cette technique de conservation, essentielle pour la collection des données afin de restaurer la population des Mauritius Kestrels à Maurice pour les 100 prochaines années selon le souhait de la MWF, le jeune homme de 32 ans explique aux autres biologistes comment baguer avec minutie les bébés Kestrels.


Les étapes

Benoit Gaude mesure le poids du premier oiseau dans le sac noir. Ensuite, il retire l’oisillon pour vérifier ses pattes. Puis il mesure sa tête tout en passant au crible son beau plumage. Entre-temps, Katiana Saleiko lui tend un sachet, préparé au préalable, dans lequel se trouvent deux tags en plastique comportant une combinaison de couleurs spécifiques et un autre en métal avec des numéros. Un à un, Benoit les enfile aux pattes du nouveau-né, tout en les collant avec précaution. Dans son coin, Katiana note, elle, les mesures  dans un petit carnet : poids, taille des plumes, de la tête, parmi tant d’autres. Ces données sont essentielles à la conservation car elles permettront aux équipes de biologistes actuelles et futures de la MWF d’établir un suivi de la population des Kestrels présente dans la réserve naturelle de Ferney et ailleurs. Elles permettent aussi de compiler des rapports sur ces observations. Sion explique ensuite à Benoit la technique de prise d’un échantillon de sang du bébé Kestrel.


La prise de sang 

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Katiana Saleiko.

Toujours avec précaution, le biologiste tient l’oisillon dans les mains et cherche une veine en déployant tout doucement ses ailes. Après avoir appliqué de l’alcool sur cette zone, il prend l’aiguille d’une seringue que lui tend Katiana pour prélever un échantillon de sang de l’oiseau. Gonzalo Paez, lui, vient appliquer de la cicatrine sur cette même zone. Ensuite, Sion prend dans ses mains l’oiseau avec ses tags aux pattes et Benoit pèse le sac vide afin de donner à Katiana, une idée du poids du bébé Kestrel. « Since 1990, MWF records information on the Mauritius Kestrel through this tagging process.

These data help us to understand their genetics. Since labworks is very costly, we often have collaboration with Phd and other university students for deeper analysis of these data which enhance the research work on the Mauritius Kestrels carried out by the MWF. We also do monthly monitoring as well as annual reports for these birds of prey », indique Sion.  Puis, il désigne le deuxième oisillon à Nathan Delmas pour le baguer, en lui faisant respecter les mêmes principes. Et pour gagner du temps, Sion décide de baguer le 3e bébé Kestrel, tandis que Katiana continue de noter les données, Gonzalo Paez, jumelles en main, scrute les arbres au moindre cri des Kestrels adultes venus apporter à manger à leurs bébés dans le nid. « Guys, I think we missed two food passes. The Male Kestrel came with a Gecko.  The female came with a second one », dit-il. Katiana tourne la page de son carnet pour noter ces informations. Tandis que Nathan Delmas enjambe l’arbre où se trouve le nid afin d’y redéposer les oisillons.

Après avoir désinfecté et ramassé tous les équipements, la Mauritius Kestrel Team prend le sentier de sortie pour aller jusqu’au pick-up. Sion nous invite à voir un autre nid sur le chemin du retour. Sur place, nous en profitons pour faire des photos. Il va sans dire que l’équipe de MWF s’est fait un malin plaisir de nous faire grimper une pente pour aller voir ce nid perché sur un grand arbre. Si les biologistes sont agiles comme des singes pour grimper aux arbres, nous, nous avons eu le souffle coupé à mi-chemin.


L’influence du climat sur mon espèce 

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Perchée sur la branche d’un grand arbre, Pépita, la Kestrel Mauricienne, se dégourdit les pattes en un faible battement d’ailes. De taille moyenne, elle est facilement identifiable à son ventre blanc crémeux tacheté de noir. Son cou et ses ailes le sont également. Elle a la tête de couleur châtain. Autrefois elle nageait dans le bonheur. Aujourd’hui, elle a peur, car elle craint que son habitat ou que la terre elle-même disparaissent. Son ennemi juré, comme celui de beaucoup d’autres animaux : le changement climatique. 

Si ailleurs dans le monde, les signaux passent au rouge face au dérèglement climatique, Maurice n’est pas épargné par le phénomène et cela explique l’inquiétude exprimée par plusieurs jeunes Mauriciens. Inspirés par l’appel de la Suédoise Greta Thunberg qui a créé le mouvement Friday for Futures, ils se mobilisent dans la rue chaque premier vendredi du mois pour alerter le public sur ce qui nous guette si rien n’est fait pour freiner le changement climatique. Et si rien n’est fait, plusieurs espèces, à défaut de s’adapter, disparaîtront. C’est justement ce qui terrorise Pépita au plus haut point. 

« Grâce aux efforts de conservation de la Mauritian Wildlife Foundation (MWF), la population de mon espèce est aujourd’hui estimée à près de 350 crécerelles endémiques. Une prouesse si on tient compte du fait que d’autres espèces ont eu moins de chance, à l’instar du Puma Concolor Cougar qui s’est éteint en 2018 », dit Greta Thunberg tout en reprenant les grandes lignes d’une étude de conservation faite par l’équipe de conservateurs du Dr Vikash Tatayah qui est le directeur de conservation à la Mauritius Wild Life Foundation.


Des conditions environnementales les plus défavorables

Sion Henshaw nous précise pour sa part : « Ces oiseaux endémiques se nourrissent principalement des geckos, des lézards, des libellules, des souris, d’insectes et d’autres petits oiseaux comme le moineau ou le Kondé entre autres, selon les observations des biologistes en forêt ».  Et d’expliquer que lorsqu’il fait hyper chaud, surtout en période de sécheresse, les nids des Kestrels sont surchauffés causant ainsi la déshydratation des oisillons. Par ricochet, explique-t-il, cela peut entraîner leur mort : « Aussi, lorsqu’il fait chaud, les geckos qui sont leur principale source de nourriture ne sortent pas de leur cachette. Ainsi les Kestrels adultes n’ont pas à manger, ni pour eux ni pour leurs bébés ». 

Le Fauna Manager de la MWF indique aussi que les catastrophes naturelles, dont, notamment les cyclones, ont un impact direct sur la conservation de cette espèce menacée ainsi que sur l’écosystème dans lequel elle évolue. L’occurrence et l’intensité des pluies ont également une influence considérable sur l’écologie et la vie des crécerelles à Maurice depuis ces 40 dernières années. C’est ainsi que ces « Birds of Prey » se retrouvent encore dans des conditions environnementales extrêmement défavorables. D’où l’importance des recherches futures pour explorer l’impact de ce nouveau contexte expérimental sur la viabilité de cette population en danger, dit-il. Sion Henshaw en profite pour lancer un appel aux jeunes Mauriciens aspirant à être biologistes : que ceux qui souhaitent travailler sur les différents projets de la MWF les contactent !

 

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