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Polémiques : la conduite des hommes politiques remise en question

Dans un laps de temps restreint, deux hommes politiques ont eu un comportement public vivement critiqué. L’occasion de relancer le débat sur la conduite de nos politiques et le niveau des candidats choisis par les leaders pour les élections.

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Au cours de cette semaine, le député du Muvman Liberater (ML) et Deputy Chief Whip, Ravi Rutnah, a traité une journaliste de « femel lisien » lors d’un congrès de son parti. Des propos promptement condamnés qui ont poussé Ravi Rutnah à les retirer en direct sur les ondes de Radio Plus. Quelques jours auparavant, c’est le vice-Premier ministre, Showkutally Soodhun, qui était au cœur de la polémique pour avoir expulsé une femme d’une réunion car elle exigeait de lui que son discours soit plus à-propos.

Ces dérapages verbaux ont mis le comportement de nos élus au centre de l’attention du public. Est-ce le signe d’une érosion en termes de qualité dans les rangs de nos hommes politiques ? Doit-on introduire un code de conduite pour les parlementaires ? Faut-il pouvoir sanctionner ces écarts d’une manière ou d’une autre ? Le Défi Plus a posé la question à plusieurs acteurs et observateurs politiques.

Kavi Ramano, député qui siège en indépendant au Parlement, semble sceptique quant à l’efficacité d’un code de conduite imposé aux parlementaires. Le problème, ce sont plutôt les personnes qui font de la politique, explique-t-il. « Je ne pense pas qu’il faut un code de conduite pour qu’un être humain ait des principes moraux, familiaux et sociaux. Il faut avoir un minimum de comportement en société. »

Pour Kavi Ramano, il s’agit davantage d’une question de respect de son prochain et du sens des responsabilités dans ses propos. « Ce que Soodhun et Rutnah ont dit n’est pas simplement répugnant, mais c’est une insulte à la condition humaine. Est-ce qu’il faut un code de conduite pour la condition humaine ? Il faut se rendre à l’évidence que c’est une poignée d’hommes politiques qui nous font honte. »

« Dévalorisation »

Selon lui, il faut toutefois éviter le piège de la généralisation. « Il ne faut pas tomber dans la fatalité et la généralisation, ni banaliser ce genre de propos. Il faut expulser ce type de personnes et dénoncer leur comportement. L’homme politique doit assumer le rôle de modèle que la population lui a donné. »

Le hic, c’est que pour cela, il faut avoir un certain niveau et c’est à la direction des partis de s’en assurer. « Je considère que c’est le rôle de la direction d’un parti de contrôler ses troupes et leur langage. Il ne faut pas penser qu’avec le pouvoir, l’arrogance peut prendre le dessus et qu’on peut se permettre de tout dire. »

Pour l’historien et chargé de cours, Jocelyn Chan Low, si un code de conduite est toujours nécessaire, même s’il n’a pas force de loi, le plus grand régulateur, c’est le citoyen. « D’un côté, vous avez ces gens qu’on appelle des roder bout qui traitent les politiciens comme des demi-dieux. De l’autre, il y a aussi une dévalorisation de la classe politique dans l’opinion publique. Le député a été démystifié. » Pour lui, cette prise de conscience collective, alliée aux réactions citoyennes, finira par faire comprendre aux élus qu’ils sont « au service du peuple et non le contraire ».

Du côté de la classe politique, Jocelyn Chan Low estime qu’il s’agit plutôt d’un problème de manque de culture et d’ignorance. « Quand Ravi Rutnah tient de tels propos, il fait preuve d’un manque de maturité et il démontre qu’il ne maîtrise pas l’art de la communication politique. C’est un problème de culture de la classe politique. » Avant les réglementations externes, les partis politiques devraient apprendre à s’auto-réglementer, dit-il. « Si votre parti ressemble à un bazar avec un député qui dit ce qu’il veut quand il veut, il est normal que vous ne puissiez contrôler vos membres. »

Michael Atchia, de Democracy Watch, estime que pour pouvoir contrôler ses membres, il faut au préalable avoir pris soin de bien les choisir. Il rejoint Kavi Ramano sur la question de la responsabilité des dirigeants de partis. « Il y a eu un mauvais choix de candidats aux dernières élections générales, comme dans tant d’autres. Pourquoi ? Parce que des considérations comme la caste, la religion, les connexions familiales et l’argent ont primé. » Ce qui aurait au contraire dû primer, selon lui, c’est la personnalité, la connaissance, le talent, l’attitude, les talents de leadership, de communication et de rassembleur, ainsi qu’un track record vérifiable.

« Par son dérapage inqualifiable et inacceptable, le député concerné s’est en fait disqualifié et en toute honneur, il doit soumettre sa démission », dit Michael Atchia. Pour éviter ce type de dérapage à l’avenir, il rappelle que Democracy Watch avait prôné dans le passé une campagne d’éducation à la démocratie sur le thème Back-to-basics. « Il faudrait pousser pour que le choix des candidats se fasse en étroite consultation avec les citoyens de chaque région, bien avant les élections », suggère-t-il. Ce qui pourrait aider à éviter d’avoir à nouveau des députés capables de tels écarts de conduite.

Misogynie, menaces de mort…un florilège d’écarts verbaux de nos élus

Si les récents incidents impliquant Showkutally Soodhun et Ravi Rutnah sont encore frais dans nos mémoires, il y a eu d’autres exemples de dérapage verbal sur plusieurs années. À commencer par les propos sur les femmes.

Nita Deerpalsing en sait quelque chose. En 2010, son propre leader, Navin Ramgoolam, l’a insultée en plein meeting du 1er-Mai, tout énervé par un micro défectueux. Le terme « P… » a été balancé à la figure de la députée qui avait tout de même défendu le comportement de son leader par la suite. La même Nita Deerpalsing a été la cible de Paul Bérenger au Parlement quand cette dernière est venue au secours de l’Attorney General d’alors, Rama Valayden. Le leader du Mouvement militant mauricien (MMM) lui a lancé : « Rod enn mari pou li marye do. » Des propos qu’il a dit regretter avoir tenus par la suite.

Outre les insultes misogynes, les insultes et autres dérapages en tous genres ont aussi fait l’actualité. Le ministre Mentor, sir Anerood Jugnauth, en mars dernier, lançait : « Mo pis ar zot. » Il réagissait aux questions des journalistes qui lui demandaient de faire des commentaires sur les propos de ses adversaires insinuant que le trafic de drogue prenait de l’essor à chaque fois qu’il était au pouvoir.

Showkutally Soodhun a connu d’autres déboires langagiers qui pourraient encore lui coûter cher. « Si mo bodyguard ti donn mwa so revolver, mo touy Xavier Duval dan Parlman. Sa em apel djihad », avait-il déclaré en juillet dernier lors des célébrations d’Eid. Une déposition de Xavier-Luc Duval pour menaces de mort pourrait lui valoir un interrogatoire au Central Criminal Investigation Department avant que le Directeur des poursuites publiques ne décide s’il faut le poursuivre ou pas.

Les dérapages évoquant des scènes de violence ont aussi eu lieu dans le passé. En 2010, Said Baichoo, candidat de l’Union nationale, alors en alliance avec le MMM, haranguait la foule d’un meeting durant la campagne électorale en clamant qu’il voulait « fer qurbani » avec le Premier ministre adjoint de l’époque, Rashid Beebeejaun.

Dr Geetanee Napal, chargée de cours à l’Université de Maurice : « C’est aux hommes politiques de donner l’exemple afin d’inspirer leur électorat »

Que vous inspirent les dérapages langagiers de certains de nos politiciens ces derniers jours ?
Le décisionnaire qui gouverne devrait faire bonne impression. L’exercice du pouvoir politique exige une certaine discipline et une intégrité morale. Le citoyen moyen s’attend à ce que tout homme politique, qu’il soit élu ou nominé, puisse exercer son jugement et son pouvoir de décision de manière rationnelle. Toute figure publique a sa réputation et son honneur à sauvegarder. Est-ce légitime que le pouvoir donne lieu à des dérapages d’expression parce que l’individu occupe un poste important ? C’est une question d’appréciation, je présume.

Est-ce une indication d’une carence en termes de qualité et de savoir-vivre dans le camp des politiques ?
Tout est sujet à interprétation. Qui dit « qualité et savoir-vivre » se réfère à l’éthique. L’intégrité publique établit un lien fort entre les aspirations et les convictions des décisionnaires de l’État et les exigences de leurs fonctions. L’exercice du pouvoir implique que l’homme politique soit à la hauteur de ses obligations.

Ces obligations sont déterminées par les attentes légales et éthiques émanant des promesses implicites qui accompagnent tout poste officiel dans un contexte public. Le comportement de l’homme politique reflète ses croyances et ses valeurs. Il doit y prêter attention afin d’éviter de nuire à sa propre réputation.

Doit-on relancer le débat sur un code de conduite à l’intention des parlementaires ?
Oui, il faut renforcer la notion d’intégrité morale et du respect si notre but est de faire bonne impression. Toute personne responsable qui gouverne reconnaîtra la nécessité d’un tel guide. C’est aux hommes politiques de donner l’exemple afin d’inspirer leur électorat. Là, les médias ont un rôle crucial à jouer.

Quel impact ce type d’incident peut-il avoir, selon vous, sur la confiance et l’estime des citoyens dans la classe politique ?
Une fois perdue, la confiance ne peut être récupérée. Nos décisions et nos actes reflètent notre intégrité morale. L’homme politique ne devrait pas se considérer au-dessus des lois et des normes d’éthique.

Serait-il une bonne idée d’introduire un système de pétition populaire blâmant la conduite indigne d’un élu jusqu’à mener à sa destitution ?
L’introduction d’un tel système aiderait à promouvoir la bonne conduite si tous les détenteurs du pouvoir y croyaient. L’exemple vient d’en haut. Toute personne qui gouverne devrait réduire la tension conflictuelle opposant ses actes et l’image qu’elle a d’elle-même.

Exemples de codes de conduite

Les codes de conduite destinés aux parlementaires et aux politiques existent à travers le monde. Si leur attention est souvent attirée par des questions fondamentales comme la déclaration des avoirs, le refus de privilèges et la séparation entre leurs intérêts personnels et l’intérêt public, le comportement des élus fait aussi partie des leurs préoccupations. Le Committee on Standards in Public Life, établi au Royaume-Uni en 1994, aborde justement la question dans son code de conduite destiné aux députés :

1. Altruisme :
Les titulaires de charges publiques devraient agir uniquement dans l'intérêt public. Ils ne devraient pas le faire pour obtenir des avantages financiers ou autres pour eux-mêmes, leur famille ou leurs amis.
2. Intégrité :
Les titulaires de charges publiques ne devraient pas contracter une obligation financière ou autre envers des personnes ou des organisations de l'extérieur qui peuvent chercher à les influencer dans l'exécution de leurs fonctions officielles.

3. Objectivité :
Les titulaires de charges publiques doivent faire des choix fondés sur le mérite dans le cadre des fonctions officielles, notamment les nominations publiques, l'octroi de contrats ou la recommandation de certaines personnes pour des récompenses et des avantages.

4. Reddition de comptes :
Les titulaires de charges publiques doivent rendre compte de leurs décisions et de leurs actes au public. Ils doivent se soumettre à tout examen approprié à leur charge.

5. Ouverture :
Les titulaires de charges publiques doivent faire preuve de la plus grande franchise possible au sujet de toutes les décisions et mesures qu'ils prennent. Ils doivent justifier leurs décisions et limiter l'information uniquement lorsque l’intérêt public général l'exige clairement.

6. Honnêteté :
Les titulaires de charges publiques ont le devoir de déclarer les intérêts personnels concernant leurs fonctions publiques et de prendre des mesures en vue de résoudre les conflits
de manière à protéger l'intérêt public.

7. Direction :
Les titulaires de charges publiques doivent promouvoir ces principes en faisant preuve de leadership et en donnant l'exemple.

Le point no 7 fait référence au principe de leadership et à l’importance pour les élus de donner l’exemple.

Sur les façons de faire respecter ces codes de conduite, plusieurs options sont possibles. « Certains systèmes d’encadrement du comportement des élus ont un statut législatif, c’est-à-dire que leur existence découle d’une loi adoptée par le Parlement local », constatent Andrée-Anne Bolduc et Pierre Noreau dans l’étude « La déontologie des élus - État des lieux et marges d’intervention ». D’autres juridictions encore, relèvent-ils, optent pour la solution du règlement interne, notamment « par le biais d’une annexe au règlement de la chambre ».

 

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