Le syndicat des pêcheurs met en garde contre la présence de poissons carnivores dans plusieurs lagons, en particulier dans l’Est et aux alentours de Mahébourg. Selon son porte-parole, ils représentent une menace pour l’écosystème marin. Le ministère de l’Économie bleue et de la Pêche explique qu’une équipe de scientifiques sera dépêchée sur place prochainement.
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Le Syndicat des pêcheurs met en garde contre la présence de poissons carnivores, en l’occurrence l’ombrine et le bar, dans les lagons de l’Est en particulier. Ces espèces, selon Judex Rampaul, le porte-parole du syndicat, constituent une sérieuse menace pour l’écosystème marin. Leur régime alimentaire carnivore ainsi que leur capacité à s’adapter à de nouveaux environnements peuvent provoquer une diminution des populations locales de poissons et de crustacés, entraînant une perte de biodiversité (voir encadré).
Pourquoi cette apparition soudaine des poissons carnassiers dans les lagons ? « Un projet d’aquaculture lancé il y a plus de deux décennies en est la cause », soutient Judex Rampaul. Il fait un bond dans le passé et évoque les années 2000, lors desquelles un opérateur avait obtenu une concession pour faire de l’aquaculture à Pointe-aux-Feuilles dans l’Est.
« Lors des réunions, nous avons appris que 2 000 ombrines et bars avaient été importés et mis dans des bassins afin de les acclimater à nos eaux avant de les introduire dans notre mer », rappelle le porte-parole du syndicat. Il explique que l’entreprise qui les avait introduits a fait faillite en 2003-04 et qu’une autre firme a repris toutes les infrastructures. Il précise que le ministère de l’Économie bleue et de la Pêche continue d’autoriser l’aquaculture.
Judex Rampaul poursuit qu’à l’époque, ils avaient signalé que ces poissons ne sont pas adaptés à nos eaux. Il souligne que de nombreuses manifestations avaient même été organisées. « Le promoteur affirmait qu’il n’y aurait aucun impact sur l’environnement, mais nous avions insisté auprès du ministère de la Pêche en disant qu’il y aurait des problèmes », fait-il ressortir.
Il ajoute qu’en 2024, alors que cela fait plus de 10 ans que le Syndicat des pêcheurs mène cette lutte, des ombrines et des bars ont pénétré les lagons. « Nous avons fait des recherches et nous avons constaté que des ombrines et des bars commencent à pénétrer le lagon. Les rapports scientifiques montrent que ces poissons ne conviennent pas à notre environnement, mais nos avertissements n’ont pas été écoutés », insiste-t-il.
« Ces 10 dernières années, nous avons remarqué que dans la région du Sud-Est, de nombreuses espèces commencent à disparaître : cordonnier, rouget, breton, sardine, petits crabes, coquillages et crevettes. Ces poissons carnivores mangent les petits poissons dès leur naissance, réduisant ainsi leur population », explique Judex Rampaul. Il est catégorique : ces poissons carnivores mangent des petits poissons d’autres espèces, mettant en danger la biodiversité déjà en déclin.
Il soulève une autre problématique : selon lui, des prédateurs naturels, tels que les dauphins, les requins et les « tazars », envahissent le lagon pour trouver de la nourriture. « Une cage de poissons compte environ 50 000 ombrines et bars. Cela attire les requins qui cherchent à manger. Ces derniers déchirent les filets et causent des dégâts. Des plongeurs sont engagés pour réparer les filets, mais quand la maison de poissons se casse, ces poissons tombent dans le lagon », détaille-t-il.
Pour lui, les autorités concernées ne font pas leur travail. « Le gouvernement n’a pas pris en considération les problèmes. Les poissons se propagent. S’ils se reproduisent dans notre environnement marin, ce sera la fin. Ils dévorent les petites espèces et les gens ont peur de plonger à cause des requins recherchant de la nourriture facile », dit-il.
Judex Rampaul revient sur l’épisode dramatique du naufrage du MV Wakashio, suite à quoi de nombreux marsouins et dauphins sont morts. « Nous n’avons toujours pas de rapport », s’indigne-t-il. Il fait ressortir que les dauphins ne vivent pas dans le lagon. « Ils ont été attirés par la concentration de poissons. Nous alertons le ministère de la Pêche. Nous insistons pour qu’il prenne des mesures afin de détruire les poissons carnassiers qui menacent l’écosystème. Nous devons protéger notre mer. »
Le porte-parole du syndicat des pêcheurs indique que ces espèces carnivores ont été aperçues non seulement à Bambous-Virieux, mais également à Mahébourg et à Quatre-Sœurs, c’est-à-dire des régions où ont été aménagées des fermes aquacoles.
Au niveau du ministère de la Pêche, on rassure qu’une équipe de scientifiques sera bientôt dépêchée dans le lagon de Bambous et de Mahébourg pour des vérifications. « Ils réaliseront une étude sur l’ampleur de la présence des ombrines dans la région. Une décision sera ensuite prise », précise-t-on du côté de la cellule de communication du ministère.
Nadeem Nazurally : « Pas une menace pour l’écosystème »
Nadeem Nazurally, expert en Marine Aquaculture and Ocean Sciences, affirme que cela fait plusieurs années que la production de bar a cessé à Maurice. Ce qui, selon lui, rend incertaines les sources de ces poissons dans les lagons.
Pour ce qui est de l’ombrine, il avance qu’il est scientifiquement établi qu’elle ne peut pas se reproduire dans les eaux mauriciennes. « Les conditions nécessaires à leur reproduction, comme des températures des eaux de 29°C à 30°C ainsi qu’une forte intensité lumineuse, ne sont pas présentes toute l’année à Maurice », soutient-il.
Il explique que des études menées sur les requins ont également démontré que leur population est en baisse et qu’ils n’attaquent pas les filets de pêche comme on pourrait le croire. « Des recherches en temps réel et des observations nocturnes n’ont révélé aucune attaque de requins sur les filets. Les pêcheurs locaux capturent souvent les poissons qui s’évadent (scapies) et qui ne posent pas de danger significatif pour l’écosystème marin en raison de leur incapacité à se reproduire dans ces conditions », insiste Nadeem Nazurally.
Selon lui, bien que ces poissons carnassiers soient présents, ils ne représentent pas de menace majeure pour l’écosystème marin. « Les préoccupations au sujet de leur impact écologique sont infondées et le risque est considéré comme étant très minime », conclut-il.
Bon à savoir
L’ombrine, de son nom scientifique « Umbrina canariensis », est un poisson carnivore. Elle est également surnommée « drum canarien ». On la trouve principalement dans l’océan Atlantique oriental et dans la Méditerranée occidentale. Elle habite les fonds marins sablonneux et vaseux, se nourrissant principalement de petits crustacés et d’invertébrés benthiques. L’ombrine atteint généralement 40 à 63 cm en longueur, avec une taille maximale de 80 cm.
Quant au bar, scientifiquement appelé « Sciaenops ocellatus » ou surnommé « red drum », il est une espèce subtropicale présente dans l’Atlantique occidental, du Massachusetts au nord du Mexique. Il est surtout abondant dans les zones de surf et les estuaires, où il se nourrit de crustacés, de mollusques et de poissons. Les bars peuvent atteindre une longueur maximale de 155 cm et un poids de 45 kg.
Les deux espèces sont souvent élevées en aquaculture en raison de leur valeur commerciale. Cependant, leur introduction dans de nouveaux environnements peut poser des risques écologiques, car leur régime alimentaire carnivore et leur capacité à s’adapter à divers habitats peuvent perturber les écosystèmes locaux, en particulier en réduisant les populations locales de poissons et de crustacés.
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