Interview

Pierre Dinan, économiste : «Le Brexit est une opportunité à saisir»

Pierre Dinan

L’économiste Pierre Dinan se penche sur les implications pour Maurice, surtout avec les nombreux autres défis à relever sur le plan international, comme le Brexit.

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Donald Trump a été officiellement intronisé vendredi. Avec ses nominations clés annoncées, a-t-on aujourd’hui une meilleure idée de ce à quoi on doit s’attendre ?
Il semblerait que l’on s’achemine vers un changement radical de la politique économique menée jusqu’ici par les États-Unis et que l’on se dirige vers le protectionnisme. Donald Trump a déjà donné une indication sur la proposition risible d’ériger un mur entre le Mexique et les États-Unis ainsi que son attitude envers la Chine. Il y a aussi son opposition à l’accord commercial entre l’Europe et les États-Unis. C’est un retour au début du XXe siècle, à l’époque où le protectionnisme était pratiqué.  Les États-Unis étant ce qu’ils sont, il faut se demander s’ils n’influenceront pas d’autres pays à en faire de même. D’autant plus que nous avons déjà un exemple avec le Brexit. La Grande-Bretagne veut fermer ses frontières aux immigrants. Allons-nous vers un nouveau type d’économie mondiale ? Allons-nous vers un nouvel axe États-Unis–Russie, à en juger par les signes amicaux de Trump ?

Je suis un peu surpris que le Fonds monétaire international vienne nous dire que l’année 2017 sera favorablement influencée par Donald Trump. Il a raison d’une certaine manière, car la politique de Trump est une espèce de relance de l’économie des États-Unis qui pourrait entraîner les autres pays. Mais il aurait fallu s’attarder sur les risques du protectionnisme à moyen et long terme pour l’économie mondiale.

Certaines industries mauriciennes, notamment le textile, comptent beaucoup sur les États-Unis pour leurs exportations. Doit-on craindre un impact négatif direct sur ces secteurs ?
Nous sommes clairement menacés. Nous avons une économie très ouverte. Le commerce international de Maurice – import et export – est plus grand que notre Produit intérieur brut. Donc, nous n’avons d’autre choix que d’exporter pour pouvoir importer. Si les États-Unis ferment leurs portes, ce sera peut-être soutenable. Toutefois, ce n’est pas la fermeture des États-Unis qu’il faut redouter, mais le recours au protectionnisme de la part d’autres pays qui suivent l’exemple des États-Unis. Je pense notamment à la France.

Après l’avènement de Donald Trump, le Brexit est considéré comme une des sources majeures de l’instabilité qui règne sur l’économie mondiale. Avec la confirmation de Theresa May qu’on se dirige vers un « Hard Brexit », le tableau s’assombrit-il davantage ?
Sur le plan international, le Brexit est encore un élément perturbateur dans la mesure où nous ignorons si nous aurons d’autres « exit ». Cela affaiblit l’Union européenne. Pour Maurice, après avoir écouté Mme May, qui se débat un peu comme un diable dans un bénitier, je me dis qu’il y a peut-être une chance d’avoir de meilleures conditions d’exportations commerciales vers la Grande-Bretagne. Vous avez entendu : elle a rappelé l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh... C’est clair qu’elle veut se rapprocher des pays du Commonwealth. C’est une opportunité à saisir. C’est comme une alerte pour notre ministère des Affaires étrangères pour essayer d’avoir les meilleures conditions possibles pour nos exportations vers l’Angleterre, qui représentent quand même 10 % de nos exportations.

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«Les projets d’infrastructures créent des emplois temporaires. Or, ce qu’il nous faut à Maurice, ce sont des emplois permanents.»

Il y a une tension depuis plusieurs mois entre les Britanniques et les Américains d’un côté, et le gouvernement mauricien de l’autre sur le dossier Chagos. Cela n’aura-t-il pas un impact sur nos chances d’avoir un meilleur deal ?
Comme on le dit si bien, pot de terre ne lutte pas contre pot de fer ! C’est tout à l’honneur de notre gouvernement de vouloir retrouver sa souveraineté sur Diego Garcia. Mais il y a fort à parier que c’est une cause perdue. Donc, autant essayer d’obtenir les meilleures conditions possibles dans le cadre de ces relations commerciales maintenant que la Grande-Bretagne est contrainte de renégocier ce qu’elle avait avec l’Europe. 

Le Royaume-Uni risque-t-il d’utiliser ces négociations comme levier sur le dossier Chagos et le gouvernement risque-t-il de reculer ?
Je vous réfère à ces documents américains qui viennent d’être déclassifiés et qui remontent à 1974. Le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam, a accepté sans mot dire que Diego Garcia soit militarisée. Pourquoi n’a-t-il rien fait ? N’est-ce pas parce qu’il était aux abois au Parlement en 1974 et qu’il était sur le point de perdre le pouvoir ? Donc, autant dire que tout politicien a ses priorités.

Après Trump et le Brexit, si Marine Le Pen remporte la présidentielle en France, est-ce que ce sera un coup dur de plus pour Maurice ?
Absolument. Mme Le Pen s’est déjà manifestée en s’opposant à la cogestion de l’île de Tromelin. Une victoire de la candidate à l’élection présidentielle française n’est pas impossible. Il semble que les deux candidats au second tour seront François Fillon et Marine Le Pen. Fillon, à mon avis, a un programme économique bien étoffé et bien travaillé qui prévoit de ne pas remplacer des fonctionnaires qui s’en iront à la retraite parce que le système est hypertrophié. C’est le type de programmes difficiles à vendre auprès de l’électorat, d’autant plus qu’il sera face à une populiste qui joue sur les émotions de l’électorat, notamment sur l’anti-immigration. Cela rend les choses relativement faciles. Les socialistes avaient voté Chirac plutôt que Le Pen dans le passé. Ces socialistes feront-ils la même chose en votant pour François Fillon au lieu de Marine Le Pen ? Le monde a changé. Qui dit Le Pen dit aussi protectionnisme.

Face à toutes ces incertitudes, pensez-vous que l’équipe gouvernementale qui préside à la destinée du pays a les compétences nécessaires pour s’en sortir ?
Pour commencer, nous avons un gouvernement qui vient d’être amputé d’environ un tiers de ses membres. C’est un gouvernement quelque peu boiteux. Nous avons un Premier ministre in-waiting. Qui sera le ministre des Finances ? Ce ne sont pas des éléments porteurs quand la situation est aussi incertaine sur le plan international. 

Le flou autour de la personne qui dirigera le gouvernement à court et moyen termes est-il le problème principal ?
C’était le principal souci. Mais maintenant, il faut tenir compte du fait qu’il manque plusieurs substantive ministers. On peut imaginer que cela n’aide pas pour la prise de décisions et l’approbation des projets. Il y a des fonctionnaires, mais il faut un chef. Ce chef, c’est le ministre. L’absence de certains ministres n’aide pas. En sus de cela, si on change de Premier ministre, il arrivera avec son équipe, ses idées, ses projets... Tout cela est nécessaire pour pouvoir entraîner ensuite le reste de la population.

Sur le plan économique, on annonce une croissance de 7 % pour la construction et 4 % pour l’économie. Peut-on être satisfait de ces chiffres ?
Si cela se réalise, on sera heureux. Mais ce ne sera qu’un début. Ce sera dû à des projets d’infrastructures. On en a bien sûr réellement besoin. Ces projets permettent de créer des emplois et de relancer la croissance. Mais on est encore loin du but. Les projets d’infrastructures créent des emplois temporaires. Or, ce qu’il nous faut à Maurice, ce sont des emplois permanents résultant aussi bien de projets nouveaux que de la modernisation des industries existantes. J’ai en tête la pêche, l’agriculture non cannière moderne, les projets d’énergie renouvelable, un tourisme qui ne se limite pas aux plages…

Il y a également un grand besoin d’adapter notre industrie des services financiers pour bouger vers le Fintech, une synergie entre la finance et la technologie. Il me semble que ce soit un défi pour le secteur financier de Maurice. Donc, il y a des gisements qui existent et qui doivent être exploités pour une croissance durable. Les projets d’infrastructures ne sont que des facilitateurs de croissance.

 

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