
Le gouvernement met en chantier la réforme de la Basic Retirement Pension. Mais un autre régime fait polémique : celui des parlementaires. En dix ans et deux mandats, un élu peut toucher jusqu’à Rs 96 millions à vie, pour une contribution dérisoire de Rs 2 millions. Une inégalité criante qui soulève des questions d’équité, de viabilité et de justice sociale, alors que les citoyens lambda sont appelés à faire des sacrifices.
Alors que le gouvernement s’apprête à réformer la Basic Retirement Pension (BRP), un sujet enflamme l’opinion publique : le régime de retraite des parlementaires. Un chiffre résume l’indignation : un ancien ministre peut toucher jusqu’à Rs 96 millions à vie après seulement deux mandats – soit dix années de service – pour une contribution estimée à Rs 2 millions.
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Cette disproportion suscite de vives interrogations, tant sur le plan économique que moral. Le contraste est d’autant plus flagrant que la réforme annoncée de la BRP – qui concerne l’ensemble de la population – ne touche pas aux privilèges des élus. Un silence assourdissant au moment même où les citoyens sont appelés à se serrer la ceinture.
Pour l’économiste Sameer Sharma, ce type de régime n’a rien d’un système à cotisations définies, malgré son apparence. À ses yeux, les faibles contributions des parlementaires ne peuvent en aucun cas justifier des pensions aussi élevées. « À Maurice, le régime n’est ni viable, ni équitable. Il faut appeler les choses par leur nom : les prestations versées dépassent de loin les cotisations versées », fait-il observer.
Il évoque d’autres modèles étrangers, comme ceux du Royaume-Uni ou du Canada, où des plafonds ont été instaurés et les taux de contribution revus à la hausse pour assurer la pérennité des caisses de retraite. Singapour, de son côté, impose des contributions strictes dans un système quasi entièrement à cotisations définies, incluant les dirigeants du pays.
Selon Sameer Sharma, toute réforme des retraites à Maurice devrait commencer par l’exemple des parlementaires. Une telle démarche renforcerait non seulement la viabilité financière du système, mais aussi la crédibilité politique de ceux qui l’encadrent.
Un coût assumé par les générations futures
Bhavish Jugurnath, autre économiste interrogé, va dans le même sens. Il juge économiquement incohérente une pension à vie de Rs 96 millions pour une contribution équivalente à Rs 2 millions. Selon lui, la structure actuelle engendre une pression fiscale que les générations futures devront supporter.
« C’est une inégalité intergénérationnelle. Le système repose aujourd’hui sur les épaules des contribuables actifs, alors que les bénéficiaires parlementaires ont, dans bien des cas, cessé toute activité publique », avance l’économiste.
Il rappelle que dans le système contributif classique, les citoyens cotisent sur une période de 30 à 40 ans pour percevoir une pension bien inférieure à celle des parlementaires. « Cette logique de proportionnalité est totalement absente dans le régime actuel des élus. Le lien entre effort de contribution et niveau de prestation est rompu », ajoute-t-il.
Bhavish Jugurnath alerte également sur les conséquences systémiques. Lorsque les pensions ne sont plus alignées sur les cotisations, cela fragilise l’ensemble des régimes existants, tels que le National Pensions Fund (NPF) ou le National Savings Scheme (NPS). « Ce n’est plus un droit, mais une subvention. Et cela pose un sérieux problème d’équité », dit-il.
Une fracture sociale qui s’amplifie
Du côté des syndicats, l’indignation est palpable. Ashvin Gudday, négociateur de la General Workers Federation, souligne le décalage criant entre les retraites des élus et celles des travailleurs du secteur privé. « Le salaire minimum vital est fixé à Rs 20 000. En fin de carrière, un salarié du privé percevra environ Rs 15 000 de pension mensuelle. En parallèle, un ministre ayant effectué deux mandats touchera Rs 96 millions sur 30 ans. Cette comparaison est accablante », soutient-il.
Pour le syndicaliste, cette disparité alimente une fracture sociale de plus en plus difficile à contenir. Il appelle à un recentrage du débat public sur les principes de justice sociale et de responsabilité collective. « On demande des sacrifices à la population. Il est temps que les dirigeants montrent l’exemple », martèle-t-il.
Ashvin Gudday reconnaît l’importance de garantir une protection sociale aux parlementaires ayant servi l’État, mais insiste pour que ces avantages restent dans des proportions raisonnables. « Ils sont déjà correctement rémunérés pendant leur mandat. Beaucoup poursuivent ensuite une carrière dans le privé. La pension ne devrait pas devenir une rente à vie, totalement déconnectée de la réalité économique du pays », précise le syndicaliste.
Au-delà des chiffres, la question touche à une dimension symbolique forte. Dans un contexte économique tendu, où la population est appelée à contribuer davantage pour maintenir le système de retraite, l’exclusion des parlementaires de cette réforme est mal perçue. Elle envoie, selon plusieurs observateurs, un message de rupture entre les élites politiques et le reste de la population.
Pour Ashvin Gudday, cette situation réclame une prise de conscience urgente. « Il faut un ‘reality check’. Quand plus de 550 000 travailleurs du privé vivent dans la précarité, l’État ne peut continuer à entretenir des régimes de faveur pour une minorité », déplore-t-il. Même son de cloche du côté des économistes, pour qui un assainissement du système passe inévitablement par une réforme du régime de retraite des élus.
Des pistes pour une gestion plus équitable des fonds publics
1 Repenser le modèle de pension des élus
Ashvin Gudday estime qu’un premier pas serait de revoir entièrement le mécanisme des pensions des parlementaires. « Il faut introduire un plafond raisonnable et limiter la durée du versement des pensions », propose-t-il.
Il évoque une situation difficile à justifier : à Maurice, les parlementaires bénéficieraient de revenus plus élevés que leurs homologues dans des pays beaucoup plus vastes, comme l’Inde. « Même le Premier ministre indien perçoit un salaire inférieur à celui du Premier ministre mauricien. Dans ce contexte, accorder une pension généreuse après seulement deux mandats devient difficile à défendre. »
Le négociateur de la General Workers Federation appelle également à un encadrement strict des fonds publics, dénonçant au passage les hausses récentes des salaires accordés à certains conseillers et hauts fonctionnaires. Il propose l’introduction d’un salaire maximum pour renforcer la justice sociale. En parallèle, il insiste sur le maintien du droit à une pension de vieillesse dès 60 ans pour la population générale, qu’il considère comme un pilier fondamental de l’État-providence mauricien.
Créer un système plus équitable et durable. C’est là l’idée émanant des propositions pour réformer les pensions des parlementaires. Certes, les intervenants sont unanimes que cela ne suffit pas à résoudre l’équation, mais cette réforme est perçue comme un signal politique important. Dans un pays où les sacrifices sont appelés à être partagés, l’exemplarité reste attendue.
2 Vers une pension proportionnelle et plafonnée
Bhavish Jugurnath rejoint cette logique de réforme. Selon lui, il est impératif que les pensions des parlementaires soient calculées selon le nombre d’années de service, proportionnellement aux contributions versées. L’économiste recommande également un alignement sur le revenu médian national, afin de mieux refléter les réalités économiques du pays.
Parmi les autres mesures qu’il évoque : un plafonnement clair des pensions à vie, l’introduction de critères de ressources, et la mise en place d’un seuil minimal d’années de service actif pour être éligible à une pension. Ces propositions visent à ancrer les droits à pension dans une logique contributive, tout en limitant les abus.
3 Une réforme structurelle nécessaire
Sameer Sharma met toutefois en garde : une réforme du régime de retraite des parlementaires, bien que nécessaire, ne suffit pas. Il préconise une transformation plus large du système mauricien.
Selon lui, il est temps de passer à un modèle à cotisations définies pour les citoyens qui auront encore au moins 20 ans de carrière avant la retraite. Inspiré du modèle singapourien, ce système reposerait sur des contributions plus élevées de la part des travailleurs et des employeurs, tout en réduisant la dépendance directe aux fonds publics.
En parallèle, l’économiste souligne la nécessité d’ouvrir davantage le pays à une immigration sélective, afin de compenser le vieillissement de la population et le faible taux de natalité. Cette croissance démographique ciblée permettrait de soutenir le système par un élargissement de la base contributive.
Quelques idées avancées
- Développer les marchés financiers mauriciens via une meilleure structuration des marchés locaux d’actions et d’obligations pour améliorer les rendements à long terme des fonds de pension
- Moderniser la gestion des actifs des caisses de retraite, publiques comme privées, est également jugée essentielle
- Ouverture aux investissements internationaux, aujourd’hui entravée par les restrictions liées à l’accès aux devises étrangères
- Aligner les élus sur le reste du pays des contributions accrues, des primes basées sur la performance et une rémunération revue à la baisse, mais compétitive
En chiffres
Rs 370 000
• Salaire d’un député devenu ministre.
• Selon la loi, il ne contribue qu’à hauteur de 6 % de son salaire à sa pension parlementaire.
Premier mandat en tant que député
Salaire : Rs 157 500/mois
Contribution : Rs 9 450 /mois × 65 mois = Rs 614 250
Deuxième mandat en tant que ministre
Salaire : Rs 370 000/mois
Contribution : Rs 22 200 /mois × 65 mois = Rs 1 443 000
Contribution totale pour les deux mandats
Rs 2 057 250
Pension à vie après deux mandats
Montant : Rs 246 666 par mois
Sur 30 ans : Rs 246 667 × 13 mois × 30 ans = Rs 96,2 millions
Le Premier ministre dément toute hausse des salaires des Junior Ministers et des conseillers
Le Premier ministre Navin Ramgoolam a réfuté les allégations selon lesquelles les salaires des Junior Ministers et des conseillers auraient été augmentés. Il a précisé que les Junior Ministers reçoivent une indemnité équivalente à celle des anciens Parliamentary Private Secretaries, afin de corriger une omission dans la loi actuelle. « Aucun sou supplémentaire ne leur est versé », a-t-il assuré devant l’Assemblée nationale.
Concernant les conseillers, Navin Ramgoolam a dénoncé une campagne de désinformation. Il a annoncé la rationalisation de leurs catégories, avec l’introduction des Senior Advisers (Technical) dans des domaines spécialisés comme la médecine ou l’ingénierie. « Contrairement au passé, ces conseillers ne siègent plus sur plusieurs conseils d’administration, évitant ainsi les excès », a-t-il dit. Le chef du gouvernement a affirmé son engagement en faveur de la transparence, de la bonne gouvernance et de la responsabilité dans l’utilisation des fonds publics.
Comparaison dans d’autres pays
Sameer Sharma estime qu’il est essentiel de comparer le régime de pensions parlementaires à Maurice avec ceux de pays du Commonwealth plus riches, qui ont déjà engagé des réformes profondes. Bhavish Jugurnath abonde dans ce sens, rappelant que plusieurs États ont aligné les retraites des élus sur celles de la fonction publique ou du secteur privé, sous la pression de l’opinion publique et face à des contraintes budgétaires croissantes. Selon lui, ces ajustements visent aussi à rétablir la confiance des citoyens. Tandis que des pays comme le Canada et le Royaume-Uni ont relevé les taux de contribution des parlementaires, Maurice n’a encore rien entrepris. Pour Bhavish Jugurnath, l’île peut devenir un modèle régional en adoptant une réforme plus moderne et équitable. « Le service parlementaire doit rester un engagement envers la nation, non un privilège financier », soutient l’économiste.
Quelques exemples
• En Nouvelle-Zélande, les parlementaires sont désormais couverts par le même régime KiwiSaver que les citoyens et les fonctionnaires. Ils cotisent une partie de leur salaire, abondée par l’État, comme tout le monde. Les pensions parlementaires ont été abolies en 1992. « Aligner les élus sur les régimes nationaux renforce l’équité et la confiance du public », avance l’économiste.
• En Suède, les députés perçoivent une pension basée sur le revenu, similaire à celle des fonctionnaires. Elle est limitée dans le temps et réduite en cas de revenus complémentaires.
• Au Canada, les parlementaires, y compris les ministres, participent à un régime de retraite à prestations déterminées. En 2025, ils contribuent 12,48 % de leur salaire au compte des allocations de retraite des membres du parlement (MPRA) et 9,67 % au compte des arrangements de compensation de retraite (MPRCA). Ces taux permettent de couvrir 50 % du coût du service actuel. Les députés accumulent une pension de 3 % de leur salaire annuel par année de service, jusqu’à 75 % après 25 ans. Le régime canadien est moins généreux que celui de Maurice, compte tenu des taux de contribution plus élevés.
• Au Royaume-Uni, les parlementaires relèvent du Parliamentary Contributory Pension Fund (PCPF), un régime similaire. Ils cotisent une fraction de leur salaire, accumulant des droits à pension au taux de 1/40 ou 1/50 de leur dernier salaire annuel. Depuis 2015, les pensions des ministres sont basées sur les revenus moyens plutôt que sur le dernier salaire.
• À Singapour, il n’existe pas de régime parlementaire traditionnel. Les députés participent au Central Provident Fund (CPF), un système de cotisations définies. Les employés contribuent jusqu’à 20 % de leur salaire, tandis que les employeurs (y compris l’État) versent jusqu’à 17 %. Le CPF s’applique à tous les Singapouriens et les prestations dépendent des contributions individuelles et du retour sur investissement du fonds de pension.
Roshaan Kulpoo, président de United Pay Ltd : « Le système de pension parlementaire est une injustice sociale »
Un ancien ministre peut percevoir une pension à vie de Rs 96 millions après avoir contribué à peine Rs 2 millions sur deux mandats. Ce système doit-il être réformé ?
Oui, il est temps de revoir la pension parlementaire. D’un point de vue de justice sociale, il n’est pas cohérent qu’un parlementaire, même peu expérimenté, touche un salaire de base d’au moins Rs 120 000 et accède à une pension après deux mandats. De l’autre côté, un jeune diplômé, dont les études ont coûté cher à ses parents, débute avec un salaire compris entre Rs 30 000 et Rs 50 000. Il devra attendre ses 65 ans pour prétendre à une pension. Ce décalage est difficile à justifier.
Quel type de réforme préconisez-vous ?
La première mesure serait de rendre les parlementaires éligibles à la pension uniquement à partir de 65 ans, comme tous les autres citoyens. Il faut aussi aborder la question des anciens élus devenus présidents d’organismes publics ou CEO, qui cumulent leurs revenus avec une pension anticipée. Est-ce équitable ? Il faut mettre en place un système de ciblage.
La question des cotisations revient souvent dans ce débat. Qu’en est-il ?
Il y a plusieurs écarts. Avant le rapport du Pay Research Bureau de 2013, un employé du secteur public cotisait à 6 %, son employeur à 12 %. Après cette réforme, la part de l’État est passée à 8 %. Dans le privé, la cotisation peut atteindre Rs 50 000 : 1,5 % du côté de l’employé, 3 % pour l’employeur. Au-delà, c’est 3 % pour l’un et 6 % pour l’autre. Dans le public, cela peut aller jusqu’à 4,5 % et 9 %. Et les travailleurs indépendants ? Qu’ils soient avocats ou médecins, ils versent une contribution symbolique de Rs 150. À cela s’ajoute le fait que la fonction publique ne contribue pas à la Contribution sociale généralisée (CSG). Il y a donc un déséquilibre structurel.
Faut-il revoir les salaires des élus ?
Chaque parlementaire ou ministre aurait dû accepter une réduction de 10 à 20 % de son salaire. En contrepartie, leurs contributions devraient être augmentées. Il faut aussi être honnête : combien d’heures travaillent-ils réellement par semaine ? La situation stable de ceux ayant au moins une fois siégé au Parlement en témoigne de la réussite personnelle.
Ne risque-t-on pas de décourager des vocations politiques ?
L’histoire montre que plus une personne est aisée, plus elle peut être tentée d’abuser du système. Certains gagnent plus de Rs 500 000 par mois et sont tout de même impliqués dans des affaires de fraude ou de corruption. Il faut poser la question aux élus : de combien a-t-on besoin pour vivre dignement, surtout quand on demande à la population de vivre avec le minimum ? On demande aux familles de réduire leurs dépenses, alors que celles de l’État ne sont pas remises en question. Le système de pension parlementaire est une injustice sociale. Le gouvernement a la confiance totale de la population. Il ne faut cependant pas oublier que ce qui s’est passé en novembre 2024 pourrait se répéter si on n’écoute pas la voix du peuple.

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