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Œil de Lynx - Financial Crimes Commission : le temps de la crédibilité 

Notre société, la société mauricienne, vit une dérive, animée par une dynamique globale potentiellement dangereuse. Cela se déroule en plusieurs phases s’étalant sur 40 ans, entre 1983 et 2014. Un des temps forts a été la « découverte » de coffres-forts à la résidence de Navin Ramgoolam à River Walk en 2015. Les liasses de billets tombant de ces coffres-forts, ainsi que les images de son arrestation, avaient fortement marqué les esprits. C’était la fin politique – provisoire, comme on l’a constaté par la suite – de Navin Ramgoolam après sa défaite aux élections de 2014. Le MSM et l’Alliance Lepep reviennent au pouvoir, avec les satellites que sont le Muvman Liberater (ML) d’Ivan Collendavelloo, le Mouvement Patriotique (MP) et la Platform Militan (PM).

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Deux phases

L’histoire du règne politique des Jugnauth, de 2015 à 2024, connaît deux phases distinctes : la phase de Sir Anerood Jugnauth (SAJ) et celle de Pravind Jugnauth (PKJ). Les deux sont marquées par des affaires et des scandales, dont celle impliquant R. Dayal et ses « bal couleurs » sous SAJ. 

PKJ succède à SAJ en 2017. Une fois devenu Premier ministre, il se débarrasse des hommes de SAJ, de Collendavelloo dans le sillage de l’affaire St Louis ; d’autres ministres quittent le cabinet : V. Lutchmeenaraidoo, N. Bodha, R. Bhadain.

Kobita Jugnauth « s’installe » au PMO, prend de la place et consolide son contrôle. Avec son frère Sanjeev Ramdanee, R. Gouljaury et PKJ, elle met en place les structures informelles mais puissantes du pouvoir, avec le soutien de R. Padayachy, Sherry Singh. PKJ et son épouse Kobita se trouvent ainsi au centre d’un État mafieux – avec l’ICAC qui a à sa tête N. Beekarry comme machine à blanchir des dossiers qui s’empilent. Navin Beekarry devient un agent de PKJ dans l’affaire Medpoint. La police, avec Dip et la SST, opère en service commandé de PKJ pour s’attaquer au DPP et aux adversaires politiques et citoyens jugés trop critiques. L’autocratie s’installe et verse dans la dictature.

Les élections générales de novembre 2024 portent l’Alliance du Changement, composée du PTr, du MMM, de ReA et de ND, au pouvoir. Dirigée par le Dr Navin Ramgoolam, cette alliance promet un changement radical, une rupture avec la dérive autocratique, et s’engage à en finir avec la mafia et l’État-mafia, le blanchiment d’argent, la corruption.

Dans ce nouvel écosystème, le rôle et la mission de l’Attorney General, Gavin Glover, est d’être le fer de lance pour apporter des amendements constitutionnels pour avancer avec efficacité sur ce front. La Financial Crimes Commission (FCC) se dote de personnel. Il y a des recrutements en cours, dont un directeur (à ce jour, c’est un intérimaire qui fait le travail). Il est plus que temps de trouver un responsable permanent pleinement consacré à la tâche pour assumer et assurer toutes les responsabilités de ce chantier immense, brûlant, stratégique. Ne dit-on pas – avec raison – que la drogue est un pilier de l’économie nationale, avec des ramifications régionales et internationales ?

Le défilé auquel on assiste à la FCC met en jeu la crédibilité et l’action de la FCC en raison de sa visibilité, avec la médiatisation de ses actions, notamment sur les réseaux sociaux. Il est question de la crédibilité et de la raison d’être de ses « moves ». Un show, disent certains. Ce qui renvoie à la question complexe de la temporalité de ses actions-initiatives. 

Le point, après plusieurs semaines d’opérations de la FCC, comporte plusieurs volets distincts qui sont toutefois liés. Il y a le profil des accusés provisoires, les délits dont ils sont accusés, le niveau de responsabilité de PKJ et de l’ex-Senior Minister des Finances, Padayachy ; de l’ex-gouverneur de la Banque de Maurice, H. Seegoolam ; de l’ex-Attorney General M. Gobin ; de R. Gouljaury et autres « personnalités ». Il y a des accusations provisoires, des « objections to departure ». Il y a des cas de la MPA, de la CWA, de la STT. En clair, le chantier est immense, compliqué, et loin d’avoir tout dévoilé. La FCC et les institutions qui lui sont associées ont du pain sur la planche pour longtemps encore.

Un volet important est le montant financier qui concerne plusieurs institutions, conglomérats, entreprises, institutions bancaires – STC, Silver Bank, MIC, etc. Pêle-mêle, il y a la gestion d’Air Mauritius, de la STC. Il y a les aspects, pour dire le moins problématiques, de la Banque de Maurice, les prêts potentiellement toxiques au groupe hôtelier Appavou et à Maradiva. La liste est longue, et ce n’est pas fini des frasques, dont celles liées à la SBM, et celles révélées au Parlement cette semaine par le Premier ministre, qui s’est engagé à sévir sur la totalité du montant, qui s’élève à près de Rs 300 millions à Satar Hajee Abdoola.
Selon Richard Rault, commissaire à la FCC, il y aurait en attente un « backlog » de milliers de cas. Pour pallier le manque de personnel, il y a eu le recrutement de plus de 80 enquêteurs. Toutes les affaires n’ont pas la même nature, de technicité et d’importance stratégique.

La temporalité est centrale avec la temporalité médiatique de l’opinion des réseaux sociaux, qui contraste avec celle juridique et politique. Avec les réseaux sociaux, la temporalité médiatique met une pression sur les institutions et alimente l’opinion qui a soif de justice rapide. C’est le cas globalement avec la banalisation des scandales.

Implications politiques 

Les forces politiques qui sont sur le banc des accusés sont celles qui étaient aux commandes du pays de 2015 à 2024 : principalement le MSM, le ML, et ceux à la tête des institutions stratégiques : BoM, STC, MIC, etc. PKJ et le MSM tentent de se maintenir en vie sur la scène politique, mais ce sera très difficile, d’autant plus que les accusés ne seront pas blanchis rapidement.

La grande interrogation à ce jour est celle-ci : est-ce que la FCC pourra atteindre ses objectifs ? En clair, il s’agit de l’efficacité de son action et de ses initiatives, d’abord contre les présumés coupables. On attend des autorités compétentes une panoplie de mesures et d’initiatives en soutien à la FCC. Les personnalités incarnant les autorités doivent se méfier des pompeux discours et autres nobles déclarations d’intention. Navin Ramgoolam, P. Bérenger, D. Damry, et J. Jeetun, qui discourent beaucoup sur le sujet ces temps-ci – pour ne parler que d’eux – doivent s’assurer de l’efficacité des mesures et initiatives annoncées, notamment sur le trafic des stupéfiants.

Il y aura l’effet boomerang sur ce dossier, avec une population qui commence à perdre patience et à qui le gouvernement demande justement de la patience et de continuer de lui faire confiance. C’est un fait que dans les semaines et les mois à venir, la situation socio-économique va se détériorer, avec un budget que Navin Ramgoolam et Paul Bérenger annoncent comme dur. Le décor est planté pour un climat social tendu qui risque de prolonger un certain désenchantement d’une population impatiente vis-à-vis du changement promis par l’Alliance du Changement.

Nous, Mauriciens, devons relever concrètement les multiples défis du changement, de la rupture et de la construction d’une nouvelle société : une société juste, démocratique et durable. Les recettes d’hier ne suffiront pas. Aux problèmes inédits, solutions inédites ! Il nous faudra faire preuve d’imagination pour trouver l’antidote à l’impatience et au manque de confiance d’une partie croissante de la population. Il ne s’agit pas pour l’alliance gouvernementale de faire une fausse lecture des résultats des élections municipales !

 

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