Comment renforcer les institutions ? Comment garantir leur indépendance ? Quelles réformes sont nécessaires pour des institutions plus solides et fonctionnelles ? Autant de questions étaient au programme de l’émission « Au Cœur de l’Info » du lundi 18 novembre, animée par Patrick Hilbert et ses invités.
Un nouveau chapitre est ouvert depuis le lundi 11 novembre avec la victoire écrasante de l’Alliance du Changement, sanctionnant lourdement l’Alliance Lepep, incluant le gouvernement sortant. Avec la campagne électorale et le manifeste, beaucoup de promesses ont été faites, mais comment s’assurer de leur mise en pratique et comment favoriser la démocratie et la bonne gouvernance ? C’était parmi le thème abordé par les invités sur le plateau.
En ce qui concerne la vision globale du nouveau gouvernement, Rajen Narsinghen, juriste et député de l’Alliance du Changement, a fait comprendre que le manifeste regroupe « les intentions qui devront être implémentées durant les cinq ans à venir ». « En cours de route, il faut aussi faire un état des lieux, notamment de certaines institutions, telles que la force policière, et c’est ce que le gouvernement actuel est en train de faire », a-t-il expliqué tout en indiquant que sans faire une politique de vengeance, il faut cependant avoir de l’accountability et de la transparence.
Toutefois, en se basant sur des rapports publiés, Laura Jaymangal, Executive Officer de Transparency Mauritius, a, elle, fait ressortir qu’il y a eu une dégradation de la démocratie. « Et cette dégradation est assez flagrante et inquiétante pour tout le monde. À travers les différents indexes, on est sorti numéro un pour être par la suite à la deuxième position après dix ans et on a perdu presque vingt points », a-t-elle souligné en mentionnant certains rapports, dont Varieties of Democraty ou Mo Ibrahim. Et d’après Afrobarometer, 70 % de la population n’a plus confiance dans le système, « et cela démontre l’ampleur de la dégradation et le gros travail qu’il reste à faire maintenant », a-t-elle ajouté.
Cette dernière a aussi évoqué l’importance d’avoir un « political will » pour faire les changements qu’il faut afin d’améliorer la situation. La représentante de Transparency Mauritius a également parlé de réformes constitutionnelles nécessaires pour avancer dans le bon sens, mais aussi de l’importance d’inclure la population dans cette transformation. « On ne peut pas faire des changements sans expliquer à la population. D’ailleurs, beaucoup de Mauriciens ne connaissent pas le fonctionnement du système actuel, parce qu’il n’y a pas d’éducation civique à l’école. Il ne suffit pas d’attendre d’avoir 18 ans pour aller voter et là aussi, voter pour un parti ou une alliance qui propose plus d’avantages. Il faut comprendre le fond du système et cela devrait commencer à l’école, avec les enfants », a-t-elle indiqué.
Et pour que la population regagne confiance en les institutions, cela prendra du temps, selon elle, car il ne suffit pas de changer des lois pour avoir instantanément des résultats. « Il y a beaucoup de consultations et de discussions à faire », a-t-elle avancé, en prenant en exemple la Freedom of Information Act qui est longuement attendue. « Cette Freedom of Information Act est importante pour établir la transparence dans une démocratie, avec le gouvernement et les institutions publiques », a-t-elle soutenu.
Pour Nita Deerpalsing, ancienne députée travailliste et ex-directrice de l’Organisation Internationale de la Francophonie, un fonctionnaire doit servir le gouvernement du jour et être impartial et non pas être au service du ministre du jour. « Le fonctionnaire est dans la continuité de l’État. Les ministres vont venir et partir, mais les fonctionnaires restent et doivent s’assurer que le travail continue », a-t-elle expliqué tout en indiquant qu’il y a toutefois des nominés politiques au sein des ministères et c’est ce qui bloque le bon fonctionnement de la démocratie.
Elle a ainsi fait un appel aux fonctionnaires pour qu’ils apprennent davantage leurs droits et ne se laissent pas dominer par les nominés politiques. Du coup, la première chose à faire, selon elle, est d’appliquer des pratiques de bonne gouvernance. D’ailleurs, les résultats des récentes élections viennent prouver que les Mauriciens ne veulent plus de la façon dont les choses se faisaient sous l’ancien régime et qu’il faut plus de bonne gouvernance dans les institutions. « Les attentes du public sont énormes », selon Nita Deerpalsing.
Intervenue au téléphone, Manisha Dookhony, économiste, a également parlé de la responsabilité des institutions. « Les investisseurs vont surtout voir s’ils peuvent faire confiance au pays et aux institutions. D’ailleurs, beaucoup d’indices économiques se basent sur la sûreté des institutions », a-t-elle évoqué tout en soulignant qu’il y a du travail à faire pour redonner confiance dans les institutions locales. « Le système de check and balances est crucial. Il y a un travail assidu à faire sur le long terme », a-t-elle poursuivi. L’économiste a aussi mis en avant la digitalisation des institutions qui peut aider à avoir plus de transparence.
Elle explique qu’avec le système de cadastre à Maurice, on est dans le flou sur les baux accordés par l’État, alors qu’avec un système digital, il y aurait plus de transparence et cela serait vérifiable par tous. Et tout comme les autres intervenants, Manisha Dookhony est revenue sur le rôle crucial que pourrait jouer une Freedom of Information Act afin de « limiter l’opacité de l’appareil de l’État ».
Rajen Narsinghen : « On basculait dans la dictature »
Les résultats des élections du 10 novembre viennent démontrer que la population veut du renouveau. C’est ce qu’a fait comprendre Rajen Narsinghen. Pour ce dernier, « avec le régime qui était en place, on basculait dans la dictature. Pravind Jugnauth et son gouvernement pensaient qu’ils étaient propriétaires de l’île Maurice ». Mais, il a souligné que la population est une force silencieuse qui les a sanctionnés, et a fait le printemps mauricien.
Il est ensuite revenu sur la confiance que la population a faite à Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, estimant que c’est l’expérience et les leçons tirées des erreurs du passé qui font que les leaders d’aujourd’hui pensent surtout à l’avenir de Maurice. « Ils pensent maintenant à l’héritage qu’ils vont quitter aux générations à venir », a-t-il conclu.
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