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Navaratri : les couleurs d’une dévotion réinventée

Entre tradition ancestrale et réinterprétation contemporaine, les Mauriciens de foi hindoue célèbrent les neuf nuits sacrées de Durga.

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Chaque matin depuis le 22 septembre, Hansraj Bhatoo, 27 ans, ouvre son armoire avec une attention particulière. Pas question de choisir sa tenue au hasard : nous sommes en période de Navaratri, et chaque jour appelle une couleur précise. « Je ne porte pas forcément les couleurs de manière traditionnelle tous les jours. J’aime bien aussi les combiner avec un style plus moderne – par exemple un chemisier ou un accessoire discret dans la couleur du jour », confie ce jeune Mauricien. 

Au bureau, ses collègues ont adopté le même rituel : « On attend chaque jour avec impatience pour voir comment chacun va intégrer la couleur. C’est à la fois un clin d’œil à la tradition et une manière d’exprimer notre créativité. »

Cette appropriation contemporaine du Navaratri révèle comment une célébration millénaire s’adapte aux réalités d’aujourd’hui. À Maurice, ce festival dédié à la déesse Durga et à ses multiples formes s’étend sur neuf jours et neuf nuits, rythmés par des prières, des chants, des jeûnes et ce fameux code vestimentaire aux significations précises.

Blanc pour la pureté, rouge pour la passion, bleu royal pour la prospérité, jaune pour l’optimisme... Aayushi Modhyni Doorgasing, étudiante en première année de B.A. (Hons) Hindi au MGI/UoM, détaille cette palette spirituelle : « Jour 1 : Blanc – pureté et innocence. Jour 2 : Rouge – passion et amour, couleur de la chunri offerte à la déesse. Jour 3 : Bleu royal – prospérité et tranquillité. Jour 4 : Jaune – optimisme et joie. Jour 5 : Vert – croissance, fertilité, sérénité et nouveaux départs. Jour 6 : Gris – équilibre émotionnel et ancrage. Jour 7 : Orange – énergie positive, chaleur et dynamisme. Jour 8 : Vert paon – originalité, compassion et fraîcheur. Jour 9 : Rose – amour universel, harmonie et affection. »

Pour cette jeune femme de 22 ans, « ensemble, ces teintes représentent les nombreuses vertus que nous cherchons à cultiver ». Une approche qui dépasse le simple folklore : « Maa Durga représente le pouvoir inhérent à toutes les femmes – la même force d’Ardhanarishvara qui unit le masculin et le féminin. Lorsque les hommes et les femmes contribuent également, la véritable ‘shakti’ se manifeste. »

Lilakshi Dinya, 30 ans, pratique depuis l’enfance avec ses parents et grands-parents. Pour elle, « ces neuf couleurs divines et sacrées symbolisent notre essence de vie et comment nous combattons nos démons intérieurs comme la jalousie, la haine et la gourmandise ». Une dimension introspective que confirme Aayushi : « En plus d’être une pratique rigoureuse, ces neuf jours de jeûne sont un nettoyage mental et physique, et un rappel de rester pieux et modeste. »

Cette quête de purification trouve un écho particulier chez les Mauriciens contemporains. Jaya Paupadoo Rajanah, enseignante d’hindouisme depuis 13 ans au collège France Boyer de La Giroday, l’analyse ainsi : « Le Navaratri est très significatif pour l’homme moderne car il honore ‘Shakti’, le pouvoir divin féminin qui soutient le ‘prana’. Le jeûne et l’alimentation sattvique favorisent une discipline intérieure et aident à rééquilibrer le corps et l’esprit. »

Une renaissance de neuf jours

L’enseignante va plus loin dans l’interprétation : « Il faut neuf mois pour qu’un enfant naisse. Ces neuf jours sont comme une nouvelle naissance, une sortie du ventre maternel. C’est une occasion de revenir à la source de notre existence et de vivre en pleine conscience. » Cette métaphore obstétricale illustre la dimension transformatrice du festival : « Le message central du festival est d’élever l’homme de l’ignorance vers l’illumination, et de recentrer les priorités autour de la famille, du travail et des valeurs fondamentales. »

Chaque forme de la déesse porte sa leçon : « Chaque forme de la déesse incarne une valeur : patience, courage, sagesse, pureté. Les récits mythologiques illustrent les luttes humaines pour surmonter la cupidité, l’ego, la jalousie, la haine ou encore l’injustice. Le Navaratri invite à la réflexion et aux actions positives, qu’elles soient dans nos pensées, nos paroles ou nos actes. »

Cette relecture contemporaine n’efface pas la dimension communautaire traditionnelle. « Les soirées sont riches en prières, musique, danse et moments passés avec les proches. Ces célébrations transmettent des enseignements éthiques à travers les différentes manifestations et légendes de la déesse », rappelle Jaya Paupadoo Rajanah.

Le festival culmine avec Vijayadashami, qui « marque la victoire des forces du bien sur le mal » et « honore le courage, le renouveau et la conviction que les forces bénéfiques prévalent sur le mal ». Un message universel que l’enseignante rattache à un « stotram » ancestral : « Ce chant est un appel à éliminer les démons intérieurs. Sinon, l’homme est comme un bateau sans gouvernail, exposé au malheur. »

Pour Aayushi, cette dimension transcende les clivages : « Le Navaratri me rappelle que la divinité existe en chacun de nous et que l’équilibre des énergies masculine et féminine soutient la création et donne force à la vie. » 

À travers ces voix multiples – fidèles, jeunes étudiants et enseignants – le Navaratri apparaît à Maurice comme un moment de foi mais aussi de réinterprétation moderne. Porter les couleurs, jeûner, réciter les hymnes ou encore partager des moments en famille : toutes ces pratiques rappellent que la spiritualité, dans ses formes diverses, continue d’éclairer la vie contemporaine.

 

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