Interview

Me Jenny Mootealloo : «Pour l’adoption locale, il n’y a pas d’organisme agréé»

Me Jenny Mootealloo

L’avocate Jenny Mootealloo nous révèle qu’il existe plusieurs obstacles sur les procédures entourant l’adoption d’un enfant mauricien par un couple mauricien et par un couple étranger.

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Quelles sont les procédures pour qu’un couple mauricien obtienne l’agrément d’une adoption pour un enfant mauricien ?
Il existe trois types d’adoption à Maurice : l’adoption simple, l’adoption plénière et la légitimation par adoption. L’adoption simple est très courante, il s’agit du cas où les parents biologiques donnent leur consentement à l’adoption de leur enfant. L’enfant ne rompt pas les liens avec ses parents biologiques. Lors de la demande de l’adoption, les parents adoptifs et parents biologiques doivent signer un affidavit, chacun de leur côté, en présence d’un avoué, pour signifier officiellement leur intention respective.

Un troisième document, un Memorandum of Consent est rédigé et présenté devant un juge de la cour familiale (Family Court), accompagné de plusieurs autres documents (carte d’identité des parents et acte de naissance, etc). Le juge et les différentes parties y apposeront leur signature. Le juge ordonnera ensuite qu’une enquête soit menée par les officiers du ministère public dans le cas où l’enfant adopté est mineur. Ils remettront ensuite leur rapport avec leur avis – soit favorable ou défavorable au Parquet. Mais, la décision finale revient au juge après avoir reçu tous les documents requis.

Pour l’adoption plénière, la demande se fait directement auprès d’un juge en chambre. Elle concerne les enfants abandonnés dans les crèches ou orphelinats. Contrairement à l’adoption simple, l’enfant adopté perd tout lien avec sa famille d’origine. Aussi, il faut savoir qu’une adoption simple peut être convertie en adoption plénière. Une fois la demande formulée et l’affidavit rédigé et présenté au juge, ce dernier ordonnera une enquête par les officiers du ministère public, qui devra prouver l’abandon. Aussitôt le rapport rendu, le juge fera connaître sa décision.

La légitimation par adoption intervient lorsqu’un couple donne son consentement pour que l’enfant naturel d’un des conjoints soit reconnu par l’autre conjoint. Un affidavit doit être signé par les deux parents devant un avoué. La même procédure que celle adoptée lors d’une adoption simple ou plénière est suivie.

Et si un couple veut adopter un enfant étranger…
Chaque pays a sa loi sur l’adoption. La demande doit se faire à travers le National Adoption Council (NAC) et le Bureau du Premier ministre, qui font le suivi du dossier.

«L’adoption à Maurice est faite au petit bonheur sans vraiment de suivis post-adoption afin de s’assurer du bien-être des enfants.»

Un couple étranger peut-il adopter un enfant mauricien ?
C’est le NAC qui se charge de l’adoption d’un enfant par des étrangers. Après avoir reçu l’agrément pour l’adoption dans leurs pays respectifs, les étrangers souhaitant adopter se tournent vers le NAC. Le problème majeur que rencontre les étrangers est de trouver un enfant à être adopté, car il n’y a pas d’organisme agrée pour l’adoption à Maurice.

Un étranger souhaitant adopter un enfant mauricien devra, dans un premier temps, faire une demande à travers le NAC qui se penchera sur sa demande. Le conseil étudiera la demande, fera une enquête et, si besoin est, demandera des informations supplémentaires à l’adoptant.

Le NAC a un délai légal de 60 jours maximum pour statuer sur le dossier. Après un avis favorable, l’adoptant pourra faire sa demande devant un juge en référé  de la Cour suprême pour que celui-ci statue dans l’intérêt de l’enfant. En cas d’avis défavorable, l’adoptant pourra faire appel dans un délai de 21 jours.

Maurice est signataire de la Convention de La Haye. Est-ce que cette Convention a force de loi dans la matière d’adoption des enfants ?
Maurice a adhéré à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, le 28 septembre 1998. Cependant, nous n’appliquons pas la procédure exigée par la Convention dans son intégralité, mais uniquement quelques procédures individuelles. Le principe directeur de la Convention de La Haye est l’intérêt de l’enfant et la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Elle protège les enfants et leurs familles des risques d’adoption illégale. Elle vise à garantir que les adoptions internationales soient organisées dans l’intérêt supérieur de l’enfant, tout en respectant ses droits fondamentaux. Elle prévient l’enlèvement, le trafic d’enfants.

La Convention reconnaît que grandir dans une famille est fondamental et essentiel pour l’épanouissement et la santé de l’enfant. L’adoption internationale peut présenter l’avantage de donner une famille permanente à l’enfant pour lequel une famille appropriée ne peut être trouvée, dans son pays d’origine. La Convention prévoit le passage obligé par des organismes agréés, en cas de volonté d’adopter, le futur parent adoptif doit obligatoirement se tourner vers un organisme compétent.

La Convention fait état du principe de « subsidiarité », cela signifie qu’il l’adoption nationale prévaut sur l’adoption internationale.

Le 20 mai 2016, un accord a été signé entre le gouvernement de Maurice et le Bureau permanent de la Conférence de La Haye. Cet accord vise à apporter une assistance à Maurice afin de moderniser son régime d’adoption international en ligne avec les provisions de la Convention de La Haye et de mettre sur pied une Autorité centrale (organisme agréé).

Quelles sont les lacunes dans notre législation ?
Cette situation perdure depuis très longtemps et chaque gouvernement successif promet une réforme de la loi, mais jusqu’à présent, rien de concret n’a été fait pour y remédier. Dans le cas de l’adoption locale, il n’a a pas d’organisme agréé (Autorité centrale) de l’État, qui puisse établir un registre d’enfants adoptables. Le plus gros problème est que les parents doivent toujours chercher l’enfant pouvant être adopté. Ce contact entre parents biologiques et futurs parents adoptifs est clairement prescrit par la Convention au temps de la procédure, car cela engendre des abus et aussi le trafic d’enfant.

Selon la Convention de La Haye, l’organisme agréé a un rôle fondamental à jouer en matière d’adoption. À Maurice, beaucoup d’enfants sont actuellement dans des crèches, des « shelters » ou des foyers. Mais, ils ne peuvent pas être adoptés. Ils y restent jusqu’à leur majorité et sont livrés à eux-mêmes. Les obstacles sont nombreux pour les parents voulant adopter un enfant d’une crèche ou d’un « shelter ». Les crèches et les « shelters » sont débordés. L’adoption à Maurice est faite au petit bonheur sans vraiment de suivis post-adoption afin de s’assurer du bien-être des enfants.

Concernant l’adoption par des étrangers, elles se font uniquement par démarches individuelles et les familles doivent se déplacer à Maurice pour constituer leur dossier qu’ils présenteront devant le NAC pour approbation. Le NAC ne propose pas d’enfants. Nous retrouvons encore le problème de l’organisme agréé (Autorité centrale).

Par exemple, l’Agence Française de l’Adoption a mis en garde ceux voulant adopter un enfant mauricien sur les procédures d’adoption pratiquées à Maurice, notamment la remise de l’enfant par la mère ou le père biologique sous peine de se voir opposer le jugement d’adoption par les juridictions françaises.

Il est aussi important de souligner que toutes les adoptions par des étrangers sont gelées depuis environ deux années en attendant qu’une nouvelle loi sur les adoptions internationales ne soit votée. Il y a un besoin urgent de se mettre en conformité avec les provisions de la Convention de La Haye.

 

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