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Me Germain Wong Yuen Kook : «Le CP commet une entorse à la Constitution et peut être destitué (…)»

Me Germain Wong Yuen Kook ne mâche pas ses mots : le conflit entre le Commissaire de police (CP) et le Directeur des poursuites publiques (DPP) constitue une « crise constitutionnelle sans précédent ». Selon cet avocat, le CP n'a pas le droit d'exclure le bureau du DPP d'une affaire criminelle. Cela va à l'encontre de notre Constitution et il peut être destitué de son poste s'il est incapable d'exercer ses fonctions, conformément à la Constitution. Il compare cette crise à "un locataire qui s'attribue les droits du propriétaire" et souligne que le CP et le DPP sont liés par un mariage constitutionnel et ne peuvent en aucun cas se séparer.

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Le CP a fait savoir qu’il allait se passer des services du bureau du DPP pour ses conseils légaux. Le mardi 27 juin 2023, il s'est ainsi tourné vers un avocat du privé dans le cas de Sherry Singh, l’ex-Chief Executive Officer (CEO) de Mauritius Telecom (MT). Est-ce que cela vous étonne ?
Cela m'étonne énormément, voire me laisse pantois. Une crise constitutionnelle sans précédent est en cours. Il convient tout d'abord de faire une distinction entre une affaire civile et une affaire criminelle. Dans une affaire civile, le CP peut faire appel à un avocat privé ou un avoué, par exemple, pour déposer une demande de révision judiciaire (Judicial Review).

Cependant, dans le cas d'une affaire criminelle, le CP n'a pas le pouvoir de le faire. En agissant ainsi, le CP écarte le bureau du DPP de l'affaire. Or, selon l'article 72 de notre Constitution, seul le DPP a le pouvoir « d'engager et d'entreprendre des poursuites pénales, de reprendre et de poursuivre toute procédure pénale qui aurait pu être engagée par toute autre personne ou autorité et aussi de mettre fin à tout moment à un procès pénal avant le prononcé du jugement ». Il s'agit donc d'une violation de notre Constitution. C'est comme si un locataire s'arrogeait les droits du propriétaire ! Il convient également de noter que le DPP n'est pas un « avocat » que l'on peut « hire & fire » à sa guise, ou à qui l'on peut donner des instructions. Écarter le DPP de l'équation criminelle équivaut à une violation constitutionnelle.

Je suis d'avis qu'un avocat privé ne peut représenter l'accusation, c'est-à-dire engager des poursuites pénales (prosecute). En effet, pour le faire, cet avocat doit d'abord soumettre une demande formelle par écrit au DPP. Si cette demande est acceptée, le DPP lui fournira une autorisation écrite - le « fiat » du DPP, dans le jargon juridique - qui sera produite devant le tribunal et fera partie des procès-verbaux. Dans le cas contraire, aucun avocat privé n'est habilité à mener des poursuites pénales (conduct the criminal proceedings). 

La décision de la magistrate sera connue le 17 juillet 2023. Le CP met-il le Judiciaire à rude épreuve ?
Les articles de presse font état du fait que le représentant du DPP a soulevé une objection à ce que le CP puisse faire appel à un avocat privé, car cela serait contraire aux pouvoirs du DPP tels que définis à l'article 72 de notre Constitution. Si la Cour de district est d'avis que cela soulève une question d'interprétation de l'article 72 de notre Constitution, le magistrat devra alors renvoyer cette question constitutionnelle à la Cour suprême en vertu de l'article 84 de la Constitution. En effet, une Cour de district n'a pas compétence pour statuer sur une question de constitutionnalité.

On peut toutefois comprendre la frustration de la police, car c’est elle qui mène l’enquête et possède les faits nécessaires pour s’opposer à la remise en liberté

Cette affaire a de fortes chances de faire jurisprudence, n’est-ce pas ?
Il est évident que, compte tenu de son importance, il serait dans l'intérêt de notre système pénal et de la santé de notre démocratie que cette affaire soit portée devant un « full bench » de cinq juges de la Cour suprême. Cela permettrait d'établir une jurisprudence solide et claire sur la question.
La séparation des pouvoirs est ce socle inamovible sur lequel repose toute démocratie. Le CP est-il redevable au Bureau du Premier ministre et le DPP à l’Exécutif. Ce qui fait craindre que ce différend qui les oppose puisse déboucher sur une grave crise institutionnelle, selon les observateurs. Votre avis !

Il est important de comprendre que, conformément à l'article 71(3) de la Constitution, le Premier ministre a la possibilité de donner des directives générales de politique au Commissaire de police (CP) en ce qui concerne le maintien de la sécurité et de l'ordre public. Toutefois, il convient de noter que l'article 71(4) de la Constitution précise que le Commissaire de police n'est soumis à aucun contrôle de quelque personne ou autorité que ce soit. Il est tenu d'agir de manière indépendante. En d'autres termes, le Commissaire de police n'est pas redevable et ne devrait en aucun cas être soumis à l'autorité de quiconque, y compris le Bureau du Premier ministre.

Quant au Directeur des poursuites publiques (DPP), il fait partie de l'Exécutif. Selon l'esprit de la Constitution, le Commissaire de police et le DPP sont liés par un mariage constitutionnel et ne peuvent en aucun cas se séparer.

Le torchon brûle aussi autour de la remise en liberté sous caution de Me Akil Bissessur, de son frère Avinash et de sa compagne Doomila Devi Moheeputh, le lundi 26 juin 2023. Le Surintendant de police (SP) Dunraz Gangadin a dénoncé ce qu'il appelle une « volte-face » du DPP devant le tribunal de Mahébourg… 
Tout d’abord, il faut savoir que le SP n’a pas droit d’audience. Il ne peut donc s’adresser à la Cour quand celle-ci siège. Si le SP a utilisé l'expression « volte-face », cela suggère qu'à un moment donné, le bureau du DPP envisageait de s'opposer à la demande de remise en liberté, mais que la police a été prise de court lorsque la position du DPP a changé à la dernière minute. Il est important de noter que dans une affaire criminelle, lorsque le Police Prosecutor s'oppose à la demande de remise en liberté sous caution d'un individu, il présente des arguments d'objection étayés par des faits concrets. Si la présence de l'avocat du bureau du DPP est sollicitée, celui-ci va exposer ces arguments en se basant sur des faits tangibles. Au vu de la réaction du SP et de la position du DPP, il semble fortement indiqué que la communication entre le bureau du CP (Commissaire de police) et celui du DPP a été rompue à un moment donné, ou qu'il n'y avait pas de communication établie entre eux. On peut toutefois comprendre la frustration de la police, car c'est elle qui mène l'enquête et possède les faits nécessaires pour s'opposer à la remise en liberté. Pour la police, il est clair que c’est le DPP qui s’est arrogé de ses droits constitutionnels.  

Le DPP n’est pas un « avocat » que l’on peut « hire & fire » à sa guise, ou à qui l’on peut donner des instructions

Le CP a contre-attaqué. Il conteste devant la Cour suprême la remise en liberté sous caution de Me Akil Bissessur, de son frère et de sa compagne… Quelle est votre analyse ? 
Permettez-moi de vous expliquer d'abord le processus tel que prévu par la loi. Selon l'article 4(4) de la Bail Act 1999, le DPP Directeur des poursuites publiques ou le CP peut, dans les sept jours suivant la décision du tribunal de Mahébourg, déposer une demande devant la Cour suprême pour demander l'annulation de cette décision.

Maintenant, pour répondre à votre question, une telle demande du CP serait « mal conçue » (misconceived). La principale raison en est qu'il doit y avoir une décision du tribunal de district, c'est-à-dire que le tribunal, après avoir entendu les témoins, prend une décision basée sur les faits pour imposer des conditions de caution afin de réduire les risques liés aux points d'objection soulevés devant lui.

Or, dans le cas présent, étant donné que le DPP a informé le tribunal qu'il n'avait plus d'objections, aucune décision n'a été prise par le tribunal de Mahébourg. Par conséquent, la Cour suprême ne peut rendre de jugement en l'absence d'une décision du tribunal de Mahébourg.

S’il y a une demande devant la Cour suprême par la police, encourent-ils le risque d’être placés en détention de nouveau ? 
Non ! Ils doivent leur salut à une procédure stricte qui doit être respectée. Il est impératif que ce soit le représentant du DPP qui informe le magistrat de leur intention de déposer une requête devant la Cour suprême pour contester la décision du tribunal. En même temps, le représentant du DPP doit également demander la suspension de la décision du tribunal afin que les prévenus soient maintenus en détention. Cette demande relève exclusivement de la prérogative du DPP et non de la police. Dans le cas présent, l'absence de ces deux éléments signifie que les prévenus ne peuvent pas être replacés en détention. 

Il semble évident qu’il existait déjà une fracture entre le CP et le DPP avant même l’engagement des poursuites pénales contre le fils du CP

« In which world are we living ? This is unbelievable ? » Ce sont les paroles du SP. Est-ce un cas d'outrage à la cour comme le disent les avocats dans l’affaire Bissessur ?
Le respect du décorum et des règles de procédure est crucial lors des audiences judiciaires. Dans une affaire criminelle, seuls les avocats ou les représentants du DPP ont le droit de s'adresser à la Cour, sauf autorisation spécifique accordée par le tribunal. Critiquer publiquement le déroulement de l'affaire lors d'une audience, sans l'autorisation préalable du tribunal, pourrait potentiellement être considéré comme un outrage à la cour.

Est-ce une coïncidence que ces deux cas sont considérés comme des « political related cases » ?
Le fait que ce soient des « political related cases » ne change en rien la perception d'une politique de deux poids deux mesures : un traitement pour ceux qui sont dans le gouvernement et un autre pour les opposants du gouvernement. Cependant, cette perception ne date pas d'hier. Sous tous les gouvernements, cette perception a été présente. Seules des réformes en profondeur pourront y remédier, mais à l'heure actuelle, je ne vois aucun gouvernement franchir ce « rubicon ».

Le divorce entre le CP et le DPP est consommé, dit-on. Ne pensez-vous pas qu'au nom de la démocratie, ces deux figures institutionnelles devraient mettre leur différend de côté et trouver un terrain d'entente ?
Bien sûr, il est essentiel que notre système pénal ne soit pas affecté par quelque différend que ce soit, car cela compromettrait même notre « administration of justice ».

À force de trop tirer, le ressort risque de se casser. Dans ce tug-of-war, qui sera le plus grand perdant ? La police ou le Bureau du DPP ? 
Le ressort est peut-être déjà cassé au vu des déclarations en Cour de la police. Il est indéniable que les déclarations de la police en Cour semblent refléter une méfiance envers le bureau du DPP, tandis que les communiqués du DPP laissent entendre que la police outrepasse ses droits en déposant des accusations provisoires sans consultation préalable. Dans ce conflit institutionnel, le véritable perdant semble être le justiciable. En fin de compte, c'est le citoyen qui paie ses impôts pour soutenir le fonds public destiné à garantir une administration de la justice adéquate. Les grands bénéficiaires de ce conflit sont malheureusement les criminels.

Le magistrat devra renvoyer cette question constitutionnelle à la Cour suprême en vertu de l’article 84 de la Constitution

Cette « situation malsaine » peut-elle perdurer ?
À l’heure actuelle, je ne vois pas la situation s’améliorer. Mais, j’espère me tromper, pour le bien être de notre démocratie. Comme je l’ai dit, un jugement d’un « full bench » de la Cour suprême va recadrer les deux institutions. 

Ne pensez-vous pas que certains avocats « malintentionnés » peuvent exploiter ce conflit au profit de leurs clients ?
Comme expliqué au début, le CP ne peut retenir les services d’un avocat du privé pour des affaires criminelles. Si le CP a effectivement demandé un avis juridique sur cette question et qu'il a été mal conseillé, cela soulève des préoccupations quant à sa responsabilité dans cette affaire. S’il agit en violation de la Constitution, il pourrait être exposé à des conséquences juridiques, y compris une destitution potentielle par un tribunal. La destitution pourrait être basée sur le motif de « inability to discharge the functions of his office ».

Est-ce que les décisions prises par le DPP sont toujours considérées comme définitives et incontestables ?
Détrompez-vous ! Les décisions du DPP ne sont pas incontestables. La Cour suprême l’a affirmé dans plusieurs arrêts. Toute décision du DPP relève de l’administration et est sujette à être revue par voie de révision judiciaire. 

Il y a une perception que le CP adopte la ligne dure face au DPP conséquemment aux poursuites pénales contre son fils, Chandra Prakashsing Dip. Est-ce plausible ?
Il semble évident qu'il existait déjà une fracture entre le CP et le DPP avant même l'engagement des poursuites pénales contre le fils du CP. Cependant, il est récemment devenu évident que cette rupture s'est intensifiée et a conduit à une situation d'implosion.

Certains persistent à croire que Xavier-Luc Duval avait eu raison de quitter le gouvernement pour barrer la route au Prosecution Commission Bill ? Est-ce que les récents événements lui donnent raison ?
Il est essentiel que le bureau du DPP puisse exercer ses fonctions de manière indépendante. Cependant, il convient de souligner que le DPP n'est pas souverain, car la Cour suprême a le pouvoir de réviser ses décisions par le biais d'une révision judiciaire. À mon avis, la Cour suprême est l'instance la mieux placée pour annuler toute décision du DPP jugée arbitraire. Le Prosecution Commission Bill aurait, à mon sens, porté atteinte à l'indépendance du DPP et aurait empiété sur le pouvoir de surveillance de la Cour suprême.

 

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