Depuis le jugement de la Cour suprême sur le contrat d’affrètement de Betamax, la notion de responsabilité des directeurs qui siègent sur les conseils d’administration des corps parapublics est à l’avant-plan. Les directeurs doivent-ils répondre individuellement des conséquences de mauvaises décisions ? Vanessa Napal, doyenne de la faculté de droit de l’Université de Maurice, et Megh Pillay, qui a présidé de nombreux conseils d’administration d’institutions publiques, apportent leur éclairage.
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Quelles sont les responsabilités les plus importantes d’un directeur d’une entité publique selon vous ?
Vanessa Napal : Les directeurs d’entités publiques s’engagent à agir avec compétence et efficacité, à disposer des fonds publics avec prudence, sans chercher à servir leurs intérêts personnels, ni ceux de leurs proches. Tout haut fonctionnaire doit être à la hauteur des responsabilités éthiques qui sous-entendent l’intégrité publique. Il est important de faire preuve d’un usage discipliné de la raison dans la gestion quotidienne des affaires, de maintenir un niveau d’autonomie en tant que décideur et de considérer les implications de décisions majeures à long terme tout en alignant les moyens sur les fins. Un directeur d’entité publique doit développer et renforcer des liens avec la communauté et les parties prenantes. Il est aussi important de gérer le stress et les dissensions qui entourent l’exercice du pouvoir afin de maintenir les valeurs et vertus démocratiques requises pour le bon déroulement du travail. Il revient au directeur d’assurer la durabilité et la légitimité des résultats obtenus tenant compte des enjeux sociaux et éthiques des activités économiques du secteur public.
Megh Pillay : Agissant au nom des actionnaires, les directeurs d’un Conseil d’administration (CA) sont collectivement responsables du succès de l’entité en assurant une gestion efficace dans le respect de tous les intérêts concernés. Cela nécessite une diligence raisonnable avant les délibérations, un jugement indépendant et la déclaration de l’intérêt dans des cas précis.
Les directeurs sont passibles d’être collectivement et individuellement responsables de tous dommages et intérêts résultant de leurs décisions. Même s’il n’a pas participé à un acte frauduleux, un directeur peut être tenu responsable s’il a été négligent ou volontairement aveugle. Un directeur doit absolument faire inscrire sa dissidence de toute décision qu’il juge illégale ou dangereuse. Plaider l’ignorance ou l’absence au moment où la décision est prise n’est pas acceptable.
Chez les entités publiques, c’est normalement au CA de recommander au ministre d’approuver ou de rejeter certaines décisions par la suite. C’est très souvent l’inverse qui se pratique. Le ministre ou le gouvernement décide ; le CA considère et entérine la décision et en prend la paternité. Les directeurs-fonctionnaires peuvent se prévaloir de la Public Officers Protection Act, pas les autres !
Au sein des entreprises au capital mixe État/Privé, les entorses risquent d’être lourdes de conséquences là où des personnes ne faisant pas partie du CA donnent des directives et agissent comme Shadow Directors sans en assumer les responsabilités des comptes et des résultats. C’est devenu presque la règle plus que l’exception chez certains.
La proposition d’un Economic Offenders Bill a fait surface. Faudrait-il pousser la responsabilité fiduciaire jusqu’à poursuivre un directeur pour une mauvaise décision ?
Vanessa Napal : La responsabilité fiduciaire découle d’un contrat établi entre deux parties qui se font mutuellement confiance et qui ont la responsabilité d’honorer les termes de ce contrat. La notion de responsabilité fiduciaire demande à ce que les parties concernées manifestent un niveau d’honnêteté exemplaire dans l’exercice de leurs fonctions. Compte tenu du niveau de responsabilité attribué à un directeur d’entité publique, la notion d’obligation devrait être étendue afin d’autoriser des sanctions au cas où ce dernier manquerait à son devoir. Le détenteur d’un tel poste a d’énormes responsabilités et se doit d’être attentif à ses priorités, faisant preuve de prudence politique, d’intégrité et de responsabilité morale.
Megh Pillay : En bref, un directeur occupe un poste de responsabilité importante. S’il manque à ses obligations et cause des pertes à la société ou gagne financièrement à la suite d’une violation, il peut être amené à rendre compte en conséquence dans le cadre légal existant. Je présume que l’Economic Offenders Bill est un projet similaire à la Fugitive Economic Offenders Act passée en Inde en juillet 2018. Naresh Goyal de Jet Airways et Vijay Mallya de Kingfisher Airlines ont été interpellés en conséquence de cette loi. Il est évident que cette loi renforcera la disposition légale pour déclarer une personne comme délinquant économique fugitif, faciliter son arrestation pour des infractions précises et contrer tout refus d’être poursuivie en justice.
Une telle approche ne risque-t-elle pas de paralyser le processus de prise de décision, semant la crainte auprès des conseils d’administration?
Vanessa Napal : Si les procédures sont respectées, il n’y a pas de risque de « paralysie ». Un directeur qui commet une faute grave devrait subir le même sort qu’un citoyen jugé coupable d’un délit quelconque. La responsabilité d’un conseil d’administration englobe gouvernance et stratégie de l’entreprise qui inclut le processus de prises de décision. Arbitrer entre ces différents rôles peut s’avérer une tâche délicate. Des règles claires doivent être établies afin que tout employé du secteur public sache que la loi et l’éthique s’appliquent à tout un chacun et ne doivent pas être contournées. Une loi devrait prévoir des sanctions bien définies au cas où le directeur d’une entité publique faillirait à son devoir de responsabilité légale et morale. Après tout, un conseil d’administration a pour but de contrôler les actions menées par les membres de sa direction.
Megh Pillay : Pas du tout. Au contraire, cela servira à rappeler aux directeurs leur devoir de responsabilités fiduciaires envers l’entité qui leur ont été confiées de bonne foi.
Est-il justifié, dans certaines circonstances, de ne pas avoir recours au Central Procurement Board selon vous?
Vanessa Napal : À mon avis, non. Le but du Central Procurement Board est de promouvoir les bonnes pratiques, la justice, la transparence, tout en limitant les risques de corruption. Cela requiert un niveau de discipline et d’intégrité morale qui permettrait au citoyen d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix sur les marchés publics. Tout individu qui assume une charge publique doit respecter les droits fondamentaux des citoyens devant la loi. Il est impératif d’agir en conformité avec l’éthique et les valeurs qui confèrent au poste de directeur d’entité publique son autonomie, sa légitimité et son pouvoir de décision.
Megh Pillay : Ayant été responsable de la gestion de l’Agricultural Marketing Board et de la State Trading Corporation sur plusieurs années avec des résultats qu’on connaît bien, je pense que cet amendement à la loi intervenu en 2009 était très nécessaire et doit être rapidement restauré suite au jugement récent de la Cour suprême. Dans leur sagesse, les législateurs avaient bien compris la nécessité d’exempter les entités engagées dans le commerce des produits essentiels de base. Le commerce des commodités se fait en temps réel aujourd’hui. Le Central Procurement Board a autre chose à faire.
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