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Madagascar : un jet privé fuit la crise vers Maurice, transportant l’ex-PM et un magnat controversé

Le Cessna 560XL appartient au groupe SODIAT. L’ex-Premier ministre Christian Ntsay se trouvait à bord. Mamy Ravatomanga, aussi dans l’avion, est un proche conseiller du Président malgache Andry Rajoelina.
  • Port-Louis suit l’affaire de près

Au cœur d’une crise politique et sociale qui secoue Madagascar depuis mi-septembre, un jet privé immatriculé 5R-HMR, appartenant au groupe SODIAT, a atterri en pleine nuit à l’aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam de Plaisance, à Maurice. À bord : l’ancien Premier ministre Christian Ntsay, destitué il y a une semaine, et Maminiaina Ravatomanga, dit « Mamy », influent homme d’affaires et proche conseiller du Président Andry Rajoelina. Ce départ précipité, survenu dans un climat d’instabilité grandissante, alimente les spéculations au sein de la Grande île, et esseule davantage le Chef d’État malgache.

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Le Cessna 560XL a décollé d’Antananarivo à 21 h 19, le samedi 11 octobre, après une journée marquée par des manifestations massives et des dissensions au sein de l’armée. Selon des sources autorisées, l’appareil a tenté à plusieurs reprises d’atterrir à l’aéroport de La Réunion, mais les autorités françaises ont refusé l’autorisation, invoquant des motifs de sécurité. Après deux heures et demie de vol, l’avion s’est posé à 00 h 44 sur le tarmac de Plaisance. À leur descente, les passagers – dont la famille de Mamy Ravatomanga – ont été escortés par un cortège de quatre véhicules pour quitter l’enceinte aéroportuaire, évitant ainsi les regards indiscrets.

À Madagascar, l’événement a d’abord suscité une panique : nombreux étaient ceux qui craignaient que le Président Rajoelina lui-même n’ait quitté le pays, fuyant la colère populaire. Il n’en était rien. À bord se trouvaient Louis Christian Ntsay, économiste de formation et Premier ministre de juin 2018 à octobre 2025 ; Maminiaina Ravatomanga ; son épouse Aina Fenosoa Ravatomanga ; leurs enfants Ramy Nivo Haingonirina Rakotoniary et Ramy Mialy Tiana Ravatomanga ; ainsi que six membres d’équipage. 

Mamy Ravatomanga, figure omniprésente du pouvoir, est accusé par les manifestants d’avoir pillé les ressources nationales. Propriétaire du conglomérat SODIAT – fondé en 1990 comme société de transport et étendu à la maintenance pétrolière, au BTP, à la presse, à l’hôtellerie, au tourisme, à la santé et à l’import-export –, l’homme d’affaires est cité par Forbes en 2017 comme le deuxième homme le plus riche de Madagascar. D’origine malgacho-ivoirienne, il est perçu comme le principal financier de la campagne du Président Rajoelina.

La crise malgache, déclenchée le 25 septembre par des manifestations contre la vie chère et la gouvernance, a dégénéré en violences urbaines à Antananarivo. Pertes en vies humaines, pillages et insécurité généralisée ont conduit le Président à dissoudre le gouvernement de Christian Ntsay le 29 septembre, face à « l’ampleur de la crise et à l’impossibilité de contenir la colère populaire ». Le 6 octobre, Christian Ntsay a été officiellement remplacé. Mais l’instabilité s’est accrue ce samedi, avec des ralliements au sein du département CAPSAT de l’armée, qui s’est rangé du côté des manifestants au cœur de la capitale.

Inquiétude et indignation

C’est dans ce contexte explosif que la « Génération Z Malagasy Maurice », un collectif de la diaspora mauricienne, a réagi avec indignation. Dans un communiqué urgent publié ce dimanche, le groupe dénonce un « atterrissage suspect d’un jet privé malgache à Maurice – Exigeons la vérité et la justice ». Ils expriment leur « profonde inquiétude et indignation face à l’atterrissage d’un avion de la compagnie Trans Ocean Airways (TOA), sur le tarmac mauricien ce dimanche à 0h47 », notant que l’appareil, bien que lié à SODIAT, opérait sous pavillon TOA. Les circonstances, jugées « plus que troublantes », soulèvent « des questions graves sur le respect des conventions aéronautiques internationales et la souveraineté de l’île Maurice ».

Le communiqué liste trois faits incontestables : un refus d’atterrissage à La Réunion par les autorités françaises ; des violations de procédures aériennes, dont l’absence d’autorisation de survol, un décollage sans transpondeur actif et une déclaration de carburant (low fuel) prématurée ; et une « discrimination mauricienne inacceptable », avec un appel « mystérieusement » lancé depuis La Réunion pour atterrir à Maurice à « une heure tardive ».

Arrestation et extradition

Le collectif exige trois réponses immédiates : l’identification des passagers et des motifs de l’atterrissage ; une enquête sur les violations flagrantes de procédures et l’arrestation immédiate et l’extradition des personnes soupçonnées. « Nous exigeons l’arrestation immédiate et l’extradition. Considérant les graves irrégularités du vol et le risque que ces personnes soient impliquées dans des actes de corruption ou de répression contre le peuple malgache, nous demandons instamment aux autorités mauriciennes d’agir », écrivent-ils. Ils appellent à une coopération pleine avec la justice malgache et à refuser l’asile à des individus qui « trahissent la confiance du peuple malgache ».

De son côté, la Présidence malgache a réagi dans un communiqué sobre, publié ce dimanche à Antananarivo. « La Présidence de la République tient à informer la Nation et la communauté internationale qu’une tentative de prise de pouvoir illégale et par la force, contraire à la Constitution et aux principes démocratiques, est actuellement en cours sur le territoire national », annonce le texte. Le Président Rajoelina, « garant de l’unité nationale », condamne « avec la plus grande fermeté cette tentative de déstabilisation » et appelle « l’ensemble des forces vives de la Nation à faire bloc pour défendre l’ordre constitutionnel et la souveraineté nationale ». Il réaffirme que « le dialogue est la seule voie et issue dans la résolution de cette crise qui traverse actuellement le pays » et que « tout acte de détérioration des biens publics entre en intérêt supérieur de la Nation ». Le peuple malgache est invité à « rester uni et empêcher toute tentative de déstabilisation et de division qui met en péril la démarche vers le développement de Madagascar ».

Mamy Ravatomanga, visé par les slogans de la Génération Z – qui scandent son nom dans les rues d’Antananarivo pour exiger son jugement –, s’était défendu publiquement le 6 octobre lors d’une émission spéciale. Confronté à des accusations selon lesquelles ses sociétés avaient été épargnées par les pillages, il a répliqué : « Si mes sociétés n’ont pas été victimes de pillages, c’est peut-être parce que beaucoup de personnes ont été aidées par notre association et que les bénéficiaires viennent volontairement nous aider à sécuriser nos sites. On a dit que pour les pillages, je serais derrière, avec des milices, qui aideraient les gendarmes. Ça n’a jamais existé et ça n’existera jamais. Les hommes que je forme à mon académie ne sont utilisés que pour la sécurité privée. On veut diaboliser mon nom et celui de ma société. »

Sur sa proximité avec le président, qu’il finance, Mamy Ravatomanga a insisté : « Je n’ai aucun problème avec lui. Peut-être que certains en ont, des gens à l’étranger qui aiment à penser qu’une dispute entre nous pourrait affaiblir le président de la République. Ils ont tort. »

Malgré ces dénégations, les allégations contre lui pèsent lourd : détournement de fonds publics à la Jirama, dont il siégeait au conseil d’administration ; pratiques monopolistiques sur la vanille et le litchi. Son départ en catimini, aux côtés de l’ex-Premier ministre, ravive les soupçons de fuite des élites face à une révolte populaire. À Maurice, la diaspora malgache reste vigilante : « Nous resterons vigilants et suivrons cette affaire de très près. La lutte pour la transparence et la justice ne s’arrête pas aux frontières de Madagascar. Elle est portée par chaque Malgache, où qu’il se trouve. Vérité et Justice pour le Peuple Malgache », conclut le communiqué de la Génération Z.

Situation suivie de près par Port-Louis

Les autorités mauriciennes, de leur côté, suivent la situation de très près, selon des sources gouvernementales. Bien que l’atterrissage du jet privé n’ait pas soulevé d’incident immédiat, Port-Louis a réaffirmé sa vigilance face aux développements à Madagascar. En cas de demande d’asile émanant du Président malgache Andry Rajoelina ou d’autres figures du régime, la question serait examinée au cas par cas, acceptée ou refusée en fonction du contexte et des circonstances spécifiques, dans le respect des obligations internationales en matière de non-refoulement et de souveraineté.

Ce dimanche, les manifestations se poursuivent à Antananarivo, tandis que le dialogue prôné par le président peine à s’engager. L’exil temporaire de ces figures clés pourrait-il apaiser ou, au contraire, attiser la colère ?

 

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