Litige devant la Cour suprême - Lu Heng : «AFRINIC n’est qu’un carnet d’adresses. On ne contrôle pas l’Internet avec cela»

Dans un entretien accordé au Défi Media Group, Lu Heng, Chief Executive Officer of Cloud Innovation Ltd, défend une vision décentralisée de l’Internet. Il estime que les tensions entourant AFRINIC découlent d’une confusion fondamentale d’imaginer que contrôler le registre africain des adresses IP équivaut à maîtriser l’Internet du continent.

Pour Lu Heng, AFRINIC n’est rien d’autre que « un bibliothécaire des numéros Internet. Rien de plus ». Il compare son rôle à « un carnet d’adresses simple et neutre » permettant seulement d’indiquer quelles adresses IP sont utilisées et par qui. « La personne qui tient le carnet d’adresses n’est pas propriétaire des maisons. Elle ne contrôle pas les rues. Elle note simplement des numéros. » Toute tentative de transformer cette fonction administrative en outil de pouvoir serait, selon lui, une erreur.

Souveraineté numérique 

Interrogé sur les initiatives continentales prônant une « souveraineté numérique africaine », Lu Heng est direct : « Croire qu’on peut contrôler l’Internet africain via AFRINIC revient à dire : Si je vole le carnet d’adresses, je possède toute la ville. C’est faux ».

Il cite les divergences profondes entre plusieurs pays africains, par exemple le Rwanda et la RDC, ou le Maroc et l’Algérie. Ceci, pour démontrer, selon lui, qu’un contrôle centralisé du réseau serait irréaliste : « On ne dirige pas Internet par commandement », précise-t-il

Selon Lu Heng, si des acteurs politiques imposaient une direction continentale unique, « ils ne feraient que briser Internet ». Les réseaux cesseraient de coopérer, entraînant une fragmentation comparable à des « visas pour les paquets de données ».

Le conflit avec AFRINIC 

Revenant sur l’origine du litige entre Cloud Innovation Ltd et AFRINIC, Lu Heng explique que son entreprise a agi « pour deux raisons : protéger les utilisateurs finaux et défendre l’État de droit ».

Il affirme que lorsque l’ancienne direction d’AFRINIC a tenté de retirer les adresses IP de Cloud Innovation « sans base légale », des millions d’usagers risquaient de perdre la connexion. « Ce n’était ni politique ni stratégique. C’était simplement protéger les usagers », évoque-t-il

Il indique que la Cour suprême a été appelée à intervenir à plusieurs reprises, notamment pour nommer un Receiver chargé d’organiser des élections internes « transparentes et équitables ». Lorsque ce Receiver a déclaré avoir reçu des directives politiques, Cloud Innovation est retournée en Cour afin de défendre « la Constitution mauricienne et la séparation des pouvoirs ».

Hub neutre

Pour Lu Heng, Maurice conserve un rôle essentiel : celui d’un espace stable où AFRINIC peut fonctionner sans interférence politique. Il estime que soutenir certaines initiatives continentales, notamment celles de Smart Africa, « rend Maurice ridicule et nuit à sa réputation ».

À ses yeux, le pays doit continuer de défendre « la neutralité, l’État de droit, l’ouverture de l’Internet et la décentralisation ». Tout en ajoutant que « L’Internet grandit grâce à la connexion, pas grâce au contrôle ».