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Linley Moothien, de 4 Tilapat : «La maltraitance animale est indissociable du Monkey Business»

À 48 ans, Linley Moothien est un plasticien, dessinateur et ingénieur en structures tensiles. Formé artistiquement à la Réunion et en ingénierie en Allemagne, il est entrepreneur dans le domaine de la location et de la fabrication de marquises à Maurice. Il est également le fondateur de l’association 4 Tilapat, qui milite pour le bien-être des animaux. Interrogé sur l’utilisation des singes mauriciens dans la recherche médicale, il partage son point de vue.

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Pourquoi 4 Tilapat ?
À la suite des inondations de Canal Dayot et Sable-Noir où se trouve mon entreprise, j’ai créé 4 Tilapat en 2013. Du jour au lendemain, des dizaines de chiens et de chiots se sont retrouvés abandonnés devant ma porte. Certains étaient encore vivants et laissés dans des sacs en plastique. 

Quel a été votre premier réflexe ?
Je les ai accueillis dans ma cour. Même si je n’avais jamais eu de chiens avant, je ne concevais pas de les laisser ainsi sur la route. En croisant mon chemin, ils sont devenus ma responsabilité. C’est ainsi que 4 Tilapat est née. 

De 10 chiens recueillis, nous sommes passés à 30, 50, 80 et plus d’une centaine. Comme la cohabitation sur place avec mon entreprise devenait difficile, nous avons bougé sur un plus grand terrain à La Brasserie, en avril 2018.

Ce n’est pas possible que Maurice continue une telle exportation alors que d’autres pays ont arrêté ce commerce depuis un bon moment»

Pourquoi cette fibre animale ?
Je ne pense pas avoir la fibre animale, mais plutôt celle de la justice, ainsi qu’une profonde aversion pour l’amateurisme et l’abus de pouvoir sur les plus vulnérables.

Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?
J’ai tout de suite compris que pas grand monde s’intéressait à la cause animale de façon désintéressée et sincère. Et plus encore, que personne ne voulait se salir les mains et marcher dans les crottes. Au départ, je pensais que c’était une initiative sociale et louable. Je pensais que l’aide viendrait rapidement des autorités et du public. 

Très vite, soit en 2019, j’ai compris que les autorités n’en avaient rien à faire de la cause animale. C’était d’ailleurs eux-mêmes qui frappaient et euthanasiaient les chiens errants à l’époque à travers la MSAW.

Pourquoi dites-vous cela ?
Les camions « lisien » sévissaient à n’importe quel moment et n’importe comment. D’ailleurs, le premier grand dossier que j’ai pris en main contre l’État en 2022, était celui de l’euthanasie sauvage à la MSAW. Ce qui a résulté en la fermeture du « Dog Pound » à Vallée-des-Prêtres, ainsi qu’en l’arrêt du ramassage des chiens et de l’euthanasie.

À ce jour, combien d’animaux avez-vous sauvés ?
4 Tilapat a sauvé des chats et des chiens errants et maltraités. Nous avons parfois été sollicités pour les chevaux à la retraite, hélas maltraités. Nous avons secouru des animaux de compagnie qui sont souvent laissés à eux-mêmes, sans eau ni nourriture. Donc, je dirais des certaines d’animaux sauvés. D’ailleurs, dans notre sanctuaire à La Brasserie, quelque 250 animaux vivent sur place. Nous avons souvent recueilli des chiens mourants. Nous avons toujours gardé le même réflexe de faire ce qu’il faut pour les remettre sur pied. 

Les résultats pharmaceutiques et biomédicaux n’ont pas été proportionnels à l’immense souffrance causée aux singes»

Que ressentez-vous quand vous ne pouvez pas les sauver ? 
Quand nous réussissons à le faire, c’est le sentiment du devoir accompli. Et quand nous ne réussissons pas, c’est le même sentiment. Car nous leur avons donné une fin de vie correcte. 

Pourquoi avez-vous rédigé ce rapport sur la maltraitance des singes mauriciens ?
Pour compiler ce rapport, j’ai passé des nuits en pleine nature pour observer et collecter des preuves. Avec l’aide de mon équipe, cela m’a pris trois mois pour le rédiger. L’objectif derrière ce rapport est de mettre en lumière les problèmes persistants depuis quarante ans.

Lesquels ?
Sans contrôle ni réglementation, le secteur du « Monkey Business » s’est institutionnalisé. Même si les fermes d’élevage de singes se trouvent dans des régions retirées, loin des regards, il reste un sujet délicat : la maltraitance animale. C’est pour cette raison que je suis intervenu pour dénoncer cet état de faits.

Nous possédions déjà les preuves de maltraitance présentes dans ce secteur depuis un bon moment. Ainsi, nous avons soumis ce rapport pour faire les choses conformément aux règles, pour que les portes soient ouvertes par la suite et non le contraire.

Il fallait être crédible et respectueux envers les procédures et les institutions afin de se faire écouter avec toute l’attention requise, sans sombrer dans le sensationnalisme.

À qui avez-vous soumis ce rapport ?
Le rapport a été soumis au ministère de l’Agro-industrie, au Premier ministre, au leader de l’opposition, aux responsables religieux, au Directeur des poursuites publiques, au commissaire de police et aux journalistes, entre autres.

En quoi cette industrie a-t-elle contribué à l’amélioration de la vie des Mauriciens ? Au contraire, elle apporte aujourd’hui son lot de conflits»

Que déplorez-vous ?
De la capture des singes dans la forêt jusqu’à leur exportation dans la soute des avions, ainsi que toutes les séries de procédures en laboratoire, le « Monkey Business » est un secteur d’activité étroitement lié à la souffrance des animaux. Avec mon ONG, nous sommes là pour faire respecter l’Animal Welfare Act, l’éthique et la bienveillance animale. Et d’ailleurs, je constate qu’il n’y a pas eu de progrès médical significatif à la suite de l’utilisation de singes dans ces tests biomédicaux.

Des solutions alternatives à proposer pour la recherche biomédicale ?
Les résultats pharmaceutiques et biomédicaux n’ont pas été proportionnels à l’immense souffrance infligée aux singes. Cependant, je ne peux pas me permettre de proposer des alternatives à la recherche biomédicale. Je ne suis pas un expert dans ce domaine, je suis un défenseur du droit animal. Je milite pour le respect des droits des animaux avec qui nous cohabitons depuis la création de la Terre. Je suis là pour veiller à ce qu’ils ne soient victimes d’aucun abus.

J’estime qu’une révision de toute cette industrie s’impose et qu’il est primordial de connaître l’implication de notre pays dans la recherche biomédicale. Il est inadmissible que Maurice continue une telle exportation alors que d’autres pays ont arrêté ce commerce depuis un bon moment. Il y a forcément un problème quelque part.

Il faut agir car j’estime que le nombre de singes exportés chaque année n’est pas proportionnel aux résultats biomédicaux pertinents et vérifiables. En guise d’exemple, le vaccin contre la COVID-19 a fait plus de dégâts qu’autre chose.

Êtes-vous convaincu que la quantité de singes exportés est excessive ?
Oui. Je suis aussi persuadé qu’il y a des exploitations cosmétiques et autres derrière ces exportations de singes excessives liées aux recherches biomédicales. Ça, c’est révoltant ! Aucun animal ne devrait souffrir autant juste pour permettre à une personne d’avoir une poudre ou un fond de teint qui convienne à sa peau. Si nous n’agissons pas, nous allons vers l’extinction de cette espèce dans notre pays. 

J’estime que le nombre de singes exportés chaque année n’est pas proportionnel aux résultats biomédicaux pertinents et vérifiables»

Que savez-vous de cette espèce de singe ? 
Au cours de ces 400 dernières années, les Macaques à long queue ont cohabité avec la population grandissante de Maurice, sans jamais poser de problème. Par contre, tout à coup on découvre qu’il est nuisible et envahissant depuis 40 ans. Si jamais nous n’agissons pas, nous allons perdre cette espèce. Elle sera d’abord « Endangered » et ensuite « Extinct » comme le dodo. 

D’ailleurs, les singes sont actuellement introuvables dans plusieurs endroits où nous les voyions souvent auparavant. Et dans d’autres endroits où nous ne les voyions pas jadis, ils sont présents désormais, à la recherche de nourriture ou de leurs proches capturés, étant donné que leur habitat naturel a été détruit et dégradé par des braconniers.

Parlez-nous de votre longue réunion avec Bioculture.
En juillet 2023, j’ai effectivement eu une longue réunion avec les responsables de Bioculture à Rivière-des-Anguilles. Ils y ont tenu leur discours habituel sur la recherche et les bienfaits des singes mauriciens dans la recherche biomédicale. Je n’ai pas du tout été convaincu, car ils essayaient de justifier des faits inacceptables sur la bientraitance animale. 

Ils m’avaient également proposé de visiter leur installation, chose que j’ai refusé. Je sais que derrière cette façade, il y a le vrai camp à Bel-Ombre, où se trouve la grande ferme de torture. 

Vous avez refusé de voir des singes en cage ?
Oui. J’ai refusé de le faire. Quand je vois des singes en cage, c’est pour moi un signe de maltraitance, ce qui va à l’encontre de l’Animal Welfare Act. De toute façon, j’avais déjà toutes les infos nécessaires sur Bioculture et voir ainsi ces singes en cage m’aurait donné l’envie d’ouvrir la porte pour les laisser sortir. (Rires)

Quel est votre constat après cette visite ?
Le « Monkey Business » est une industrie qui va à l’encontre de la morale et des droits des animaux, tels que définis dans notre Constitution. Je ne trouve aucune justification ni avantage à cette pratique. Je trouve juste une urgente nécessité de fermer toutes ces fermes d’élevage de singes et de revoir l’implication de notre pays dans la recherche biomédicale qui utilise des singes comme sujets d’expérimentation.

Maurice n’est pas un pays reconnu pour son expertise en recherche et nous avons beaucoup de choses à faire avant même d’entrer dans ce secteur. En quoi cette industrie a-t-elle contribué à l’amélioration de la vie des Mauriciens ? Au contraire, elle apporte aujourd’hui son lot de conflits.

Le ‘Monkey Business’ est une industrie qui va à l’encontre de la morale et des droits des animaux»

Pourquoi dites-vous cela ?
Les singes existent sur Terre depuis des milliers d’années. Ils sont présents sur le sol mauricien depuis environ 400 ans. L’activité de capture et d’élevage de singes à Maurice pour la recherche biomédicale est en place depuis 40 ans. Il y a là un problème. Avant ces 40 ans, comment procédait-on ? L’humanité avait-elle disparu ? 

Les singes mauriciens ne participaient pas à la recherche médicale à l’étranger avant 1985, était-ce un obstacle à notre existence ? Personnellement, je pense que nous aurions peut-être eu besoin de singes pour une recherche ou deux, essentielle et prioritaire. Mais pas une industrie avec des centaines de singes exportés. Non, là je sens qu’il y a une anomalie.

Doit-on laisser mourir les malades et cesser d’utiliser les singes mauriciens pour la recherche biomédicale ?
Si demain une épidémie se déclare chez les singes et qu’il nous est impossible de les approcher, l’humanité cessera-t-elle de survivre pour autant ? Je pense que nous trouverons forcément des alternatives. 

Les singes sont-ils à la base de toute notre industrie biomédicale ? Les méthodes naturelles telles que l’ayurvéda, et autres existent aussi, ou alors des domaines modernes avec des cellules souches, n’est-ce pas ? 

Je n’ai pas les compétences médicales pour répondre sur les raisons de l’utilisation des singes et autres animaux dans la recherche biomédicale. Je suis un défenseur des droits des animaux. Je suis là pour les protéger dans la mesure du possible. Je suis convaincu qu’ils ont leur raison d’être sur Terre. Il y a forcément des alternatives pour la médecine, sans avoir forcément recours à autant de souffrances. 

Donc, vous pensez que Maurice a « assez donné de ses singes » ?
Depuis 40 ans, j’estime que Maurice a suffisamment contribué avec ses singes à la recherche biomédicale. Je reste convaincu qu’il existe des dérapages, des abus et des exagérations dans ce secteur du « Monkey Business », et que les enjeux dépassent désormais le cadre strict de la recherche biomédicale. 

Je pense aussi que toute activité, en particulier celles en lien avec la nature, atteint un point où il est nécessaire de s’arrêter, de faire le point et de remettre les choses en question. Nous ne pouvons pas exploiter nos ressources naturelles sans procéder à un « reset ». 

Que demandez-vous ?
À l’aube de l’intelligence artificielle et des avancées technologiques, je demande de mettre une pause afin de revoir le bien-fondé et la raison d’être des animaux dans la recherche biomédicale, en particulier en ce qui concerne les singes mauriciens. Il est essentiel de solliciter à nouveau l’opinion de la population sur le sujet. Laissons le soin à la population de décider si elle souhaite continuer ou non avec de telles activités impliquant les singes mauriciens. 

Selon les désirs de la population, l’utilisation des singes dans le domaine biomédical a été interdite et le singe a été déclaré une espèce protégée dans d’autres pays. Donc, pourquoi Maurice est-il l’un des rares pays à poursuivre cette activité ?

Existe-il une solution morale ?
Je ne suis pas un scientifique, mais je sais qu’il existe pour ce problème une solution morale. Et quand elle est trouvée, cela conduit à un résultat naturel et propre qui se traduit par un bien-être national. Et qui sait, peut-être que tout cela entraînera également une diminution des mauvaises ondes pour notre pays.

Il serait temps aussi que les Mauriciens fassent un retour aux sources, avec une alimentation plus biologique, moins de pesticides, revoir notre mode de vie et ne pas perdre son temps avec des futilités. Nous avons des dizaines de méthodes saines et naturelles qui peuvent nous donner une meilleure vie sans maladie et sans que nous ayons besoin d’avoir recours à des médicaments, car qui dit médicaments dit souvent expérimentation inutile sur les animaux.

Le mot de la fin ?
Nous sommes face à de grands défis internationaux, et peut-être à une prochaine guerre nucléaire avec le conflit russo-ukrainien. Je propose que nous revoyions le système de protection de notre pays dans son intégralité. L’objectif serait de devenir autosuffisants, sans avoir besoin d’avoir recours à des importations. C’est cela notre véritable priorité, au lieu de prétendre être les sauveurs du monde, en exportant nos singes pour la recherche biomédicale ou pour toute autre raison obscure.

 

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