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Lillka Cuttaree, fille de feu Jayen Cuttaree : « Sanctionner une femme, c’est sanctionner un électorat… »

Lillka Cuttaree et son père, feu Jayen Cuttaree.

À 55 ans, Lillka Cuttaree, fille du regretté Jayen Cuttaree, avocat et figure emblématique du Mouvement militant mauricien, fait son entrée sur la scène politique en tant que candidate pressentie du Muvman Patriot Morisien (MPM) pour les législatives de 2024, sous la bannière de l’Alliance Lepep. Comment l’influence de son père a-t-elle nourri et façonné son engagement politique ? Dans une interview à Le Dimanche/L’Hebdo, elle nous livre ses réflexions et ambitions.

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Qui êtes-vous, Lillka Cuttaree ? 

Je suis une femme portée par un désir profond de créer du changement là où il est le plus nécessaire. Tout au long de ma vie, que ce soit en tant que mère, directrice ou entrepreneuse, une chose est restée constante : l’envie d’aider les autres à trouver leur place et à s’épanouir au quotidien.

J’ai toujours cru que l’on ne grandit vraiment qu’en élevant ceux qui nous entourent. C’est cette conviction qui m’a conduite à créer la JKC Foundation après la mort de mon père. Cet espace permet aux enfants les plus défavorisés de Beau-Bassin/Rose-Hill, souvent invisibles aux yeux de la société, de se découvrir, d’apprendre et de rêver chaque jour. 

Comme l’éducation pour tous est un vecteur essentiel pour la JKC Foundation, nous travaillons étroitement avec l’Institut français de Maurice (IFM) pour intégrer la créativité dans nos programmes éducatifs. L’éducation est le poumon du développement et doit s’accompagner d’une véritable politique d’inclusion. Aujourd’hui, la JKC Foundation lance également le Blossom Factory, le seul incubateur dédié aux femmes accrédité par le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC). C’est un projet très inclusif. 

Et au-delà des titres et des responsabilités ?

Je suis simplement une personne qui croit que chaque sourire et chaque petit pas vers un avenir meilleur compte. Pour moi, la véritable réussite se mesure au nombre de vies que l’on touche au cours de notre parcours personnel. 

Je suis aussi l’heureuse mère de deux enfants prénommés Meiya et Nash. J’ai fait mes études dans les universités françaises et américaines, dont Harvard University. 

J’ai toujours aimé aider les gens et cela a pris différentes formes, au fil des années. Pendant longtemps, je me suis concentrée sur les femmes en les accompagnant dans leur parcours vers l’autonomie. Et, depuis cinq ans déjà, mon attention s’est aussi tournée vers les projets à impact social. La JKC Foundation a joué un rôle primordial dans cette recherche de projets inclusifs. Nous avons pu tester des activités éducatives avec les enfants de la petite enfance, en misant sur l’innovation et l’automatisation. Nous avons pu voir leur épanouissement, leur sourire et leur curiosité grandir. C’est un bonheur inestimable ! 

C’est un engagement qui me nourrit profondément en plus de mes autres plaisirs comme l’écriture, la danse, la cuisine et les moments précieux en famille.

La jeunesse fait peur à la plupart de nos leaders et cela se traduit par des barrières parfois irrationnelles, dont communales"

Quelle est votre devise dans la vie ? 

On ne vit qu’une fois et il importe de savoir quel type d’héritage ou d’impact on veut laisser. Parfois, il faut savoir sortir de sa zone de confort pour explorer l’intérieur de soi. Parfois, cela demande du courage d’avoir une voix. Laisser une bonne impression est moins important – je ne suis pas une imprimante !

Quel est votre plus grand rêve ?

Je crois en une île Maurice où chaque personne, quelle que soit son origine, dispose des moyens nécessaires pour réaliser son potentiel. Au-delà d’un rêve, il s’agit d’un projet de société national auquel nous devons, en tant que citoyens, aspirer et contribuer. 

Le Mauricien doit réapprendre à oser et nos décideurs doivent investir dans l’innovation. Pour ce faire, nous devons croire à un leadership éclairé et investir dans une communauté solidaire où l’entraide est la boussole morale et la responsabilité collective est au cœur de nos valeurs. Cela implique d’agir localement, de soutenir des initiatives qui font vraiment la différence et d’encourager chacun à jouer son rôle. 

Le changement débute par des actions concrètes, que ce soit en partageant nos connaissances, en célébrant la différence, en investissant dans l’éducation de nos jeunes ou en s’engageant dans des projets qui protègent notre environnement. Ce que je propose n’est pas un idéal abstrait, mais un véritable appel à l’action. En unissant nos forces et en mettant nos talents au service de la communauté, nous pouvons créer une île Maurice où chaque voix est entendue et chaque aspiration a sa place. Il faut savoir collaborer malgré nos différences pour aller vers le greater good d’un pays.

Cela demande du courage d’avoir une voix"

Quelle est votre ambition ? 

Je suis dans un cycle de vie où, en tant que femme, j’essaie d’apporter de l’inspiration et de l’impact. Mon ambition est d’assurer cette mission dans un cadre plus national, voire régional.

Qu’est-ce qui vous a motivée à suivre les traces de votre père en vous lançant en politique ? 

Je ne pense pas suivre les traces de mon père, mais son parcours m’a sûrement influencée. J’ai eu la chance de côtoyer les grands leaders politiques tels que Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, sir Anerood Jugnauth, Pravind Jugnauth, tous des amis de la famille. Je pense qu’être enfant de politicien peut offrir beaucoup d’atouts pour une entrée en politique, à condition que l’apport reste positif et vivant. 

Dans le cas de mon père, je pense que j’ai hérité de sa passion pour l’avancement de son pays, mais aussi de son approche collaborative, toujours respectueuse de ses partenaires et antagonistes. Surtout, son sens de l’optimisme et sa capacité à ne pas se prendre trop au sérieux nous rapprochent des gens et ont fait de lui un député de proximité. 

Mon parcours est dans le social avec la JKC Foundation et mon travail est axé sur la région de Beau-Bassin/Rose-Hill. Je vois la souffrance des gens au quotidien et il y a énormément de choses à faire.

L’indignation est un folklore qui doit être dépassé"

Avez-vous toujours eu un intérêt pour la politique ? 

L’entrée en politique a toujours fait partie de mon univers. Néanmoins, l’opportunité ne s’est pas toujours présentée. Malheureusement, la jeunesse fait peur à la plupart de nos leaders et cela se traduit par des barrières parfois irrationnelles, dont communales. Les partis politiques classiques ont, pour la plupart, besoin d’un plan de succession pour attirer les talents.

J’ai souvent été sollicitée par certains leaders de partis, mais tous les éléments n’étaient pas alignés. Nous le vivons encore aujourd’hui. 

Au risque de me répéter, il faut absolument laisser la nouvelle génération faire ses preuves en politique. Et, effectivement, il faut élire des politiciens qui ont les compétences pour gérer un gouvernement et représenter le pays internationalement. Le brain drain économique est aussi politique. 

Pourquoi ce choix de soutenir le Muvman Patriot Morisien (MPM) sous l’Alliance Lepep ? 

Alan Ganoo est un ami militant de longue date de la famille. Il a un leadership respectueux qui me convient. Il s’agit d’un petit parti qui attire de jeunes talents et qui a le potentiel de répondre aux attentes d’un électorat qui prône plus de justice sociale et d’inclusion. Le monopole du cœur n’appartient pas à un parti, mais à sa légitimité par ses membres. 

Serez-vous candidate pour les législatives 2024 ? 

J’ai personnellement été sollicitée par tous les grands leaders politiques et j’apprécie les contraintes de chacun pour tenir leurs promesses et forger leur héritage. Ce calcul d’ethnicité et de délité dans le choix des candidats se fait au détriment de la compétence. C’est parfois dommage. Il faut arrêter de parler de chatwas. Il y a beaucoup de talents qui n’ont jamais eu l’opportunité d’être invités à la table et d’intégrer des systèmes où ils peuvent apporter ce changement. 

Pour les législatives 2024, j’ai été approchée en tant que femme professionnelle pour représenter le changement à l’intérieur d’une coalition de continuité. Cependant, la dynamique des alliances peut réserver des surprises concernant la liste des candidats alignés. Jusqu’au Nomination Day, tout est possible...

Votre père a marqué la scène politique avec ses convictions bien affirmées au sein du MMM. Vous vous identifiez à ses idéaux ? 

J’ai vu mon père sortir de la politique avec amertume. J’étais extrêmement proche de lui et, certes, il était mon role model : droiture, authenticité et patriotisme. Ce sont des valeurs qui continuent de m’animer… 

Parfois, lorsque je vois comment la politique a évolué, je me dis que c’était mieux pour lui de s’en être éloigné. Nous sommes dans un système où l’ethnicité et les ressources financières guident les choix. Mais la population est de nature optimiste et je pense que l’on continue à rechercher des hommes et des femmes qui apportent une source d’inspiration. 

J’aime dire que la politique, c’est un peu comme un milieu entrepreneurial. On a les ressources qui nous suivent, car nous recherchons de l’inspiration. Cependant, il faut avoir ces mêmes ressources humaines et financières pour créer de la valeur pour les personnes qui croient en nous. 

J’ai personnellement beaucoup de respect pour les petits partis qui sont souvent des modèles de diversité et qui continuent à se battre pour les idéaux. Malheureusement, le système électoral ne leur permet pas d’émerger. 

Comment trouvez-vous l’équilibre entre honorer l’héritage politique familial et affirmer votre propre manière de faire les choses ? 

Le milieu politique est très dur. Il requiert beaucoup de sacrifices familiaux et professionnels, du moins dans mon cas. Il est primordial, dans cette course, de se poser, dès le départ, les bonnes questions sur son impact. Je crois en la politique de proximité, car c’est la seule approche pour rester au service des gens qui croient en nous et, surtout, pour apporter des solutions. Je pense que l’indignation est un folklore qui doit être dépassé.

Comment avez-vous vécu les campagnes électorales aux côtés de votre père ? 

J’ai surtout vécu la campagne électorale de 1982. J’étais adolescente à l’époque. J’étais toujours présente sur l’estrade après les meetings et en coulisses pour les danses folkloriques, ainsi que dans les défilés et dans les rues pour les célébrations. Les enfants de politiciens étaient ma famille de tous les jours. La situation est très différente aujourd’hui.

Y a-t-il des leçons que vous avez tirées de ces expériences ? 

Je pense que mon choix de me lancer dans la politique s’accompagne de beaucoup de sacrifices personnels et de contraintes que, parfois, le public ne connaît pas toujours. Je n’ai pas de souvenirs de dîners familiaux ni de vacances. Le service au public était quelque chose de très prenant et absolu, à l’époque. De ce point de vue, je salue toujours les jeunes politiciens, surtout les mères de famille qui réussissent ce lourd équilibre de faire des pages horaires pour leur famille. 

J’ai vu aussi le long parcours de mon père, toujours populaire auprès des gens de sa circonscription de Stanley/Rose-Hill, dans l’opposition. Il était aussi très apprécié par les collègues politiques de tous bords. La proximité est très importante, et je suis respectueuse des hommes politiques de tous bords qui continuent à pratiquer cette approche. 

Je n’ai pas eu le temps de vraiment parler de mon engagement politique avec mon père. Son décès remonte à cinq ans, mais il savait que j’allais faire mon entrée en politique à un moment. Il m’avait demandé de ne pas sacrifier ma famille et de laisser grandir mes enfants. C’est ce que j’ai fait. 

Quels sont les défis spécifiques auxquels les femmes sont confrontées dans la politique ? 

Déjà au niveau sociétal, nous sommes loin d’un État d’égalité en matière d’accès à l’emploi, aux positions décisionnelles ou de parité salariale. Ce sont des domaines où je suis souvent sollicitée pour apporter plus d’éclairage sur les politiques de diversité et d’inclusion au niveau du secteur privé, et même au niveau national. Les femmes en politique vivent les mêmes défis. À Maurice, nous sommes loin d’une représentation honorable au niveau du Parlement et cela affecte le classement de notre pays au niveau du World Economic Forum. 

Quelles solutions ?

Je pense qu’il faut créer les conditions nécessaires pour que les femmes puissent faire leur entrée en politique, et leur donner, après leur élection, des positions de leadership à compétence égale, ainsi que sanctionner les politiciens qui font de la violence verbale envers les femmes. Les politiques publiques ont un impact plus inclusif, si nous avons plus d’équité au niveau de l’hémicycle. Nous ne pouvons pas résumer le rôle de la femme en politique à des calculs de quotas. 

J’ai beaucoup de respect pour les petits partis qui sont souvent des modèles de diversité et qui continuent à se battre pour les idéaux"

Pensez-vous que la scène politique mauricienne accorde suffisamment d’opportunités aux femmes ? 

Définitivement non, et le nombre de femmes qui seront alignées lors des prochaines élections sera une bonne indication de l’importance accordée par les leaders politiques à une politique d’inclusion.

À quand ce leader qui pourra faire l’Histoire en alignant une femme dans chaque circonscription du pays ? 

Nous avons, aujourd’hui en politique, le même problème que nous avons au niveau organisationnel avec les femmes dans les Boards. Avant, on disait que ce sont les femmes qui butent pour ces rôles, mais avec le système de quota, nous avons presque atteint 25 % de femmes dans les listes des Boards. Je pense qu’il faut promouvoir la discrimination positive dans le système politique. La plupart des pays ont commencé par là, donc cela montre que la parité politique n’est pas quelque chose de naturel.

Pourquoi sommes-nous en retard quand il s’agit d’une meilleure représentation féminine en politique ?

Nous sommes en retard sur la représentation féminine, car nous ne créons pas un écosystème politique adapté pour attirer les femmes. Les systèmes parlementaires existants ne permettent pas toujours aux jeunes femmes politiciennes d’émerger. On leur demande toujours de faire un choix. Pourquoi devons-nous finir aussi tard les débats parlementaires, alors que certaines personnes vont se réveiller quelques heures après pour s’occuper de leurs enfants ? Je pense que c’est une question à se poser…

Quels sont les dossiers et causes qui vous tiennent à cœur et sur lesquels vous souhaitez vous engager en tant que femme en politique ? 

Je dirais l’éducation, l’inclusion, le développement économique et les relations internationales. Ce sont des domaines que je maîtrise professionnellement et qui, encore une fois, sont axés sur le développement humain.

Avez-vous un message pour encourager davantage de femmes à faire de la politique ? 

Restez tenaces et croyez en votre contribution. Nous représentons plus de 50 % de l’électorat. Sachez collaborer avec les femmes parlementaires de tous bords politiques, car le débat a besoin d’authenticité. Sanctionner une femme, c’est sanctionner un électorat. Sachez aussi sortir avec grâce lorsque les conditions ne sont plus réunies…

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