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Les Mauriciens croient de moins en moins aux versions officielles

Les réseaux sociaux ont amplifié cette crise de confiance entre la population et les politiques.

Le manque de communication du gouvernement et la polarisation de certains médias sont autant de facteurs qui poussent les citoyens à prendre des vessies pour des lanternes. Un scientifique et trois spécialistes des médias expliquent cette situation. 

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Le phénomène n’est pas nouveau. Le manque de transparence notoire du gouvernement sur certains dossiers brûlants, couplé à la propension de radiotélévision nationale et d’autres médias proches de pouvoir à distiller l’information poussent de plus en plus de Mauriciens à s’abreuver en théories de complot.  

Un petit tour sur les réseaux sociaux montre que les thèses les plus farfelues sont les plus populaires, que l’émotion l’emporte bien souvent sur le rationnel et que tout avis contraire est voué aux gémonies. Depuis le naufrage du MV Wakashio, différentes théories sur le drossage du minéralier sur les récifs de Pointe-d’Esny foisonnent, les explications officielles étant considérées comme infondées.  

Manque de confiance

« Il y a un manque de confiance dans tout. Ce qui ne date pas d’aujourd’hui, bien au contraire. Les gens ne cherchent pas à se renseigner avant de colporter ce qu’ils croient être des informations fiables. C’est plus facile pour eux de partager de la désinformation que du concret. Quelqu’un croit avoir vu un cachalot, tout le monde le croit. Des hydrocarbures n’ont pas été découverts dans le système digestif ou respiratoire des mammifères, mais les gens vont s’attarder sur la photo de la gueule d’un dauphin échoué sur un rivage pollué », déplore un scientifique.   

Dans une telle situation, la presse indépendante a le devoir de jouer son rôle de phare dans ce brouillard, afin de guider les citoyens. Le sensationnalisme étant le propre des réseaux sociaux. La facilité avec laquelle certains médias reprennent ces théories de complot sur ces mêmes réseaux, sans toutefois apporter de réponses claires, ne fait qu’alimenter la polémique, constate notre interlocuteur.  

« C’est un manque de formation sans doute, pour les uns, et un manque d’éthique, pour d’autres. Le sensationnalisme fait vendre. Les médias doivent éclairer les gens. Très peu de titres seulement sont intéressés par ce qui se passe. On préfère écouter des personnes qui véhiculent des faussetés. C’est un comportement grégaire », fait-il comprendre.  

Pas de rationalité, pas de sérénité

« La crise de confiance dans la parole des politiques n’est pas le propre de Maurice. Je ne vais pas nécessairement rejoindre l’analyse de Lalit, je sais que tout le monde leur est tombé dessus à bras raccourcis, mais il y a des éléments qu’il ne faut pas rejeter », fait ressortir Christina Chan-Meetoo, chargée de cours en communication à l’université de Maurice. 

Elle fait valoir que les Mauriciens ont toujours critiqué les politiciens ou les partis qu’ils ont portés au pouvoir. Avant, ces ras-le-bol c’était davantage dans les cercles intimes. Avec les réseaux sociaux, ils n’hésitent pas à partager leurs opinions à visage découvert. « Vraie ou fausse, la viralité est tellement facile, tellement grande, que ça peut faire le tour de la planète en un clin d’œil », poursuit-elle.  

Réceptif à une nouvelle, même fausse, parce qu’elle répond à plusieurs critères inconscients..."

« La polarisation accrue des médias n’aide pas à éclairer les lecteurs », dit-elle. Elle remarque également que certains « journalistes n’aident pas » à décanter la situation, notamment à travers des posts ironiques ou qui ne sont ni plus ni moins que du « character assassination ». « L’objectivité pure n’a jamais existé. Au fil des années, il y a des positionnements de médias pro ou anti gouvernement, ça n’aide pas à assainir le débat », déclare-t-elle.  

La situation est telle que les Mauriciens sont à fleur de peau sur les réseaux sociaux et qu’ils peuvent descendre une personne qui décide de faire part d’une opinion contraire. « Il n’y a pas de rationalité, pas de sérénité. » Elle déplore la mauvaise communication du gouvernement sur le MV Wakashio. « Il y a eu des manquements, il n’a pas communiqué assez vite », ajoute-t-elle. 

Tout le monde est un média

« Les rumeurs ont toujours existé et déstabilisé les sources officielles, gouvernement et presse. Mais aujourd’hui, elles ont beaucoup plus d’ampleur et voyagent plus vite avec la caisse de résonance qu’est Facebook. Tout le monde est un média. Pas uniquement les journaux, la radio », constate Ariane Cavalot-de l’Estrac, ancienne directrice de publication de La Sentinelle.  

« Je vais écouter la rumeur, elle va “prendre” sur moi parce qu’elle se nourrit de la part d’ombre qui est en moi : la peur, la frustration, la colère. Je suis réceptif à une nouvelle, même fausse, parce qu’elle répond à plusieurs critères inconscients. Elle est compatible avec et elle renforce ce que je pense déjà. Elle tient la route ; elle vient d’une source crédible, la personne qui l’a partagé sur Facebook est crédible puisque je la connais », enchaîne-t-elle.  

« La rumeur est acceptée par des gens comme moi ; elle est soutenue par des preuves, par exemple une photo. La photo d’un dauphin mort sur une plage qui a l’air d’avoir des traces de pollution répond à tous ces critères pour que je conclue que c’est à cause de la marée noire provoquée par le MV Wakashio », résume-t-elle. 

Tsunami de mauvaises interprétations

Zeenat Hansrod, une journaliste du desk anglais à Radio France Internationale qui suit assidûment l’actualité locale constate que certaines pratiques au sein des médias locaux aident à propager de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux. « Le copier-coller est une plaie dans notre profession. Copier une information et la diffuser sans contre-vérification est irresponsable et peut avoir des conséquences désastreuses », analyse-t-elle.  

« Le 1er septembre, j’ai obtenu des informations du Japon que certains médias influents, à l’instar de la Tokyo Broadcasting System, rapportent que Port-Louis réclame une compensation de 3,2 milliards de yens, soit l’équivalent de Rs 1,2 milliard, de Tokyo pour la marée noire provoquée par le MV Wakashio. Ils ont tous repris une information reprise par un média mauricien », explique celle qui a démarré dans le journalisme à Maurice. 

« Cette information grandement diffusée au Japon a causé un tollé, car les Japonais estiment que ce n’est pas à leur gouvernement de mettre la main à la poche, mais à l’armateur du minéralier. En fait, Maurice réclamait de l’aide pour l’achat de bateaux de pêche semi-industriels et l’erreur vient d’une mauvaise traduction du français au japonais. Cela a créé un tsunami de mauvaises interprétations », ajoute-t-elle.  

« Cela prend un peu de temps pour vérifier une information, mais il faut s’y atteler, surtout à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux qui permet à tout le monde d’écrire et de partager très facilement. Rapporter rien que les faits est essentiel à la rigueur et à l’éthique de notre métier », fait-elle ressortir. Elle met en exergue la différence entre le journalisme, l’activisme et l’opinion. Il y a une règle à respecter : « Il ne faut jamais mélanger faits et opinions ».

 

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