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Les Assises de la pauvreté : écouter pour mieux agir

Mgr Durhône et le ministre Subron, ainsi que d’autres parties prenantes dans l’assistance, hier.
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Le diocèse de Port-Louis organise les Assises de la pauvreté en novembre pour mieux structurer l’aide aux démunis. Un processus d’écoute a débuté avec les ONG au collège Lorette de Rose-Hill, le samedi 24 mai.

Le diocèse de Port-Louis a lancé un processus inédit : écouter les personnes en situation de pauvreté. Cette démarche, qui culminera en novembre avec les Assises de la pauvreté, réunit des ONG et acteurs de terrain pour structurer l’aide autrement, à partir d’un principe clé : laisser s’exprimer les premiers concernés.

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« Qu’est-ce qui empêche des personnes d’avoir une maison décente pour habiter ? » s’est demandé le père Gérard Mongelard.

« On dit souvent qu’on va faire des choses pour les pauvres, mais à quel moment écoute-t-on vraiment leurs cris ? » interroge le père Gérard Mongelard, vicaire épiscopal pour le domaine social. Inspirée par l’approche d’ATD Quart Monde, cette initiative, lancée hier, au collège Lorette de Rose-Hill, rompt avec l’assistanat classique pour privilégier une écoute directe et active.

Pour Mgr Jean Michaël Durhône, évêque de Port-Louis, « on ne peut aider les pauvres sans connaître leurs réalités ». Depuis le lancement, les premiers témoignages recueillis révèlent une pauvreté qui dépasse le matériel : stigmatisation, racisme, isolement. « Il y a aussi une pauvreté du cœur », souligne l’évêque.

Ce processus s’échelonne en plusieurs étapes jusqu’en novembre. Le mois de juillet marquera un moment fort avec le Jubilé des détenus, donnant la parole à une population souvent marginalisée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 60 % des détenus sont issus de la communauté créole. Pour le père Mongelard, seul un recensement ethnique permettrait de « regarder la réalité en face ».

Les sessions d’écoute ciblent divers groupes vulnérables. En novembre, les Assises de la pauvreté coïncideront avec la Journée des pauvres. Un plaidoyer sera alors présenté, portant les solutions proposées par les personnes elles-mêmes.

Mais la route est longue. Le père Mongelard déplore la lenteur des avancées malgré les ressources engagées. Tranquebar reste l’exemple criant : depuis 40 ans, plus de 125 familles vivent dans des conditions précaires. « Qu’est-ce qui empêche ces personnes d’avoir un logement décent ? » lance-t-il.

Le diocèse appelle à dépasser les clivages traditionnels. « La pauvreté ne concerne pas que le gouvernement ou l’Église. C’est l’affaire de tous », martèle le père Mongelard, qui prône une coordination avec les ONG, dans l’esprit du plan Marshall sur la pauvreté. L’enjeu ? Une réponse collective, durable et ancrée dans la réalité.

Les visages multiples de la pauvreté

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Monique, de l’ONG Oasis de Paix, parle d’une accentuation de la misère morale.

À travers les témoignages recueillis lors des sessions d’écoute organisées dans le cadre des Assises de la pauvreté, une autre image de la société mauricienne se dessine : celle des injustices silencieuses, des blessures invisibles et des discriminations ordinaires.

Les participants ont évoqué des formes de pauvreté méconnues, souvent passées sous silence. Discrimination basée sur la couleur de peau, le type de cheveux, ou encore la localité d’origine… autant de stigmates qui n’ont aucune justification, mais qui se traduisent par des humiliations, un accueil froid ou des paroles blessantes dans la vie quotidienne.

Monique, de l’ONG Oasis de Paix, observe une évolution inquiétante : si la misère matérielle a diminué, la misère morale s’est accentuée. À Pointe-aux-Sables, les enfants accueillis portent chacun une histoire douloureuse. Cela se reflète dans leurs difficultés à l’école. Elle plaide pour une meilleure formation des enseignants : apprendre à aimer avant d’enseigner. Christelle, de la même ONG, renchérit : « Il faut redonner confiance et dignité à ces enfants. »

La pauvreté, c’est aussi la promiscuité, comme le rappelle Gilberte : familles entières vivant sans toilettes ni espace privé, dans des conditions déshumanisantes. Sean Runghen, directeur de l’Action Familiale, souligne la souffrance silencieuse de nombreux enfants, abandonnés ou élevés par des grands-parents, faute de présence parentale. Pour lui, « quand la famille va mal, c’est toute la société qui va mal ».
Agnès, animatrice d’ateliers en milieu scolaire, parle de « pauvreté du cœur » : un vide affectif chez les enfants, souvent masqué par des troubles du comportement. « Ce manque de regard bienveillant détruit l’estime de soi », dit-elle.

Autre réalité douloureuse : des mères confrontées à la dépendance de leurs enfants à la drogue, comme l’ont partagé Marie-Claire et Janette. Ou encore Anita, qui dénonce l’absence d’écoute et de respect dans les services sociaux. Christelle, elle, pointe les étiquettes collées selon les origines.

En réponse, le ministre Ashok Subron a promis des réformes pour garantir un accueil plus humain et équitable. Car derrière les chiffres, ce sont des vies, des douleurs, des appels à la dignité qui méritent d’être entendus.

Subron plaide pour une redéfinition de la pauvreté

Le ministre de la Sécurité sociale, Ashok Subron, appelle à une redéfinition de la pauvreté à Maurice, estimant que les notions actuelles de pauvreté absolue et relative sont insuffisantes. Lors de la demi-journée de réflexion au collège Lorette de Rose-Hill, il a critiqué la ligne de démarcation du Registre social de Maurice (RSM), déclarant : « Il faudrait complètement revoir cela. » Pour lui, la pauvreté doit être analysée en lien avec l’opulence, tenant compte des richesses produites par la société.

Ashok Subron insiste sur une approche élargie, incluant les dimensions morale, émotionnelle et psychologique de la pauvreté. « La société mauricienne est en pleine mutation. Il faut beaucoup d’écoute, et c’est pour cela que je suis ici aujourd’hui », a-t-il affirmé. Il propose d’ancrer les droits économiques, sociaux et culturels (logement, santé, éducation, emploi, non-discrimination) dans la Constitution, tout en renforçant le social transfer pour redistribuer les ressources vers ces ayants droit.

Le ministre souligne la nécessité de restructurer la National Empowerment Foundation (NEF) et la National Social Inclusion Foundation (NSIF) pour mieux lutter contre la pauvreté et les inégalités. « Est-ce que nous ne devons répondre qu’à la pauvreté absolue ou bien la pauvreté relative ? Faut-il répondre à la question de l’inégalité qui est connectée avec la pauvreté ? » Il plaide aussi pour un soutien accru aux associations de quartier, afin de redonner « goût à la vie » et de mobiliser les jeunes.

Pour contrer le fléau de la drogue synthétique, il envisage des activités post-scolaires pour les jeunes et une réduction à 40 heures de la semaine de travail pour renforcer les liens familiaux. Enfin, il annonce une enquête sur les homes illégaux, visant à améliorer leurs conditions et à relocaliser les résidents, tout en soutenant les structures légales.

 

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