
Alors que le pays traverse une période de méfiance et d’une frustration sociale, le « feel good factor » semble s’éroder. Entre promesses non tenues, réformes controversées et colère populaire grandissante, le climat ambiant appelle des gestes forts pour restaurer la confiance et relancer une dynamique positive.
Huit mois après les élections générales de novembre 2024, le climat d’espoir qui avait brièvement émergé s’estompe peu à peu à Maurice. Les attentes sociales, économiques et politiques qui accompagnaient l’arrivée du nouveau gouvernement peinent à se concrétiser. Aujourd’hui, c’est une période d’incertitude qui s’installe, alimentée par un sentiment de stagnation, des réformes controversées et une mobilisation populaire sporadique, mais significative.

Pour le politologue Avinaash Munohur, l’état d’esprit des Mauriciens traduit une désillusion croissante. « Le fameux ‘feel good factor’ est bel et bien en recul, alimenté par un climat de méfiance et une perception d’inaction gouvernementale », affirme-t-il. Les espoirs nourris par les électeurs à la fin de 2024 étaient élevés. Toutefois depuis, plusieurs signaux d’alerte s’accumulent : pouvoir d’achat en baisse, insécurité grandissante, et prolifération des drogues dans certains quartiers.
Selon Avinaash Munohur, ces préoccupations ont fortement influencé les résultats électoraux. « Le nouveau gouvernement était donc attendu de pied ferme sur ces problèmes », rappelle-t-il. Or, quelques mois après leur prise de fonction, il note un sentiment généralisé de stagnation. « Il serait inadéquat de faire un bilan aujourd’hui, car il faut du temps pour effectuer certaines réformes », nuance-t-il, tout en reconnaissant que la perception dominante est celle d’un décalage entre les attentes et l’action.
Une réforme devenue symbole de rupture
Parmi les mesures les plus controversées figure le relèvement de l’âge de la pension, annoncé dans le dernier budget. Pour Avinaash Munohur, cette décision a profondément entamé la confiance publique. « Cette réforme n’a pas été discutée pendant la campagne électorale », souligne-t-il, la qualifiant de « trahison » politique. S’il admet que le financement des retraites est un défi réel, il insiste sur l’absence de dialogue en amont. « En agissant sans concertation, le gouvernement a déclenché une bombe sociale », fait-il ressortir.
Le parallèle est rapidement fait avec d’autres épisodes récents de crise de confiance, notamment la gestion de l’affaire Wakashio. « Toutes réformes futures deviendront extrêmement difficiles à réaliser avec une population déjà sur le qui-vive », prévient-il.
Une lecture plus nuancée du climat économique
De son côté, Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’ANNEAU, invite à adopter une perspective plus large. Il ne rejette pas totalement l’idée que le feel good factor s’est affaibli, mais rappelle que les réalités socio-microéconomiques sont plus complexes. « Il est difficile de réunir le meilleur des deux mondes. Le pays avait besoin d’une discipline et d’un resserrement budgétaires », indique-t-il.
Les attentes sociales, économiques et politiques qui accompagnaient l’arrivée du nouveau gouvernement peinent à se concrétiser.»
Sur le plan macroéconomique, il souligne qu’une consolidation budgétaire peut avoir un effet récessif à court terme, en réduisant la demande globale via la fiscalité et la baisse des dépenses publiques. Toutefois, il insiste sur le fait que les spécificités de l’économie mauricienne peuvent générer des effets multiplicateurs qui, à terme, relanceraient la croissance. « Tout dépend des spécificités locales », avance-t-il.
Il précise que certaines mesures fiscales annoncées dans le budget ont été ajustées depuis par le Cabinet dans le but de maintenir l’attractivité de la juridiction mauricienne. « Une contribution équitable a été redéfinie pour les hauts revenus et les entreprises. Des clauses de droits acquis et un moratoire sont également prévus pour rassurer le marché immobilier, toutefois attendons les détails dans le prochain Finance Bill pour mieux évaluer l’impact économique sous-jacent ».
Retards, incertitudes et confiance en question
Shamima Mallam-Hassam, présidente de Mauritius Finance, estime quant à elle qu’il existe des éléments positifs, notamment dans le budget 2025-26, qui comprend des mesures destinées à améliorer la facilité de faire des affaires. Toutefois, elle pointe également des retards dans l’exécution de certaines réformes. « Beaucoup de choses prennent du retard en l’absence de direction. Le nouveau Chief Executive de la FSC n’est pas encore en poste et le comité d’administration vient tout juste d’être nommé », explique-t-elle.
Pour elle, l’implémentation est lente, ce qui renforce l’incertitude dans le milieu des affaires. « Il y a de bonnes intentions, mais leur concrétisation prend du temps », déplore-t-elle.
Elle partage également les inquiétudes liées aux conséquences fiscales des mesures annoncées, tout en appelant à la prudence. « Le plus important, c’est de ne pas être rétrogradé par Moody’s. Si cela arrivait, nous risquerions de perdre certains investisseurs », avance Shamima Mallam-Hassam.
Mobilisations sociales : des signaux à ne pas ignorer
Grève de la faim, manifestations ponctuelles, et initiatives comme le « Lundi Cordonnier » ponctuent l’actualité sociale, mais Avinaash Munohur relativise leur impact économique immédiat, même si l’effet symbolique est fort. « Malgré le fait que la mobilisation physique reste limitée, les Mauriciens observent attentivement. Ils prendront leur décision par la voie des urnes et ce verdict peut être dur et sans appel », fait-il ressortir. Son avertissement est clair : « Si la situation n’évolue pas positivement, les quatre prochaines années s’annoncent extrêmement longues et compliquées pour le gouvernement. Celui-ci n’aura alors pas d’autre choix que de réussir ».
Tout en maintenant une position favorable à l’assainissement budgétaire, Amit Bakhirta insiste sur l’importance d’une approche humaine dans l’élaboration des politiques publiques. « La dimension socio-psychologique humaine doit être au cœur de toute politique. Tout conflit doit être résolu, autant que possible, de manière humaine et équitable », dit-il.
Pour lui, les grèves et autres manifestations sont des réactions normales dans un tel cycle de réformes. Il reste toutefois optimiste quant à l’impact à moyen terme : « Si les mesures produisent les effets escomptés, l’impact sous-jacent pourrait être positif pour la nation ». Mallam-Hassam abonde dans ce sens. Elle voit dans les mouvements sociaux des réactions ciblées, mais reste vigilante sur le climat d’investissement. « Les investisseurs évaluent les risques et les opportunités. Si le Finance Bill rassure, cela pourrait inverser la tendance », fait-elle remarquer.
Vers un point de bascule ?
Le sentiment général reste marqué par une forme d’attente de résultats, de mise en œuvre, d’un retour de la cohérence entre les discours politiques et les actions concrètes. La population, selon les observateurs, reste lucide et attentive. Les marges d’erreur se réduisent. Pour l’heure, la confiance semble suspendue à une série de décisions à venir, aux détails des lois d’application et à la capacité du gouvernement à engager un véritable dialogue social. S’il parvient à redonner du sens à son action, à mieux expliquer ses choix et à corriger ses angles morts, un redressement reste envisageable.
Questions à…Kamal Hawabhay, Managing Director de GWMS Ltd : « Plus de sérénité, c’est plus de stabilité pour le climat d’affaires »
Alors que Maurice traverse une période marquée par la grogne sociale et des manifestations liées à la réforme de la pension de vieillesse, Kamal Hawabhay, Managing Director de GWMS Ltd, entreprise opérant dans le secteur du global business, livre son analyse. Il s’exprime sur l’impact de cette situation sur le climat des affaires.
Quel regard portez-vous sur les tensions sociales actuelles à Maurice et leur impact sur votre secteur ?
Je travaille dans le secteur du global business, donc tous mes clients se trouvent à l’étranger. Nous sommes en contact permanent avec les services, les régulateurs et autres acteurs qui sont basés à Maurice, mais nos activités restent très orientées vers l’international. Bien sûr, ce serait mieux si on avait plus de stabilité et moins de manifestations ou de grèves de la faim, cela favoriserait un climat plus serein. Toutefois, à ce stade, je ne pense pas que ces événements aient un impact direct sur le climat d’affaires. Nous poursuivons nos activités normalement, tous mes employés sont présents au bureau, et nous travaillons comme si de rien n’était.
Il faut privilégier la concertation.»
Pensez-vous que la perception de Maurice comme destination d’affaires pourrait être affectée si ces tensions persistent ?
Pas pour l’instant. D’ailleurs, on constate actuellement une hausse du nombre de touristes à Maurice, ce qui est un bon indicateur. Les activités négatives dont on parle ne semblent pas décourager l’intérêt pour le pays. Cependant, si ces tensions sociales s’installent dans la durée, cela risque forcément de projeter une image d’instabilité. Il faut rappeler que Maurice est un petit pays : ce qui se passe à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur, peut avoir un effet amplifié. Il faut donc rester vigilant.
Quelles seraient, selon vous, les pistes pour ramener la sérénité dans l’environnement économique et social ?
Le plus simple, c’est de dialoguer avec tous ceux concernés pour trouver une solution. Toutefois, cela ne peut fonctionner que si chaque partie, que ce soit le gouvernement ou les syndicats, fait l’effort de trouver un terrain d’entente. On ne peut pas continuer à discuter sans volonté réelle. La réforme de la pension de vieillesse est la source principale de la frustration actuelle. Il est clair que le gouvernement, confronté à un déficit budgétaire important et à une dette élevée, doit prendre des décisions difficiles, mais il faut rechercher un compromis.
Il ne sert à rien d’aller manifester dans les rues. Certes, cela peut créer de l’agitation un ou deux jours, mais cela ne mène pas à des solutions concrètes. Il faut privilégier la concertation. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde, mais on peut au moins avancer ensemble dans un esprit d’équilibre.
Les recommandations
Avinaash Munohur : « Il est temps de pratiquer ce que l’on prêche »
Face à la perte de confiance croissante dans la classe politique, Avinaash Munohur appelle à des gestes forts pour restaurer la crédibilité du gouvernement. Selon le politologue, la réforme de la pension de retraite a déclenché une double crise : politique et sociale. « Cette réforme signifie beaucoup plus que ce qu’elle semble être. Elle remet en question l’avenir même du modèle social mauricien », affirme-t-il.
Ensuite, il dénonce un discours gouvernemental alarmiste. « Le nouveau gouvernement s’est trop rapidement enfermé dans un argumentaire d’un pessimisme excessif. Celui-ci apparaît de plus en plus comme un fantasme dont l’objectif est de faire peur », dit-il. Cette rhétorique, estime-t-il, a créé une « psychose » qui pourrait évoluer en crise de confiance majeure.
Pour désamorcer cette situation, Avinaash Munohur propose que les élus donnent l’exemple. « Il est essentiel de pratiquer ce que l’on prêche », dit-il, suggérant des baisses de salaire, la suppression de certains privilèges, ou la remise en question de la pension à vie des élus. Le politologue prône également une réforme ambitieuse de la fonction publique et des collectivités locales. « On peut réaliser d’énormes économies, tout en optimisant les services publics… mais encore faut-il en avoir le courage politique », explique-t-il.
Amit Bakhirta : « Les canaux de communication entre le gouvernement et le public devraient être améliorés »
Le moral du public est très fragile. C’est pourquoi nous pensons que les canaux et les boucles de communication entre le gouvernement et le public devraient être considérablement améliorés. Les gens ont besoin de mieux comprendre et d’apprécier les politiques publiques dans leurs avantages inhérents (espérons-le). Le CEO d’ANNEAU cite George Bernard Shaw : « Le plus grand problème de la communication est l’illusion qu’elle a eu lieu ».

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