
Une ébauche de projet de loi, longtemps attendue mais toujours renvoyée aux calendes grecques pour de multiples raisons. Le Police and Criminal Justice Bill sera présenté afin d’ouvrir les débats, tant au niveau de l’Assemblée nationale qu’auprès de la société civile.
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Ce projet de loi touche essentiellement aux pouvoirs de la police de procéder à des arrestations, des fouilles, des saisies et à la détention de suspects. L’ébauche circulée par l’Attorney General, Me Gavin Glover, définit un cadre strict concernant la durée de la liberté conditionnelle et la production de preuves dans le cadre d’affaires pénales.
Fini le temps des arrestations sur de simples allégations, sauf si elles sont étayées par des preuves irréfutables à la satisfaction du magistrat. Toute détention doit désormais être justifiée, sinon le magistrat a le pouvoir de rejeter des éléments que la police considère comme des preuves.
L’autre volet concerne la protection des sources des journalistes, surtout ceux qui pratiquent l’investigative journalism, symbole de la liberté de la presse. Le Bill prévoit également que les matériels en possession du journaliste (ordinateur portable, téléphone, documents, etc.) demeurent sa propriété, et sont considérés dans le texte comme des “excluded materials”. Pour y avoir accès, la police devra justifier son intervention en déposant une demande auprès du magistrat.
La parole au citoyen
Jocelyn Chan Low, veut que tout le monde, ait droit à la parole. Il estime que l’ébauche du Police and Criminal Justice Bill devrait faire la part belle au « Citizen Journalism ».
Le politologue prend pour exemple les appels d’offres opaques, « quoi que l’on veuille donner à ce genre d’exercice une dose de transparence ». Pour lui, « toutes les procédures entourant l’octroi de permis ou de contrats faramineux doivent se faire publiquement, pour la traçabilité, car il s’agit d’argent public ».
Jocelyn Chan Low s’interroge également sur de gros investissements réalisés dans le pays « sans savoir d’où viennent ces capitaux. Tout est fait dans une opacité qui arrange tous le monde, sauf le petit peuple ».
Selon lui, non seulement le pays a besoin de journalisme d’investigation, « mais il faut aussi permettre un Citizen Journalism où c’est le citoyen qui dénonce, pose des questions et attend des réponses de nos décideurs. Une Freedom of Information Act serait la bienvenue, quoi que… ».
Que fait-on des fake news, souvent lancées sans filet et sans modération ? « Je pars du principe qu’il faut libérer la parole et laisser le public juger, car la presse peut être manipulée — souvent sans le savoir. Mais si le citoyen détient des informations, il a le devoir de les partager. Car avec les nombreuses boîtes de communication, tout est fait pour arrondir les angles et cacher certaines réalités, causant moins de dommages collatéraux à ceux qu’elles protègent », avance-t-il.
LauraJaymangal, directrice de Transparency Mauritius, dit ne pas s’étonner que l’on s’achemine vers un journalisme dépassant les frontières de la proximité, et estime qu’il faut composer avec. « Les fake news ? On les voit tous les jours. Il faut simplement faire le tri, ne pas porter d’œillères et juger avec bon sens », explique-t-elle.
« Trop d’abus de pouvoir »
La directrice de Transparency Mauritius accueille favorablement le projet de loi, « car il protège légalement les sources des journalistes, surtout ceux qui pratiquent l’investigative journalism. La police ne pourra plus débarquer à quatre heures du matin chez un journaliste sous prétexte de soupçons souvent infondés. »
Elle estime que la loi à venir permettra de rendre publiques certaines pratiques jusque-là gardées jalousement dans des bureaux feutrés, afin d’éviter de brusquer ou de compromettre des transactions conclues dans une certaine opacité.
La directrice de Transparency Mauritius égratigne la police : « Il y a eu des lacunes dans nos diverses lois, et cette ébauche vient corriger ces dérives. Il y a eu trop d’abus. La police procède aux arrestations et mène ensuite l’enquête. Avec la suppression des charges provisoires, elle ne pourra plus être un simple outil politique. Dans un État de droit, nul n’est au-dessus des lois. La police a, pendant trop longtemps, abusé de ses pouvoirs ; elle est devenue un organe du pouvoir, car le Commissaire de police est nommé par l’exécutif. »
Laura Jaymangal ajoute : « La police a, jusqu’ici, procédé à des arrestations sans même maîtriser nos lois. Ailleurs, dans les démocraties qui se respectent, les policiers peuvent perquisitionner chez un suspect avec un mandat d’un magistrat dûment justifié, et cela ne se fait jamais à quatre heures du matin, mais à partir de six heures, selon l’heure légale. »
Elle souligne également « que la Police des Polices devrait jouer pleinement son rôle pour éviter toute dérive ».
Toujours fidèle à son ton léger, Yvan Martial pose néanmoins quelques questions sur la réforme proposée par le gouvernement : « Dans le monde, certains journalistes préfèrent aller en prison plutôt que de révéler leurs sources. »
L’observateur et ancien journaliste s’interroge : « Avec les nouvelles technologies, qu’est-ce qui reste confidentiel de nos jours ? Si demain on me met sous écoute, cela ne me dérangerait pas du tout. Au contraire, je m’en réjouirais, car je saurais qu’il y a quelque part quelqu’un qui m’écoute. Les policiers ne s’intéressent qu’aux conversations qui leur plaisent ; le reste, ils s’en fichent royalement. »
Toutefois, Yvan Martial avertit : « voter des lois, c’est bien, mais les appliquer, c’est une autre paire de manches ».
Depuis la Suisse : Jean-Luc Mootoosamy s’exprime
Depuis la Suisse où il réside, le journaliste Jean-Luc Mootoosamy (photo) déclare : « Si le texte de loi est maintenu tel quel, ce serait une bouffée d’air frais, un soulagement pour notre démocratie et pour le respect des droits humains. Le temps des allégations frivoles, de la malveillance gratuite menant à des arrestations, des humiliations, à un déploiement disproportionné de forces armées, de fouilles corporelles et de perquisitions abusives serait révolu. »
Le journaliste ajoute, concernant la fin des charges provisoires : « Ce texte est un réel bond vers la consolidation des droits de tous les Mauriciens. Certains, favorables aux charges provisoires, y verront un affaiblissement de la police dans la prévention du crime, mais c’est tout le contraire : ce texte permettra aux policiers d’être davantage présents sur le terrain pour la prévention. »
Jean-Luc Mootoosamy poursuit : « Concernant le contenu journalistique lié aux excluded materials, c’est rassurant. Cela renforce le travail du journaliste, la protection des sources et la liberté des médias d’informer. »
Mais il nuance : « Cette liberté s’accompagne d’une certaine responsabilité, et les lois existantes peuvent traiter tout manquement éventuel de la presse si un citoyen se sent lésé. Cette ébauche va bousculer les choses — dans le bon sens du terme. (…) Ce n’est qu’une ébauche, voyons ce que l’Act retiendra. »
Bon accueil
Ils sont nombreux à accueillir favorablement le Police and Criminal Justice Bill. Ce qui retient le plus l’attention, c’est la fin des charges provisoires, dont certains faisaient jusque-là un usage abusif. Désormais, ce sera à la police d’apporter les preuves, et non l’inverse.
Le Police and Criminal Justice Bill est, dans son ensemble, très bien accueilli. Il ne reste plus qu’à attendre sa présentation au Parlement, son adoption en trois lectures, puis sa publication au Government Gazette. Viendra ensuite le temps de sa mise en application.

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