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Jeunes diplômés - Emploi : quand ils n’ont guère de choix

Jeunes diplômés
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Le chômage est un défi majeur pour Maurice. Chaque année, le gouvernement essaye de prendre le taureau par les cornes pour y remédier. Si le chômage en général connaît une baisse, celui des jeunes prend de l’ampleur. Et un grand nombre sont des gradués. Dossier.

Maîtrise en économie : elle prend de l’emploi dans un call centre

À 27 ans, Zarina détient une maîtrise en économie. Après ses études à l’Université de Maurice, elle croyait vite décrocher un emploi dans son domaine de prédilection. Or, elle sera vite désenchantée. «Après ma scolarité secondaire, je pouvais très bien trouver un emploi dans un magasin ou ailleurs. J’ai néanmoins voulu poursuivre mes études dans l’espoir de trouver une meilleure situation », raconte cette habitante des Plaines-Wilhems.

Après ses études, elle croyait que l’avenir s’annonçait prometteur. Tel ne fut pas le cas. Elle postule pour un emploi auprès de plusieurs entreprises. Mais, il semble que la chance ne veuille pas lui sourire. Elle reste sans emploi pendant des mois. Elle décide donc de prendre le premier boulot qui lui est offert.

C’est ainsi qu’elle se retrouve dans un centre d’appels. « Je ne peux éternellement dépendre de mes parents. Ils se sont assez sacrifiés pour moi. Je travaille en attendant de trouver un emploi dans mon domaine », ajoute-t-elle. Pour elle, cette situation est frustrante et désolante.


Licence en «Marine Science and Technology» : garde-chiourme malgré lui

Il y a quelques années, le gouvernement annonçait que l’économie bleue serait un des piliers du pays. Akil y voit tout de suite une aubaine et opte pour une licence en « Marine Science and Technology » à l’Université de Maurice, étant passionné par les sciences et le développement durable.

Cependant, diplôme en poche, Akil peine à trouver du travail. Il reste à la maison pendant presque un an. N’en pouvant plus de financièrement dépendre de son père qui est le seul gagne-pain de la famille et ayant un frère qui étudiait aussi, il se met en quête d’un emploi. Il se fait embaucher par une entreprise dont les opérations sont à l’opposé de ce qu’il a appris à l’université.

« Je ne vous dis pas que je percevais un salaire de misère, à peine suffisant pour couvrir mes dépenses et mes frais de transport pour aller bosser », indique-t-il. Lassé, il finit par postuler pour un emploi dans la Fonction publique. À 25 ans, il a un travail beaucoup plus stable en tant que garde-chiourme. Même s’il est démotivé, il est conscient qu’il doit travailler pour ne pas figurer parmi les chômeurs.


Licence en psychologie : Karuna est enseignante

Sa licence en psychologie en poche, Karuna travaille pour une ONG. Par la suite, elle ne trouve pas d’emploi qui lui convienne. Mais elle décroche un poste au sein de la Fonction publique, qui n’a rien à voir avec sa filière de prédilection. « J’avais eu un emploi dans la fonction publique. Je ne pouvais pas refuser puisque l’emploi au sein du secteur privé est précaire », explique-t-elle.

La jeune femme de 29 ans y travaille pendant trois ans avant d’être embauchée finalement comme enseignante du primaire. « Bien que ce ne soit pas vraiment mon domaine, je trouve du plaisir à enseigner », lance-t-elle. D’ailleurs, elle conseille aux jeunes de prendre n’importe quel emploi qui se présente à eux. Cela les aidera à acquérir de l’expérience pour augmenter leur employabilité.


Maîtrise en microbiologie : Amir retourne à Londres

Après ses études au pays de Sa Majesté, Amir décide de rentrer au bercail. Néanmoins, tout ne se passera pas comme il l’avait espéré, même s’il est détenteur d’une maîtrise en microbiologie. « J’ai attendu presque six mois avant de décrocher un travail dans un laboratoire pour un modique salaire, alors que je touchais trois fois plus quand je travaillais à temps partiel en Angleterre », relate cet habitant de l’Est.

D’ailleurs, le jeune homme de 25 ans, dépité, a décidé de retourner dans la blonde Albion. « C’est chagrinant qu’il n’y ait pas d’ouverture pour les spécialistes du domaine scientifique à Maurice. Non seulement c’est limité, il n’y a pas d’encouragement. C’est triste que la chasse à l’emploi ne se fasse pas par rapport aux mérites et compétences. Je ne conseille à personne d’entamer une maîtrise et de s’installer à Maurice », poursuit-il.

Amir reconnait qu’il y a le Youth Employment Programme, mais estime que les personnes qui y travaillent n’ont pas les aptitudes pour ce métier. « En Angleterre, ceux qui recrutent ont des licences et sont spécialisés dans le recrutement des personnes dans différents domaines. Ici ce n’est pas le cas. Quand j’étais à la recherche d’un emploi, j’ai senti que mes diplômes n’avaient pas de valeur et que c’était un gaspillage d’argent », déplore le jeune homme.

Il croit fortement que le gouvernement doit encourager davantage les jeunes gradués. Il propose un réseau réunissant le gouvernement et les compagnies susceptibles de procurer des emplois. Cela, alors même que les étudiants sont toujours à l’université.

En attendant des jours meilleurs pour ceux qui sont détenteurs d’une licence ou d’une maîtrise, Amir dit préférer travailler à l’étranger. « Cela en vaut la peine et c’est beaucoup plus rémunérateur. On ne peut avoir un coût de la vie comme en Europe et des salaires déplorables », fait-il ressortir.

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Surendra Bissoondoyal président de la Tertiary Education Commission (TEC) : «Le problème demeure notre système éducatif»

surendraDepuis presque deux décennies, on évoque l’inadéquation (« mismatch ») entre le marché du travail et les études universitaires. Pourtant, c’est un problème qui semble perdurer…

Le problème demeure notre système éducatif. Il est trop livresque ou, comme le disent d’autres, académique. À une époque, se concentrer sur le côté académique était important. Il fallait savoir lire et écrire. Et il n’y avait pas de formation. Mais au fil des années, les choses ont évolué. La formation se fait à des niveaux supérieurs. Et il faut plus d’accent sur elle. Toutefois, il y a toujours des parents qui croient que, pour réussir, leurs enfants doivent devenir médecins ou avocats. Il faut un changement de mentalité. Surtout des parents. Ce n’est pas vraiment de leur faute, car ils n’ont pas toutes les informations. Il y a des secteurs où il n’y a pas les ressources nécessaires. Par exemple, les plombiers se font rares. Pourtant, c’est un métier qui est en demande croissante. Dommage que les jeunes ne connaissent pas les avantages de tels jobs.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à corriger le « mismatch » ?
Ce n’est pas un problème facile à résoudre. Il faut donner toutes les informations tout en prenant en considération que nous sommes dans un pays libre où chacun peut faire ses propres choix. Les autorités ont déjà commencé un travail. Il y a des formations qui sont offertes dans des domaines où il faut des ressources. Notamment aux centres du Mauritius Institute of Training and Development (MITD) et polytechniques. Même des universités vont dans cette direction.

Si tous les jeunes optent pour l’informatique, il sera saturé»

Est-ce que cela est dû au fait que des jeunes n’arrivent pas à faire le bon choix de carrière ?
Ce n’est pas par manque d’informations. Ils ont quelque chose en tête. Idem pour les parents. Ils ne savent pas vraiment quels sont les secteurs d’avenir. Maurice est un petit pays. Prenons un cas. L’informatique est un domaine qui prend de l’ampleur. Même si c’est un secteur vaste, si tous les jeunes optent pour cette filière, il sera saturé. Donc, tout cela est à prendre en considération.

Et le rôle de la TEC dans tout cela ?
La planification n’est pas toujours facile. Puis, ce n’est pas exactement le rôle de la TEC. Notre rôle est d’accréditer les cours. N’empêche, à travers notre site web, nous donnons des informations aux jeunes.

A-t-on identifié les secteurs qui sont saturés ?
On ne peut vraiment faire cela. Car tout change vite. D’où le fait qu’il faut miser sur la polyvalence. Et non pas faire une licence dans un seul domaine. En Angleterre, il y a l’Université de Southampton qui propose la licence MORSE. Les étudiants apprennent les mathématiques, l’Operational Research, les statistiques et l’économie. Ainsi, ceux qui optent pour ce cours ont plusieurs bases. Et peuvent facilement trouver un emploi, car ils ont plus de choix.

Quels sont les secteurs émergents ?
Je dirai les finances et l’informatique.


Pourquoi le marché n’arrive-t-il pas à absorber ces jeunes ?

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Pradeep Dursun

Pradeep Dursun, Chief Operating Officer (COO) de Business Mauritius, affirme que le marché du travail n’est plus figé dans le passé quand les secteurs porteurs d’emplois étaient l’agriculture, le manufacturier, la construction ou encore l’hôtellerie. La demande a évolué.

Toutefois, le COO de Business Mauritius évoque l’inadéquation entre les formations proposées par les institutions éducatives et les emplois en demande dans le monde du travail. « Le “career guidance” est le parent pauvre dans le développement des jeunes. Il n’a pas de visibilité », déplore Pradeep Dursun.

Les familles sont scotchées sur les secteurs traditionnels et ne maîtrisent pas les transformations qu’a connues le marché de l’emploi. « Il faut comprendre que le marché du travail est en constante évolution. Aujourd’hui, un jeune ne peut juste décider d’embrasser telle ou telle carrière. Il faut prendre en considération la demande du marché », déclare notre intervenant.

D’où le fait que le « career guidance » a un rôle-clé dans l’orientation et la planification des carrières des jeunes. Pour Pradeep Dursun, une planification s’impose. Il précise qu’il n’y a pas vraiment de filières prioritaires, car les choses évoluent. Ainsi, il préconise plus de collaboration entre les divers acteurs concernés: « Les institutions éducatives doivent travailler de concert avec les entreprises pour l’élaboration des cours offerts ».

D’autre part, il indique que des fois il y a une période de transition. « Il y a toujours un déficit ou un surplus quant au nombre de gradués produits dans un secteur et la demande sur le marché », précise-t-il. Maurice compte quatre universités publiques. Et que chaque année un grand nombre d’étudiants sont gradués. Toutefois, l’économie n’arrive pas à tous les absorber d’un seul coup.

Pour faire face à ce problème de gradués chômeurs, le COO de Business Mauritius est d’avis qu’il faut mettre sur pied un système. « Quand un jeune intègre le marché du travail, il faut faire un “profiling”. Il faut que toutes les données soient répertoriées, de sorte qu’il soit informé des jobs qui sont à pourvoir. Et ainsi le mettre en relation avec les entreprises qui ont besoin de ressources », déclare-t-il

Dans la foulée, il soutient qu’il y a le Youth Employment Programme, entre autres, qui a pour objectif d’éponger ces jeunes gradués. Toutefois, il met l’accent sur le fait que les gradués tôt ou tard finissent par trouver de l’emploi.

Par ailleurs, dit-il, « le phénomène de nos jours, c’est que des jeunes ne trouvent pas de l’emploi dans leur secteur de prédilection, mais dans d’autres secteurs. Ils doivent prendre cela comme un tremplin pour acquérir de l’expérience, d’autres compétences et aptitudes. D’autres finissent par faire carrière dans des secteurs qui sont différents de leur filière d’étude », fait observer Pradeep Dursun. Ce sont ceux qui n’ont pas des diplômes qui, selon lui, sont les plus marginalisés et peinent à trouver du travail.


Pour une étude urgente

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Vishal Ragoobar

Il faut reconnaître que le chômage perdure. Pas qu’à Maurice, mais à travers le monde. C’est ce que note l’économiste Vishal Ragoobar. Surtout parmi les jeunes qui intègrent le marché du travail. « Ils sont formés, mais n’ont pas forcément les compétences que recherchent les employeurs qui vont au-delà des compétences académiques. Les jeunes manquent de soft skills qui ne s’apprennent pas forcément à l’école », explique l’économiste.

Il y a aussi le « mismatch» qui n’arrange pas les choses. Entre les demandes du marché et les compétences disponibles, il y a un problème. « Il y a des jeunes qui optent pour des filières d’études qui ne sont forcément pas en demande. Ce qui fait un surplus de candidats dans certains domaines et ils n’arrivent pas à trouver de l’emploi. En contraste, il y a des secteurs qui recrutent. Cependant, les jeunes n’ont pas forcément les compétences voulues », poursuit notre interlocuteur.

Face au chômage qui est un problème structurel touchant majoritairement les femmes et les jeunes, Vishal Ragoobar précise qu’il faut une analyse de la situation. « Il y a des difficultés dans le monde du travail. Et il est important qu’il y ait une étude pour pouvoir prendre les actions qui s’imposent », estime ce dernier.

NDLR : Tous les noms sont modifiés. 

 

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