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Jessyca Joyekurun : « L’État doit agir vite pour éviter une fuite de cerveaux »

" Il faut, quand même, ne pas cracher dans la soupe. Par rapport à nos collègues africains, nous nous sommes pas mal débattus pour contenir le virus depuis l’année dernière tout en évitant que l’économie ne s’écroule. "

Jessyca Joyekurun, Managing Director d’Expand Human Ressources, explique que l’objectif d’atteindre 650 000 touristes dans les 12 prochains mois  ne dépendra pas des seuls souhaits de l’île Maurice, en raison de, trop de facteurs venant de l’étranger même.

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> Comment les conséquences économiques de la Covid-19 vous ont-elles impactée à titre d’entrepreneure ?

Certes, la Covid-19 m’a impactée en tant qu’entrepreneure, mais quand je réfléchis, j’introspecte, je m’aperçois qu’elle a aussi inspiré mes clients à rebondir à plusieurs niveaux. Je réalise comment et combien la Covid-19 a eu un effet ricochet sur tout. Ainsi, en premier, l’aspect financier nous a contraints à repenser à la structure de nos entreprises et opter pour des structures ‘lean’ et agiles. Nous avons dû puiser dans notre ingéniosité qui, autrefois, avait provoqué cette étincelle d’entrepreneur, tout en faisant du ‘fire-fighting’ pour maintenir à flot nos opérations.

> Les soutiens de l’État aux salaires et entreprises vous paraissent-ils suffisants ?

L’État a certes soutenu les entreprises à travers des divers Wage Assistance Scheme et Entrepreneur Scheme, surtout pendant le confinement en 2020 et 2021, cependant, un filtre plus approprié et puissant aurait dû être utilisé afin d’établir les critères plus robustes et transparents. Notamment envers ces mêmes « gros poissons » qui n’auraient eu aucun souci pour se tourner vers les banques commerciales pour un prêt pour leurs ‘’cash-flow’’, en raison de leurs structures ou leur ‘credit worthiness’.  

Plusieurs micro-entreprises ou entrepreneurs ont été laissés sur le tas en 2021, quitte à ne même pas pouvoir toucher Rs 2 500 parce que la personne a touché ce même Scheme en 2020. Pour remuer le couteau dans la plaie, cette année, les micro-entreprises et entrepreneurs se trouvant hors zones rouges n’ont pu continuer à bénéficier des Rs 2 500 ou Rs 5 000, ce qui n’a pas de sens parce que l’impact de la Covid-19 était généralisé, plus accentué dans les zones rouges. Si encore une fois un ‘means-tested Wage Assistance Scheme’ avait été mis en place, il aurait profité à tous ces entreprises et petits entrepreneurs même hors zones rouges.

D’autre part, une autre mesure que l’État pensait être phare, mais qui s’est révélée un flop dans sa mise en œuvre est de pousser des entrepreneurs à emprunter jusqu’à Rs 1 million auprès de la DBM. Or, après avoir fait des démarches, on se retrouve mitraillé et découragé par l’administration, laquelle exige aussi une garantie bancaire à la hauteur du prêt. On se demande ce qui différenciait cette démarche de l’État de celle d’une banque commerciale. 

> Quelle lecture faites-vous de la résurgence de la Covid-19 ? Le gouvernement a-t-il pris la mesure de cette flambée ?

Il faut, quand même, ne pas cracher dans la soupe. Par rapport à nos collègues africains, nous nous sommes pas mal débattus pour contenir le virus depuis l’année dernière tout en évitant que l’économie ne s’écroule. Aussi, nous sommes parmi les premiers pays d’Afrique où la campagne vaccinale des deux doses a atteint le plus grand nombre de personnes. Je trouve choquant et navrant que l’État veuille que l’on apprenne à vivre avec la Covid-19, moi j’encouragerais plus de responsabilité citoyenne et de bienveillance. L’État doit plus être strict en amendes pour non-respect des règles sanitaires et devrait appliquer la « tolérance zéro » à l’encontre de ceux qui provoqueraient encore des « wedding clusters ». 

> L’objectif de 650 000 touristes attendus dans les 12 prochains mois vous paraît-il réaliste ?

Cela ne dépendra pas des seuls souhaits de l’île Maurice. Il y trop de facteurs en jeu provenant de l’étranger même, soit les 3e ou 4e  vagues de la pandémie, d’autres variants, des cas qui augmentent ou encore d’autres confinements dans les marchés porteurs. C’est irréaliste et ambitieux et c’est se tirer une balle dans le pied pour les mois à venir, surtout dans ce climat d’incertitudes. D’autre part, d’autres destinations sont devenues beaucoup plus compétitives en termes de prix (les Maldives, les Seychelles, Zanzibar, les Caraïbes, Bali, etc. 

> Dans le dernier Budget, le gouvernement souhaite lancer deux nouveaux secteurs, celui des biotechnologies et de la pharmaceutique, ainsi que celui des énergies vertes, quelles sont les conditions pour la mise sur pied et la réussite ?

En se fondant sur l’exemple de l’entreprise Aspen, basée à Maurice mais qui fournit des vaccins en Afrique, on se dit que ce type d’entreprises pourrait idéalement utiliser notre pays comme pied-à-terre par rapport à divers avantages. La question est de savoir comment attirer ce type de sociétés, de quel écosystème ont-elles besoin, comment attirer et retenir ce type de talents, quels types de plans leur permettraient de rester dans la durée, comme la citoyenneté ou des avantages fiscaux, entre autres. 

> Faudra-t-il revoir nos filières d’étude en fin de cycle secondaire et dans le tertiaire afin de mieux cibler le marché de l’emploi, en équation avec les attentes, mises à mal durant ces deux dernières années par la Covid-19 ?

Il faudrait mener une étude de marché pour identifier les postes en demande et les compétences et types de postes qui seront demandées dans cinq ans, puis travailler des propositions d’études et des plans de carrière en rapport aux résultats de ces études.  Mais il faut que l’État agisse vite pour « reskill, rebuild and re-orient’ » la main-d’œuvre qui a été victime de la Covid-19 pour éviter une fuite de cerveaux.

> Depuis l’apparition de la pandémie, des voix s’élèvent pour remettre en cause notre style de consommation….

La pandémie nous a fait prendre conscience que notre santé tant mentale que physique est primordiale pour notre survie. Maurice pour seulement une petite population compte, au monde, le taux le plus élevé en diabète, cholestérol, crise cardiaque et maintenant en fertilité. Ce sont des signes avant-coureurs d’une population malade et qui doit miser sur sa santé. Pourquoi ne pas mettre l’accent sur la production « local, sustainable, green » et pousser les entreprises à relocaliser leurs productions à Maurice, donner des avantages fiscaux pour utiliser moins de pesticides et être plus bio. Tout cela peut commencer à l’école, la maison. Il faut aussi taxer davantage les fast-foods afin qu’une salade dans un restaurant ne coûte pas plus cher qu’un burger et des frites. 

> Le patronat, tenant compte du niveau de l’endettement et des aides de l’État par milliards, souhaite plus de productivité. Les salaries doivent-ils fournir plus d’efforts ?  

Le mot d’ordre serait de mettre davantage l’accent sur une gestion pointue et des indicateurs de performance plutôt que d’essayer d’atteindre une productivité à tout prix. Je crois en une « efficient way of working » plutôt que de favoriser un comportement d’une direction qui, à force de faire du « fire-fighting’ », pourrait aussi tomber dans tout ce qui est toxique et préjudiciable pour l’entreprise.

> L’État parvient-il à gérer les exigences du patronat et les revendications des salariés ?

Je note que l’État laisse une marge de manœuvre trop importante au patronat lorsqu’un employé est placé en quarantaine, lorsque sa résidence est en zone rouge ou s’il doit s’isoler chez lui. Aucun amendement aux lois n’indique clairement ce qu’un employeur a le droit de faire dans ce cas : a-t-il le droit de ne payer que les jours pointés au travail et enlever la ‘Car or Travel Allowance’, entre autres ? Laisser au patronat cette marge de manœuvre durant une pandémie est dangereuse, car tous les employeurs ne placent pas l’humain au centre de leurs activités. 

 

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