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Jean Claude de l’Estrac : «Les charges sociales des entreprises n’ont jamais été aussi élevées»

Jean Claude de l’Estrac

S’il accueille favorablement les mesures sociales que le gouvernement compte introduire, Jean Claude de l’Estrac se demande ce que cela coûtera au patronat. Pour lui, le discours-programme de l’alliance gouvernementale donne l’impression de « more of the same ».

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Year in year out, on entend presque les mêmes propositions du gouvernement dans le discours-programme et qui ne sont pas réalisées. Votre avis ?
Oui, la lecture de ce discours-programme 2020 nous laisse une forte impression du more-of-the-same. Il est, en réalité, une synthèse du dernier discours du budget et du manifeste électoral de l’alliance gouvernementale. Mais, peut-être, après tout, il ne peut en être autrement si le gouvernement entend être cohérent et s’il situe son action, comme dit le Premier ministre, dans « la continuité ». L’enjeu, toutefois, n’est pas dans le discours, il est dans la réalisation.

Le gouvernement veut être l’ombrelle pour offrir des facilités pour soutenir la croissance économique du pays et partager équitablement la richesse, alors qu’on sait que la dette ne cesse de croître…
Il n’y a pas de contradiction. Une dette contractée pour améliorer les infrastructures du pays participe en fait à créer les conditions d’une meilleure croissance. Ce qu’il y a d’inquiétant chez nous, c’est que l’on voit mal comment un pays si endetté peut encore financer toutes les mesures sociales introduites dans le contexte d’une élection. Cela dit, ce n’est pas dans le discours-programme que nous aurons la réponse ; attendons le discours du budget, d’autant que nous avons, pour la première fois, un ministre des Finances plutôt muet…

Le Marshall Plan pour combattre la pauvreté revient sur le tapis. À quand sa mise en place ?
Le Marshall Plan ! Il est utilisé, à tort et à travers. C’est à se demander si l’on sait de quoi on parle. Le Plan Marshall était le plan américain pour aider à la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale ! L’expression ne peut s’appliquer à un programme social d’éradication de la pauvreté. A ce sujet, dans le fond, je n’ai pas encore vu l’amorce d’un «plan». De toute manière, il ne peut être réalisé qu’après une étude approfondie des causes de la pauvreté. Il y a certainement des raisons qui expliquent l’absence de cette étude, y compris dans sa dimension ethnique.

Pour ce qui est de l’éducation, que pensez-vous de la création d’un Educators Council pour un ‘continuous development of teachers’ ?
C’est sans doute une manière de reconnaître qu’une des raisons de nos mauvais résultats tient au manque de formation de certains enseignants. Je veux bien le croire, mais au-delà de la formation technique, je décèle, depuis plusieurs années, un déficit éthique, une absence de sens de sa mission chez nombre d’enseignants. Et des élèves, dans certaines régions, en pâtissent.

Le gouvernement compte mettre l’accent sur les métiers techniques. Devrait-on aller vers la création des écoles de métier comme en France ?
On en parle depuis des années ! La National Empowerment Foundation (NEF), en mon temps, avait fait venir des consultants de la Cité des Métiers. Le projet a été torpillé quand la NEF est devenue un département du ministère de la Sécurité sociale. On a perdu dix ans !

L’enjeu n’est pas dans le discours, il est dans la réalisation»

Le tourisme bat de l’aile, le discours n’y consacre pas plus que quelques secondes sur ce secteur…
Et pour parler surtout du « branding »… Je crois que la perte de prestige de la destination est attribuable à un ensemble de facteurs : l’environnement naturel qui s’abîme, la sécurité qui se dégrade, le service qui se détériore… Il faudrait convoquer les états-généraux du tourisme et chercher des solutions à ces problèmes immédiats. Et ce n’est pas de la seule responsabilité du gouvernement. On pourra parler d’un rebranding après.

On veut attirer la diaspora mauricienne pour ses compétences, que lui offre-t-on en retour ?
Là encore, il s’agit d’un vieux projet. Une première campagne avait eu lieu, ensuite il n’y a pas eu de suivi. Les Mauriciens qui font carrière ailleurs et qui réussissent en raison de leurs compétences sont assez sceptiques quant à l’attachement de ce pays à la méritocratie et à l’égalité des chances. J’ai trouvé de l’humour noir dans la référence vertueuse du discours-programme à ce sujet…

On parle de la création d’un conseil au sein de l’EDB. Ne serait-il pas mieux de créer de nouveau un ministère du Développement qui donnerait une vision vers quel développement le pays devrait se diriger ?
Une des mauvaises décisions de ces dernières années a été l’abolition du ministère du Plan et du Développement économique. Il y avait au sein de ce ministère, que j’ai bien connu, des économistes compétents formés à la prospective. Plus que jamais, dans le monde incertain qui est le nôtre, l’analyse prospective, qui est interdisciplinaire, est un outil indispensable pour anticiper l’avenir et aider à la définition des stratégies à moyen et à long termes.

L’environnement a occupé une place importance dans le discours. Pensez-vous que l’on peut arriver à être des Mauriciens conscients des enjeux alors que le tri des déchets ne se fait même pas à la maison ?
Notre chance, ce sont les enfants scolarisés. Ce sont eux qui vont empêcher leurs parents inconscients de jeter leurs détritus là où ils veulent. C’est donc l’école notre salut.

L’introduction d’un mois de congé marital avec l’arrivée d’un enfant en sus du congé de maternité. Cela aura un coût pour le patronat…
Je ne sais si quelqu’un quelque part est en train de mesurer ce que coûte aujourd’hui au patronat toutes les mesures sociales introduites récemment. Les charges sociales des entreprises n’ont jamais été aussi élevées. Elles sont sans doute bienvenues, mais elles finiront par avoir un impact négatif sur la création ou même le maintien de l’emploi. Il y a un équilibre à trouver, faute de quoi, ces mesures vont s’avérer contre-productives.

On parle d’une ‘round the clock utilities’ alors que le concept de 24/7 pour la distribution d’eau n’a même pas été atteint…
Wishful thinking…

Rétrocession de Tromelin, des Chagos, discours creux encore une fois ?
Oui, hélas ! De gouvernement à gouvernement, on avait avancé sur le dossier Tromelin, après des années de négociations avec plusieurs gouvernements français depuis l’époque de François Mitterrand. Finalement, c’est le Parlement français, souverain en la matière, qui a bloqué l’accord de gestion conjointe de Tromelin. Je ne vois pas Emmanuel Macron, au discours très souverainiste, revenir sur la question.

Quant à l’archipel des Chagos, il n’y aura aucune avancée réelle, au-delà des vraies-fausses victoires diplomatiques, tant nous nous entêterons à vouloir retrouver notre souveraineté sur l’ensemble de l’archipel. Je continue à penser, plus que jamais, que Diego Garcia est une cause perdue. En revanche, je crois possible une rétrocession de Peros Banos, Solomon et d’autres îles de l’archipel. De la même manière que les Seychelles ont récupéré Aldabra, Farquard et Desroches qui ont fait partie du British Indian Ocean Territory à sa création.

 

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