Joe Biden est entré en fonction le 20 janvier 2020. À peine arrivé au pouvoir, il a signé une série de décrets enterrant certaines décisions emblématiques de son prédécesseur : retour à l'accord de Paris et à l’OMS, fin du « Muslim ban », suspension de la construction du mur avec le Mexique... Il se retrouve à la tête d’un pays profondément divisé, bouleversé par une terrible crise économique et par la pandémie de la Covid-19. Dans le cadre de ce moment charnière, cette semaine, Le Dimanche/L’hebdo revient sur l’investiture du 46e président des États-Unis et vous fait vivre ce tournant historique à travers l’expérience de Mauriciens résidant au pays de l’Oncle Sam.
Viken Vadeevaloo à Nashville : «L’Amérique est une grande nation»
Ayant fait des études en science politique à Maurice, Koomaren Viken Vadeevaloo, 36 ans, un grand passionné de politique américaine, a eu l’occasion de vivre les élections présidentielles de très près. Résidant actuellement et pour six mois à Nashville, dans le Tennessee, il est arrivé aux États-Unis juste à temps pour vivre l’investiture du 46e président, Joe Biden. C’est avec beaucoup de joie et d’émotion qu’il a vécu ce moment historique. « J’ai beaucoup étudié le système américain lorsque je faisais mes études en science politique à Maurice. De ce fait, j’étais très heureux de voir qu’ils ont réussi à faire que ce soit grandiose et en même temps une réponse à l’insurrection qui a éclaté quelques jours auparavant. C’est une belle leçon de démontrer que l’Amérique est une grande nation, où le président peut marcher dans les rues de Washington pour son investiture avec sa vice-présidente, et célébrer cela comme il se doit, en passant l’éponge sur ce qu’il s’est passé », fait-il ressortir.
La journée d’investiture de Joe Biden a été marquée par plusieurs événements. Toutefois, ce qui l’a marqué, c’était la prestation spectaculaire de la poétesse Amanda Gorman, avec son récit sur l’unité nationale, intitulé The Hill We Climb, qu’elle avait rédigé après l’invasion du Capitole, quelques jours avant l’investiture de Joe Biden. « Cette jeune Californienne de 22 ans, conviée à la demande de la First Lady Jill Biden, avait fait sensation avec son poème. J’ai eu l’occasion de regarder son discours à la télévision, où elle expliquait qu’elle a longtemps travaillé sur ce discours. Qu’elle a réadapté pour faire en sorte qu’il prenne acte de l’invasion du Capitole afin de pouvoir proclamer, apporter une lueur d’espoir et rappeler que, si la divergence demeure, on doit privilégier l’unité. Et il ne faut pas oublier qu’Amanda souffrait d’un trouble de la parole, comme le président Biden. Elle a pu surmonter ses difficultés d’élocution pour donner espoir à des millions de personnes ayant le même problème. Leur prouvant dans la foulée qu’avec l’accompagnement, la motivation et l’encadrement, ils peuvent eux aussi accomplir de belles choses. »
Covid-19 : célébrations en ligne
Et d’ajouter que, pour cause de pandémie de la Covid-19, l’investiture de Joe Biden était unique en son genre. Dans le sens où les gens n’ont pas pu se déplacer de différents États, comme à l’accoutumée, pour aller à Washington. Toutefois, les restrictions n’ont pas tout gâché pour les Américains, car l’ambiance était au rendez-vous dans tout le pays. « Il n’y a pas eu de grands événements culturels ni la foule habituelle. Mais la magie de la technologie a fait qu’il y a eu des célébrations en ligne dans différentes villes. À Nashville, la liesse était à son comble. Ça m’a fait chaud au cœur de voir les musiciens de la ville en train de chanter à côté de chez moi et de voir diffuser cela en direct sur la chaîne CNN. C’était une célébration grandiose », conclut-il.
Moment historique
L’investiture de la première femme vice-présidente afro-américaine et asiatique
Par ailleurs, l’investiture de Kamala Harris, la première vice-présidente afro-américaine et asiatique, était un événement historique en elle-même. « Cela en est fini du mythe qu’un tel poste à la Maison-Blanche n’est réservé qu’aux hommes. Il y a 11 ans, l’Amérique a eu son premier président afro-américain. En sus, il ne faut pas oublier que, durant les élections précédentes, Hilary Clinton croisait le fer avec Donald Trump, ce qui veut dire que l’Amérique se rapproche de plus en plus de la représentation des femmes et des minorités ethniques en politique et en position de pouvoir. De plus, les trois présidents Clinton, Bush et Obama, bien qu’étant des opposants politiques, ont souhaité le meilleur au président Biden. C’était très élégant de leur part », constate-t-il.
Ricky Wai Choon en Californie : «Le discours d’apaisement et de rassemblement du président m’a profondément touché»
Ricky Wai Choon, âgé de 54 ans, est un ancien champion national d’athlétisme. Il est installé à Los Angeles, en Californie, depuis 12 ans. Ce père de deux enfants a suivi les élections présidentielles de très près. Il estimait que cela déterminerait l’avenir de sa famille. « Si Donald Trump les avait remportées, on aurait quitté les États-Unis, car un deuxième mandat de Trump aurait été insupportable ! Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir en 2017, il a vite instauré son oligarchie néo-fasciste, avec ses enfants, son gendre et ses proches dans des postes clé de son cabinet. Il a très vite divisé le pays entre son clan, ceux qui ont voté pour lui, et ceux qui n’ont pas voté pour lui, autrement dit, les démocrates. Trump a aussi retiré les USA de plusieurs accords avec ses alliés historiques, prônant son slogan nationaliste America First. Avec ses centaines de tweets tantôt moqueurs tantôt mensongers, il a normalisé le côté grotesque de la société américaine avec, pour résultat, les deux clans qui désormais se méprisent, ne s’entendent plus et sont prêts à se taper dessus. Biden n’est pas le président que j’aurais souhaité pour les USA. Cependant, je tenais à ce qu’on en finisse avec cet épisode cauchemardesque avec Trump ! Disons que je suis soulagé de la défaite de Donald Trump », explique-t-il.
Et de dire encore que cette année présidentielle était primordiale et décisive, car l’Amérique n’a jamais été aussi divisée que sous l’administration de Donald Trump. « Jamais la politique n’a été autant corrompue. Jamais les médias et les réseaux sociaux n’ont véhiculé autant de campagnes mensongères et de désinformations. L’Amérique vient de frôler un coup d’État, une guerre civile, l’implosion de sa démocratie. Le nouveau président Biden va rétablir un peu de décence et de calme au sein de cette société américaine perturbée. Cependant, ce n’est pas pour autant que l’Amérique est sortie d’affaire. Il ne faut pas oublier que, même si 81 millions d’Américains ont voté pour Joe Biden, 74 millions d’électeurs se sont prononcés pour le maintien de Trump au pouvoir ! Ceux-là n’acceptent pas Joe Biden comme président. L’heure est grave ! »
Un sentiment de fierté
Depuis l’invasion du Capitole par le camp trumpiste, Ricky vivait la peur au ventre, avec des appréhensions à l’approche de l’investiture du président Joe Biden. « Après l’insurrection ratée sur le Capitole, je craignais vraiment le pire pour l’investiture de Joe Biden. Je me demandais jusqu’où irait Trump pour s’agripper au pouvoir ! J’ai vécu cette insurrection comme une honte ! L’investiture de Joe Biden et Kamala Harris a apporté un grand soulagement à l’Amérique. Le nouveau président a livré un discours d’apaisement et de rassemblement. J’ai vécu des moments d’intense émotion. Surtout, j’ai ressenti de nouveau la fierté de vivre ce moment historique aux États-Unis », confie-t-il.
Et d’ajouter qu’il nourrit de grandes attentes de son président par rapport à la continuité de sa philosophie avec un esprit d’apaisement et de reconstruction. « Le président Biden a mis l’accent sur le thème de l’unité. Je pense qu’il y croit vraiment et qu’il fera de son mieux pour parvenir à apaiser le peuple américain. J’avoue que je demeure sceptique, mais j’espère bien me tromper. Ce sera ma plus belle erreur ! Son premier jour à la Maison-Blanche a été marqué par les décrets qu’il a signés et ils étaient indispensables pour vite gommer les mesures grotesques prises par Trump. Comme celle de bannir l’entrée aux USA de voyageurs provenant des ‘pays musulmans’ ! Ou le retrait de l’accord de Paris pour combattre le réchauffement climatique ! Les 100 premiers jours du président Biden seront déterminants. Il sera jugé très vite sur sa gestion contre le coronavirus, qui a déjà fait plus de 400 000 victimes aux USA. Biden devra faire face au plus grand défi de sa longue carrière au service de sa patrie. »
Samuel Greedharry dans l’Oklahoma : «J’étais pro-républicain, mais j’ai accepté le changement»
Quant à Samuel Greedharry, il est aux États-Unis depuis deux ans. Il habite sur le campus de l’université Oral Roberts, à Tulsa, dans l’Oklahoma, où il étudie la théologie. Il confie avoir plus au moins suivi les élections, cependant pas aussi ardemment que les Américains. Samuel estime que, cette année, la présidentielle a été particulièrement importante en raison de la souffrance que 2020 a apportée au monde, en particulier aux États-Unis. « Avec l’impact drastique de la Covid-19, qui a affaibli le système économique, rendu les gens sans emploi, affecté l’éducation, les transports, et même les relations humaines et généré des souffrances et des morts innombrables, les gens étaient mal à l’aise. Je n’ai jamais vu un tel événement de toute ma vie. Le racisme, le chômage, la mort... ont amené les gens à chercher un changement. Les gens ne veulent pas souffrir. C’est dans la nature humaine que de blâmer quelque chose/quelqu’un pour sa propre souffrance », ajoute-t-il.
Facilités aux étudiants internationaux
Si, initialement, Samuel était pro-républicain, purement de par ses valeurs personnelles, conservatrices et chrétiennes, il a accepté les résultats des élections et le changement qui se dessine de bonne grâce. D’ailleurs, il a déploré l’acte fasciste de certains contestataires républicains qui ont envahi le Capitole quelques jours avant l’investiture du nouveau président. « Je n’arrivais pas à y croire. Je pense que les gens atteignent un niveau de fanatisme qui devient dangereux et qui met en danger la communauté. On retient l’exemple de ces gens. Cependant, il s’agit probablement d’un petit groupe parmi les millions de républicains que comptent les États-Unis. Quand des gens en colère et frustrés se rassemblent, tout l’enfer peut se déchaîner et c’est triste ce qui s’est produit. Eh bien, qui doit être blâmé ? C’est une question très compliquée à poser de nos jours. Lorsque le président a été élu et que l’investiture a eu lieu, j’ai accepté le changement. »
Et d’ajouter qu’il entretient des attentes au niveau des facilités accordées aux étudiants internationaux, un aspect qui le préoccupe, sous cette nouvelle administration. « J’attends des changements, surtout des changements qui profiteront aux étudiants étrangers ici, puisque j’en suis un. Je souhaite que Maurice et les États-Unis aient à l’avenir un lien stratégique plus profond qui profitera aux étudiants d’ici. Nous, étudiants, faisons essentiellement la même chose que tout autre Américain. Nous travaillons, nous payons pour l’université, nous louons un appartement, nous payons des impôts, ce qui profite à l’économie.»
De plus, il souhaite que Maurice puisse apporter un soutien aux étudiants étrangers. « En particulier, en raison de la pandémie de Covid-19, j’ai eu l’impression que les étudiants mauriciens étrangers étaient laissés pour compte pendant que tous les autres recevaient leurs chèques de relance, leurs prestations de prêts étudiants et les remboursements d’université. D’autres pays ont aidé les étudiants des facultés aux États-Unis, comme Singapour, en fournissant une forme de stimulant financier en virement direct. »
Satisfait du premier jour
Toutefois, Samuel se dit satisfait du premier jour de Joe Biden en tant que président à la Maison-Blanche, notamment pour son plan de réponse au Covid-19 et le retour des États-Unis dans l’accord de Paris sur le climat. « Plus de points de dépistage, plus de diffusion de données pour montrer avec précision la situation des infections au Covid-19 dans les régions. La réintégration des États-Unis au sein de l’accord de Paris sur le climat est également une bonne chose, car le changement climatique est un autre virus qui pourrait être encore plus dangereux que le Covid-19, si aucune mesure draconienne n’est prise. Mon seul problème est le décret concernant les personnes LGBTQ+, en particulier les transgenres. Dans le sport, il serait injuste pour les femmes de rivaliser avec les transgenres. Si un jour, je pouvais payer pour avoir une greffe de cerveau de la personne la plus intelligente du monde et participer à mes examens scolaires, est-ce que ce serait juste pour les autres élèves ? C’est la même chose en l’occurrence », fait-il valoir.
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