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Introduction de la langue maternelle : au Parlement, on ne parlera pas le kreol de sitôt 

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La Journée internationale de la langue et de la culture créoles est célébrée chaque 28 octobre depuis 1983. Alors que le kreol morisien a fait son entrée dans les écoles en 2012, au sein de l’hémicycle, son introduction continue de faire débat. Pourquoi ?

Réticence ou hypocrisie ? Alors que le vendredi 28 octobre, on célébrait la Journée internationale de la langue et de la culture créoles, force est de constater que le kreol morisien n’a toujours pas fait son entrée au Parlement. Pourtant, depuis 2012, notre langue maternelle est étudiée à l’école. Pourquoi cette situation ?

« Il ne faut pas brûler les étapes », recommande d’emblée le linguiste Dev Virahsawmy, qui compte plusieurs longues années d’expérience dans la langue créole. Il est d’avis qu’il y a plusieurs structures à mettre en place dans la société avant de procéder à l’introduction de la langue créole à l’Assemblée nationale.

C’est un travail à trois volets : linguistique, juridique et politique»

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Dev Virahsawmy

Cela doit avant tout passer par une révolution culturelle, estime-t-il. « La première chose à faire est de changer l’appellation du créole et de le rebaptiser lang morisyen. Tous les pays qui reconnaissent leur langue maternelle comme leur langue officielle ont fait de sorte à ce que cette langue porte le même nom que leur peuple et c’est ce qui doit aussi être fait à Maurice », soutient-il. 

Deuxièmement, selon le linguiste, la langue créole doit devenir le principal médium d’enseignement. « Le créole a certes été introduit dans le programme scolaire, mais il n’est qu’optionnel », fait-il remarquer. Dev Virahsawmy plaide ainsi pour que les enfants commencent à apprendre à lire, écrire et compter en créole durant leurs premières années de scolarité. « L’enseignement de l’anglais se fera au bout de quelques années et l’enfant pourra en parallèle continuer à être enseigné en créole. » 

L’adoption d’une telle mesure, selon le linguiste, aiderait également à résoudre le problème de l’analphabétisme à Maurice dont le taux, rappelle-t-il, est de 70 % au sein de la population mauricienne. « Il n’y a que 30 % de la population à Maurice qui sait proprement lire, écrire et compter. C’est très grave ! L’introduction du créole à l’école aidera à changer la donne », insiste-t-il. 

« Ce n’est qu’une fois cette étape franchie que notre langue maternelle, que j’ai décidé d’appeler le morisyen, fera partie intégrante de notre culture », poursuit Dev Virahsawmy, pour qui procéder de la sorte amènera les Mauriciens à réclamer naturellement que le créole soit introduit à l’Assemblée nationale. 

On est en train d’aller trop vite en besogne. Avant que notre langue maternelle soit introduite au Parlement, il faut d’abord réécrire la Constitution en kreol»

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Dr Arnaud Carpooran

Le linguiste souligne que la majorité des Mauriciens est actuellement opposée à ce que le créole soit utilisé au sein de l’hémicycle. Ainsi, il est, selon lui, important de créer tout un écosystème autour de la langue maternelle. « C’est lorsque tout cela sera accompli que l’introduction du créole au Parlement passera comme une lettre à la poste. »

Tout cela amène Dev Virahsawmy à dire qu’il faut surtout éviter de mettre la charrue avant les bœufs concernant l’introduction de la langue créole au Parlement. « On est en train d’aller trop vite en besogne. Avant que notre langue maternelle soit introduite au Parlement, il faut d’abord réécrire la Constitution en kreol. Les Standings Orders doivent en parallèle être réécrits en kreol. »

Le personnel du State Law Office saura-t-il rédiger un texte de loi en créole, s’interroge-t-il. « Les députés et ministres savent-ils écrire le créole correctement ? »

Le Dr Arnaud Carpooran, président de la Creole Speaking Union, abonde dans le même sens. D’argumenter que bien que le kreol morisien soit notre langue maternelle, il est encore inconnu pour eux. « En revanche, la langue anglaise est déjà bien ancrée. Il y a eu plusieurs années de travail pour que l’anglais ou le français puisse être adopté. » A contrario, l’écriture de la langue créole remonte à 10 ans. « Donc, c’est assez récent. »

Néanmoins, il est d’avis que les travaux parlementaires doivent se faire dans notre langue maternelle. Ce qui, dit-il, permettrait aux politiciens de mieux exprimer leurs idées. D’ailleurs, note-t-il, la majorité des politiciens souhaitent que cette langue soit introduite au Parlement. Comment faire, toutefois, en l’absence d’un code formel ? « On peut comprendre leur appréhension, car ils ne sont pas formés à son usage. Ils n’ont accès qu’à la phase préparatoire. Ainsi, il faut équiper la langue afin qu’ils puissent l’utiliser », fait comprendre le Dr Carpooran.

Il souhaite que les Standing Orders du Parlement soient émis en kreol dans un proche avenir. « On en fait la traduction dans des ateliers de travail. On fait un travail linguistique, mais il faut que des spécialistes le vérifient, notamment ceux du droit constitutionnel, afin de voir si cela correspond à la langue anglaise. Par la suite, il doit y avoir des décisions politiques. Du coup, c’est un travail à trois volets : linguistique, juridique et politique. » 

Au sein des ministères…

Le président de la Creole Speaking Union constate que la langue créole fait son entrée au sein de différents ministères et autres institutions publiques. « Certains émettent des communiqués en kreol morisien, mais ils ne sont pas officiels. » Raison pour laquelle il préconise un cadre pour le rendre officiel. « Cela doit être la même chose dans les institutions publiques et le Parlement. Il faut travailler sur des registres en kreol sur le plan technique, afin que cela ne reste pas uniquement une matière, mais devienne un médium », souligne le Dr Arnaud Carpooran.

Il a dit…

pravind« La maîtrise de la langue créole à tous les niveaux est un prérequis majeur de son introduction à l’Assemblée nationale. Et ce processus prendra du temps. Nous devons nous assurer que les parlementaires et le personnel de l’Assemblée ont reçu une formation appropriée. (…) We are talking about writing and reading also… »

Propos du Premier ministre Pravind Jugnauth, le 7 juillet 2020 à l’Assemblée nationale, en réponse à une question du député mauve Reza Uteem.

 

 

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