Des planteurs s’expriment face aux champs agricoles ravagés, aux récoltes détruites et aux prix de légumes en hausse fulgurante, résultant de leur rareté sur le marché. Les inondations, les dégâts du cyclone Belal et les caprices d'Eleanor ont déclenché une tempête économique, aggravant encore plus leur situation.
Au-delà des cieux assombris par les tourments météorologiques, les planteurs se dressent en première ligne pour assurer notre sécurité alimentaire, bravant les caprices de Dame nature qui ravagent leurs champs agricoles. Des pluies diluviennes aux assauts dévastateurs du cyclone Belal, chaque nouveau problème semble être un coup supplémentaire porté à leur résilience. Toutefois, dans cette lutte incessante, se dessine le véritable portrait de la persévérance agricole. En cette période où les prix des légumes atteignent des sommets inimaginables, les planteurs rencontrés partagent leurs récits, témoignant de leurs défis et de leur détermination inébranlable à nourrir la population malgré les nombreux obstacles.
Devanand Lackman : « Avec les récoltes détruites, je n’ai pas de légumes pour proposer aux enchères »
Issu d’une lignée de planteurs, Devanand Lackman cultive des légumes depuis 20 ans. Il s'est engagé dans ce métier après avoir achevé sa scolarité primaire. Par la suite, il a travaillé comme gardien dans une école. Après sa retraite, il s'est investi dans la culture de légumes sur ses champs à La Laura et à Hermitage. Lors de notre rencontre, il était en train de nettoyer son champ agricole de trois arpents, à Hermitage, où il cultive des chouchous à grande échelle. Il explique que les plants de chouchous que nous voyons ont été semés en juillet 2023 et que la récolte est prévue dans trois mois. « Combien de temps faut-il pour obtenir des chouchous ? » demande-t-on au planteur. « Cela prend environ six mois », répond-il. Notre interlocuteur fait ressortir qu'avant le passage du cyclone Belal, il comptait récolter des pommes d’amour et des choux sur trois arpents de terre à La Laura, mais il a tout perdu. « Avec la pluie et le cyclone, c'était une catastrophe. On dirait qu'on avait appliqué de l'herbicide », relate-t-il, soulignant l'impact financier qui a suivi.
Devanand Lackman ajoute qu'il n'a pas de légumes à vendre aux enchères pour les trois mois à venir. Comment parvient-il à s’en sortir ? « On se débrouille avec ce qu'on a en termes d’économies. On tire ici, on met là et vice-versa en attendant de meilleurs jours », indique le planteur. Ce dernier admet qu'il n'a pas d'autre choix que de faire preuve de patience pendant les trois prochains mois en attendant ses récoltes. Que pense-t-il de la hausse des prix des légumes ? Selon lui, celle-ci est inévitable. « Il y a une pénurie de légumes. S’il y en a, la quantité est à peine suffisante et ainsi, les prix augmentent automatiquement », avance-t-il.
Moins d'argent pour les planteurs
Il reconnait que les prix pratiqués par les marchands dans les bazars et autres foires sont exagérés. Il estime que ces derniers s’enrichissent sur le dos des planteurs. « La pluie, les cyclones, les maladies, la hausse des prix des intrants : nous devons affronter toutes ces épreuves. Le comble, c'est que ce sont les planteurs qui se retrouvent avec le moins d'argent, malgré les nombreux sacrifices consentis pour garantir la sécurité alimentaire du pays », souligne-t-il. Malheureusement, fait-il ressortir, ce sont les consommateurs qui sont les plus durement touchés. « Les gens ont tendance à blâmer les planteurs pour les prix élevés, alors qu'en réalité, nous vendons nos récoltes à des prix bas. Ce sont les marchands qui fixent les prix de revente sur les marchés », conclut-il.
Coumaren Moonien : « Un concombre se vend à Rs 20 aux enchères mais à Rs 60 dans les marchés »
À Hermitage, nous avons rencontré Coumaren Moonien qui cultive des choux sur deux arpents de terre. Il explique qu'il a semé des choux en décembre 2023. Cependant, lors du passage du cyclone Belal, la moitié de son champ agricole a été endommagée. « J'ai dû replanter les choux sur l’autre moitié de terrain. Ce n'est que dans un mois, si tout se passe bien, que je pourrai les récolter sur la portion qui a été épargnée par les intempéries », indique-t-il. Du moins, si la tempête tropicale Eleanor ne fait pas trop de dégâts. « Nous devrons recommencer à zéro si le cyclone fait des dégâts », déplore-t-il, avant d’ajouter : « Si le climat est favorable, je pourrai récolter mes choux dans trois semaines. En revanche, en cas de fortes pluies, c’est la destruction assurée et il faudra tout recommencer ».
Avant le cyclone Belal, Coumaren Moonien explique qu'il avait planté des pommes d'amour, mais il a perdu toute sa récolte. « J'ai dû nettoyer les champs et tout recommencer », précise le planteur qui exerce ce métier depuis 25 ans. « J'ai débuté avec la plantation des pommes de terre et j'ai diversifié mes cultures à Hermitage et à Côte D’Or », partage-t-il. Actuellement, il ne dispose pas de stock de légumes pour vendre aux enchères. C’est ainsi qu’il dépend uniquement de ses économies pour survivre.
Le planteur admet que le prix du chou est élevé en ce moment. Si le cyclone Eleanor épargne son champ agricole lors de son passage sur le pays, il pourra en tirer profit.
Selon lui, les marchands ajustent les prix en fonction des coûts logistiques. « Un concombre se vend à Rs 20 lors de la vente aux enchères et à Rs 60 sur les étals du marché. Comme les marchands doivent faire tout le trajet pour aller à la vente à l’encan à Wooton, il y a un coût hormis le paiement des travailleurs. De ce fait, ils ne vont pas les vendre à Rs 25 l’unité, d’où l’augmentation des prix des légumes », explique-t-il. Concernant le coût exagéré du piment, il impute cette situation à sa rareté sur le marché. Il conclut en citant un exemple de vente aux enchères du giraumon. Dans ce domaine, c'est le plus offrant qui remporte l'enchère. « Saki met prix fort, van prix pli fort », dit-il.
Stéphanie Denis : « Des marchands s’enrichissent sur notre dos »
Toujours à Hermitage, nous allons à la rencontre de Stéphanie Denis qui habite à Quartier-Militaire. Cette mère célibataire est dans le métier depuis une vingtaine d’années. Elle confie que c’est grâce au soutien de son employeur qu’elle a pu lancer sa propre plantation de légumes, lui permettant ainsi de subvenir aux besoins de ses trois enfants.
Actuellement, pour faire face aux difficultés financières que rencontrent les planteurs, la mère de famille explique qu’elle utilise sur ses économies pour ses propres cultures. De surcroit, elle travaille dans les champs des autres cultivateurs pour gagner un peu d’argent et relancer ses cultures. C’est ainsi que ses journées de travail sont de plus en plus longues, de 6h00 du matin jusqu’à 18h00, surtout qu’elle fait face à un manque de main-d’œuvre. Stéphanie Denis confie que ses pâtissons et lalos étaient prêtes à être récoltées, mais ils ont été complètement détruits lors du passage du cyclone Belal. « J’avais un demi-arpent de pâtissons et un arpent de lalos et maintenant je dois tout recommencer », explique-t-elle.
Que pense-t-elle des prix des légumes sur les étals en ce moment ? « C’est aberrant. Les prix sont quatre à cinq fois plus élevés. Nous, les planteurs, nous faisons des sacrifices, tandis que des marchands s'enrichissent sur notre dos », déplore-t-elle. Un contrôle des prix est-il donc nécessaire ? « Oui, c’est important afin d’assurer l'accessibilité des produits alimentaires aux plus démunis », estime-t-elle.
Désormais, Stéphanie Denis redoute l'impact que pourrait avoir Eleanor sur le pays. Toutefois, elle mise sur sa patience, un atout indispensable dans son métier, pour sortir la tête de l’eau. « J’ai planté du piment et j’espère que la tempête tropicale Eleanor n'impactera pas sévèrement mon champ agricole. Au cas contraire, ce sera un retour à zéro », dit-elle.
En guise de conclusion, elle confie que les planteurs n'ont d'autre choix que de faire de leur mieux avec les ressources à leur disposition : « Qu'il pleuve ou qu'il fasse beau temps, nous sommes dans les champs. C'est notre métier ».
Ajay Aumeerun : « Bizin perservere face a ladversite »
Direction le village de La Laura, plus précisément à Rivière-Baptiste où Ajay Aumeerun, un habitant de Ripailles âgé de 55 ans, possède son champ agricole. Durant notre visite là-bas, il était en train de nettoyer sa plantation de gingembre. Notre interlocuteur explique qu’il cultive divers légumes sur neuf arpents de terre. Après le récent passage du cyclone Belal sur le pays, il nous confie que 75 % de ses récoltes ont été détruites, dont des « brinzel, brinzel-angiv, pima ek zinzam », lui causant d'importantes pertes financières. Depuis, le quinquagénaire s'attelle au nettoyage des champs et à la mise en terre des semis.
Avec Eleanor, il exprime son appréhension quant à un retour à la case départ. « Nou gagn peur. Me kuma grand dimun dir bizin les bondie fer so travay ek nou fer nou travay. Bizin perservere face a ladversite », ajoute-t-il. Toutefois, si la tempête tropicale ne fait pas trop de dégâts, il aura une longueur d’avance, au cas contraire, il sera confronté à de nombreux problèmes. Malgré tout, conscient des risques inhérents à son métier, le planteur continue à faire les semences, considérant que c'est une partie intégrante des aléas de son activité.
Prix exagéré du piment
Concernant le prix actuel des légumes, il explique que la rareté sur le marché ne justifie pas totalement les prix élevés pratiqués par les marchands pour leur revente. Certains d’entre eux abusent, mais d'autres doivent couvrir leurs frais de transport et de main-d'œuvre. Il parle aussi du prix exagéré du piment. Il précise que sa culture de piments a été détruite par le cyclone Belal. De plus, il fait face à un problème de noircissement des piments dû à une maladie, ce qui nécessite l'utilisation de nombreux produits pour les traiter. Ainsi, il estime que le prix du piment restera élevé pendant un certain temps.
Ajay Aumeerun a un plan B au niveau financier. Tout d’abord, il envisage de commencer la récolte des aubergines dans trois mois si les conditions météorologiques le permettent. Ensuite, il compte utiliser son stock de gingembre, qui, selon lui, se vend actuellement à Rs 60 la livre lors des ventes aux enchères. Néanmoins, notre interlocuteur confie que l’argent commence à manquer en raison de l'absence de ventes. « Je dois puiser dans mes économies pour acheter des graines et faire mes semences. Je dois aussi payer les travailleurs et louer des machines pour nettoyer les champs », indique-t-il.
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