Les lois en vigueur prévoient que pour l’utilisation d’un nouveau bâtiment commercial, le propriétaire doit obtenir un Certificat de sécurité incendie « à vie » des pompiers. Un système dangereux, selon les professionnels du secteur. De nouveaux règlements devraient changer la donne. Toutefois, pour les bâtiments publics, le problème est à un tout autre niveau : 90 % d’entre eux n’ont même pas de Fire Certificate.
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L’ampleur de l’incendie de l’entrepôt du Trianon Shopping Park, le dimanche 12 novembre, a surpris. Les pompiers ont mis plusieurs jours à maîtriser les flammes dévastatrices et un employé est porté disparu. Une situation qui soulève la question de sécurité dans les bâtiments fréquentés, comme les constructions commerciales ou encore les buildings publics.
Y a-t-il des failles à gommer dans les normes sécuritaires anti-incendie qui ont cours ? Oui, répondent les professionnels du secteur qui s’attaquent surtout au fait qu’un Certificat de sécurité incendie, document obtenu auprès des soldats du feu, certifiant qu’un bâtiment répond aux normes sécuritaires, est attribué à vie.
Yashvin Mungur, secrétaire de l’Institution of Occupational Safety and Health Management (IOSHM), estime qu’il s’agit d’une grave erreur. « À mon avis, il y a quelques manquements dans la législation mauricienne. Par exemple, le Fire Certificate est donné à vie et il n’y a plus d’exercice de validation une fois qu’un bâtiment l’a obtenu, bien qu’il y ait des changements structurels. » Pour le secrétaire de l’IOSHM, le document aurait dû être renouvelable tous les trois voire cinq ans.
Confusion des rôles
L’autre faiblesse que relève Yashvin Mungur concerne une certaine confusion des rôles entre le ministère du Travail et les pompiers. Les deux mènent des inspections dans les bureaux. « La plupart du temps, les inspections sont menées par les inspecteurs du ministère du Travail. Mais ces derniers ne sont pas spécialistes du Fire Safety. Pour moi, ce sont les soldats du feu qui auraient dû en être responsables. »
Si les pompiers ont effectivement la possibilité de le faire, Dorsamy Ayacouty, Assistant Chief Fire Officer, explique, toutefois, que les soldats du feu n’ont pas les ressources de mener des inspections sur une base régulière. « Nous avons trop à faire pour cela. Nous choisissons plutôt des périodes spécifiques de l’année pour intensifier nos inspections. Pendant les fêtes de fin d’année, nous faisons la tournée des Shopping Malls, par exemple. »
Les lieux où les jouets sont stockés intéressent particulièrement les pompiers de même que les boîtes de nuit et les restaurants. Cependant, Dorsamy Ayacouty estime que les inspecteurs du ministère du Travail ont les qualifications requises pour s’atteler au travail. « Dans leur formation au Safety and Health, ils ont tous un Fire Safety Module. »
Selon l’Assistant Chief Fire Officer, les pompiers prennent en considération trois aspects avant d’octroyer un Certificat de sécurité incendie : les sorties de secours, les moyens de combattre l’incendie (extincteurs, arroseurs, etc.) et le système d’alerte. Si le bâtiment est à étages, l’existence d’escaliers de secours est primordiale. La facilité d’accès aux véhicules des pompiers est également importante. Mais, concède Dorsamy Ayacouty, la faiblesse des Fire Certificates demeure. « C’est vrai que c’est un certificat à vie. Ce n’est pas idéal. »
Bâtiments publics : des catastrophes qui attendent d’exploser
Alors que l’attention est braquée sur les bâtiments privés depuis que l’entrepôt du Trianon Shopping Park a pris feu, on aurait tort de penser que ceux du public sont mieux lotis en matière de sécurité. En fait, c’est tout le contraire, si l’on en croit les statistiques compilées par les soldats du feu.
Le 11 juillet dernier, une Private Notice Question (PNQ) de Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition, a permis de révéler la situation précaire dans laquelle se trouvent la majorité des bâtiments publics. Plus de 90 % ne respectent pas les normes prescrites et n’ont pas de Fire Certificate. À l’époque, un rapport des pompiers avait établi que 950 buildings sur les 1 115, qui appartiennent à l’État, sont en situation irrégulière à cet égard.
En comparaison, 1 314 bâtiments commerciaux privés sur 50 000 ne possédaient pas de Certificat de sécurité incendie. En cas de brasier, la liste des victimes risque donc d’être importante dans ces buildings, vu le non-respect des normes en matière de sorties de secours, de matériels d’extinction et de facilités d’accès pour les camions des pompiers.
L’autre chiffre, qui devrait interpeller, est qu’un nombre important des 1 115 bâtiments publics sont, en fait, des écoles primaires et secondaires. Le rapport des pompiers relève 206 écoles primaires et 57 collèges d’État qui ne détiennent pas de Fire Certificate.
Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques, a présidé un comité interministériel chargé de mettre aux normes tous les bâtiments publics. Mais nos tentatives pour savoir où en étaient les choses ont abouti à un nouveau Fire Code qui est en préparation.
On ne sait pas si ce code permettra de résoudre le problème le plus épineux des bâtiments publics, qui ne sont pas aux normes. Ils ont été construits avant la création de ces normes. Dans bien des cas, il est impossible de respecter les prescriptions de la loi, comme l’installation d’escaliers de secours, faute d’espace.
Outre les écoles, voici la liste des 852 autres bâtiments publics sans Fire Certificate :
Postes de police : 118
Hôpitaux/médicliniques : 13
Centres de santé/ dispensaires : 178
Casernes de pompiers : 11
Musées : 7
Postes de garde-côtes : 18
Centres de femmes : 32
Centres de jeunesse : 71
Fisheries Posts : 10
Cours de district : 9
Bureaux des Infrastructures publiques : 12
Bureaux de l’état civil : 48
Citizens Advice Bureaux (CAB) : 35
Postes de la Special Mobile Force : 50
Bureaux du ministère de l’Agro-industrie : 38
Bureaux de la Sécurité sociale : 44
Le rôle des acteurs dans la prévention des incendies
Le Safety and Health Officer
Le Safety and Health Officer (SHO) doit mener des inspections régulières pour identifier les risques à la sécurité et la santé au travail et par la suite, faire des recommandations pour que des mesures soient prises pour éliminer, ou du moins, ramener ces risques à un niveau acceptable. Il doit aussi élaborer un système de communication efficace pour impliquer tous les employés d’une entreprise à l’amélioration des mesures de sécurité sur les lieux du travail.
Le propriétaire
Toutefois, le SHO n’est qu’un conseiller. Il n’a pas le pouvoir d’exécution pour les travaux qui pourraient être nécessaires. C’est le management qui a la responsabilité de réunir les ressources nécessaires pour la mise en pratique des recommandations du SHO. Dans ce contexte, l’employeur doit, chaque deux ans, procéder à un Risk Assessment complet du lieu de travail.
Les pompiers
Ce sont eux qui disent ce qui doit être fait pour obtenir le Fire Certificate. Si le soldat du feu donne le minimum de mesures à prendre, le propriétaire est libre d’en faire plus s’il le souhaite. Le facteur humain est la première considération prise par les pompiers. La possibilité d’évacuer toutes les personnes présentes dans un minimum de temps possible est primordiale. Certains propriétaires de bâtiments peuvent attendre des années pour obtenir leur certificat, à force de tergiverser avec les recommandations des pompiers.
Nouveau Fire Code : un procédé pour se débarrasser du Fire Certificate à durée indéterminée
Il ne devrait bientôt plus être possible d’obtenir un Fire Certificate à vie. C’est ce que confie au Défi Plus une source qui suit le dossier du nouveau Fire Code en cours d’élaboration.
Ce nouveau code devrait revoir de fond en comble les normes de sécurité applicables, visant à réduire les risques d’incendie. L’un des changements phares concerne justement l’émission de Fire Certificates, critiquée par la plupart des professionnels du secteur.
C’est en juillet dernier que trois officiers de la Singapore Civil Defence Force viennent à Maurice pour mettre à contribution leur expertise dans le domaine. C’est à l’initiative de Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques, qu’ils lancent les bases d’un nouveau Fire Code. Si le Construction Industry Development Board (CIDB) devait initialement gérer le projet, il est passé, depuis, aux mains des Collectivités locales. Le nouveau code est déjà prêt, mais il n’a pas encore force de loi.
« Avec le nouveau code qui sera en vigueur et qui a d’ailleurs déjà été finalisé, le Fire Certificate ne sera plus émis à vie », confirme notre source. Tout propriétaire de bâtiment devra donc renouveler son certificat après inspection des pompiers. Ce nouveau code est calqué sur celui qui a cours en Australie et à Singapour. « Cela règlera beaucoup de problèmes et apportera plus de sécurité », assure notre source, qui ne donnera pas plus de détails sur les changements à venir, hormis qu’il faut attendre le feu vert du Parquet avant de l’appliquer.
Une deuxième source, qui a aussi participé à l’élaboration d’un nouveau Fire Code, estime toutefois que même avec le code existant, on peut assurer la sécurité optimale des bâtiments construits. « Nous avons déjà un Fire Code. Nous tentons de l’améliorer, mais les pompiers ont déjà leurs propres exigences. Les architectes et les ingénieurs doivent respecter des normes quand ils font le design des bâtiments. On n’opère pas dans un vide non plus. »
Questions à…Dayanand Kurrumchan, PRO de l’Institution of Occupational Safety and Health Management : «Les propriétaires doivent s’assurer que les consignes sont respectées»
Comment évaluez-vous les dispositions de la loi actuelle sur la sécurité des bâtiments, particulièrement en ce qui concerne les incendies ?
Concernant les incendies, l’Occupational Safety and Health Act (OSHA) 2005 prévoit dans l’article 76 que chaque lieu du travail doit disposer d’un Fire Certificate délivré par le Mauritius Fire & Rescue Service. La loi dicte aussi les moyens qui doivent être mis en place pour lutter contre le feu et les accès nécessaires et non obstrués selon les recommandations du Fire & Rescue Service.
Il faut rendre hommage à l’immense travail qui est fait par les officiers de cette unité depuis que la Mauritius Fire & Rescue Act 2013 a validé sa création. Cette entité a l’énorme responsabilité de mettre en place un système pour prévenir et combattre le feu.
Le même texte de loi donne les guidelines pour combattre l’incendie dans quatre secteurs d’activité : le secteur commercial, celui de la construction et du bâtiment, le secteur industriel et celui des services. Des documents donnent en détails les procédures et règles à respecter pour prévenir et combattre le feu. Chaque entreprise aura donc à se référer au document approprié.
Que peut-on faire pour améliorer ces dispositions ?
Le Safety and Health Officer (SHO) doit signaler tout écart qu’il observe pendant les inspections régulières qu’il mène. Il doit établir une collaboration avec le management et le Fire & Rescue Service de la localité en cas d’incendie. Il devrait pouvoir obtenir leur aide pour les fire drills. Cette pratique permettrait aussi au personnel du Fire & Rescue Service d’être au courant de tous les dispositifs anti-feu de l’entreprise et de signaler les manquements. Cela permettrait d’améliorer tout le système, rendant l’intervention des pompiers plus efficace en cas d’incendie.
Il faut ajouter que lorsqu’on fait appel au Fire & Rescue Service, tous les autres partenaires, tels le Central Electricity Board, le Samu ainsi que la police, reçoivent le message en même temps et ils arrivent tous sur le lieu pour leurs interventions respectives. Toute cette mise en place doit être facilitée par le SHO. Il faudrait sensibiliser davantage les entreprises pour qu’elles assument leurs responsabilités et créent le système comme stipulé dans les guidelines.
Au-delà du texte de loi, les dispositions sont-elles appliquées dans le concret ?
Plusieurs entreprises ont mis en place des dispositifs pour prévenir et combattre le feu à grand frais. De toute façon, les compagnies d’assurance ne vont pas vouloir offrir leurs services, si des mesures adéquates ne sont pas prises. Parfois, les réassureurs délèguent des experts en feu internationaux pour inspecter les dispositifs et les documents en vue de confirmer les suivis réguliers par l’entreprise ainsi que la tenue régulière d’exercices de simulation. Peut-être qu’on y trouve des failles quelquefois, mais si le travail est rondement mené, il ne devrait pas y avoir de problème.
L’obtention d’un Fire Certificate à vie n’est-elle pas une erreur, selon vous ?
Je ne pense pas. Il faut suivre plusieurs étapes scrupuleusement pour en obtenir. C’est un document complet avec des recommandations des dispositifs adéquats pour lutter contre les cas d’incendie. Il y a des conditions mentionnées à respecter et c’est le devoir de chaque entité de suivre les consignes. Mais si l’on va à l’encontre de ces dernières, ce n’est pas la faute de ce document, mais les personnes responsables de l’entreprise. Ce sont les propriétaires qui doivent s’assurer que les consignes sont respectées. C’est pourquoi j’insiste pour une meilleure sensibilisation en vue de combattre et prévenir le feu à tous les niveaux.
90 % des bâtiments publics ne respectent pas les normes de sécurité. Quelle est l’ampleur du danger que cela représente pour le public ?
Je ne peux répondre à cette question, si je ne suis pas en présence de tous les éléments. Mais si c’était le cas, ce serait catastrophique.
Comment peut-on remettre ces bâtiments aux normes de manière efficace ?
Il y a plusieurs difficultés, surtout s’agissant des lois qui gouvernent les bâtiments et qui sont en place depuis longtemps. Peut-être que ces buildings ne répondent plus aux nouvelles normes. Il faudra trouver des solutions individuelles pour les dispositions. Ce qui requiert la concertation de toutes les parties impliquées en vue d’une solution acceptable pour le bien du public, en général.
Les failles du Trianon Shopping Park
Le propriétaire ne devrait pas être exempt de tout blâme dans l’incendie qui a ravagé l’entrepôt de Shoprite dans la nuit du dimanche 12 novembre. L’enquête n’a pas encore été complétée, mais d’ores et déjà, les pompiers qui ont été sur les lieux ont identifié plusieurs manquements au niveau des normes de sécurité. Parmi, il y a le fait que la sortie de secours était cadenassée et que les rayons étaient obstruées par des palettes et des marchandises entassées. Même sans obstruction, l’espace laissé entre les différents rayons n’était pas réglementaire.
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