Le recours aux travailleurs étrangers est devenu indispensable dans plusieurs secteurs de l’économie mauricienne. La situation invite à s’intéresser aux pratiques des agents recruteurs. Ces intermédiaires, selon nos sources dans le milieu, facturent aux entreprises entre Rs 1 500 et Rs 20 000 par personne recrutée. Le ministère du Travail entend cependant mettre un frein aux abus, notamment en permettant aux entreprises d’importer leur main-d’œuvre sans passer par les recruteurs.
Un agent recruteur, impliqué dans l’importation de main-d’œuvre en provenance de l’Inde et du Bangladesh, met en avant le fait que « les recruteurs ont tendance à réaliser d’importants bénéfices en fixant eux-mêmes le tarif par individu ». À ce jour, aucune loi ne régit en effet le montant de leurs prestations.
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« En tant que recruteurs, notre rôle principal est celui de facilitateur. Les entreprises cherchant de la main-d’œuvre étrangère font appel à nos services. Nous contactons alors nos sources à l’étranger pour entamer le processus de recrutement, lequel implique une phase de sélection, suivie d’entretiens et d’évaluations, aboutissant enfin à la signature d’une ‘letter of offer’. Les procédures de déplacement sont ensuite enclenchées », explique notre interlocuteur. Il dit importer « une dizaine de travailleurs par mois » et précise que ses tarifs varient entre 2 000 et 5 000 par personne « en fonction de l’entreprise, du pays d’origine et du nombre de travailleurs à recruter ».
Nous avons contacté un autre agent recruteur, dont le permis est en suspens depuis 2022. Basé à Port-Louis, il affirme importer « un nombre limité de travailleurs chaque mois », soit entre quatre et six. Quid du montant perçu ? « Je reçois Rs 20 000 par travailleur étranger, qui me sont versées une fois l’individu arrivé sur le sol mauricien. Mais avant cela, je dois débourser une somme considérable pour couvrir mes frais de voyage en Inde ou au Bangladesh afin de mettre en place les procédures pour leur déplacement à Maurice. En outre, je dois rémunérer mes contacts établis dans ces pays, car ce sont eux qui se chargent de rechercher des gens intéressés par un emploi à Maurice ». Selon lui, « certains étrangers hésitent à venir travailler dans certains secteurs à Maurice ». Le textile, la tôlerie et la mécanique en font partie.
24 sociétés spécialisées enregistrées
Cinquante-sept entreprises de recrutement (de Mauriciens y compris) sont enregistrées auprès du ministère du Travail. Vingt-quatre d’entre elles se consacrent au recrutement de travailleurs étrangers. Parmi celles-ci, seulement cinq détiennent un permis en cours de validité, lequel arrivera à échéance dans le courant de cette année ou de l’année prochaine. Les permis des dix-neuf autres ont expiré en 2021 ou 2022.
Le Défi Plus a rencontré le directeur d’une de ces dix-neuf sociétés de recrutement. « Le travail d’agent recruteur comporte des risques. Ce n'est pas aussi simple que cela peut paraître. Il faut d’abord établir de bonnes relations avec les chefs d’entreprise et les entrepreneurs. Ensuite, il est impératif d’avoir des contacts solides en Inde, au Bangladesh, au Népal, à Madagascar et même dans certains pays d’Afrique comme le Kenya, le Togo ou encore le Niger », souligne-t-il.
Il affirme demander au minimum Rs 10 000 pour un ouvrier bangladais, Rs 5 000 pour un Indien et… Rs 1 500 pour un Malgache. Selon lui parce que « Madagascar pre ar Moris, le prix du billet d’avion est inférieur. » Il admet que c’est le recruteur lui-même qui fixe ses tarifs et que ceux-ci sont « non négociables ». « Le métier d'agent recruteur est clairement lucratif, en dépit des frais qu’il implique », conclut-il.
Raj Luchoomun, directeur de Nivalraj Co. Ltd et consultant en recrutement : « Au minimum 100 dollars par personne »
Nivalraj Co. Ltd est une entreprise de recrutement établie à Port-Louis. La société est dirigée par Raj Luchoomun. Ce dernier estime qu’il est impératif de « mettre de l’ordre dans ce secteur ». « Je collabore avec un grand nombre d’entreprises locales. J’ai non seulement fait venir des travailleurs indiens, mais aussi des Népalais, pour des domaines tels que le textile », explique-t-il. Cela fait près de deux ans que son permis n’a pas été renouvelé par le ministère du Travail. « Quand j’étais en activité, je percevais au minimum 100 dollars, soit environ Rs 4 500, par personne recrutée. Néanmoins, il était nécessaire de couvrir les frais de location du bureau, les salaires du personnel et les dépenses liées aux déplacements comme les billets d'avion », précise-t-il.
Deoraj Chummun, directeur de NAV Recruitment Ltd : « J’observe une détérioration progressive de la situation »
Depuis huit ans, Deoraj Chummun, directeur de NAV Recruitment Ltd, est spécialisé dans le recrutement de travailleurs étrangers. Selon lui, l’avenir de la profession s’annonce obscur, notamment en raison de la nouvelle loi qui sera bientôt présentée à l’Assemblée nationale. « Chaque mois, j’importe entre 15 et 20 ouvriers étrangers, tandis que d'autres recruteurs en importent par centaines. Le métier d’agent recruteur peut être lucratif, mais il est également exigeant, nécessitant des déplacements fréquents à l’étranger. Cependant, j’observe une détérioration progressive de la situation. Les ouvriers étrangers spécialisés dans certaines industries hésitent à venir travailler sur le sol mauricien. Nombre d’entre eux préfèrent exercer dans leur pays d’origine ou cherchent des opportunités en Europe », déplore Deoraj Chummun.
Le permis de recrutement
Le recrutement de travailleurs est régi par la Recruitment of Workers Act (1993) et les réglementations annexes. Toute demande pour l’obtention d’un permis de recrutement doit être soumise sur le formulaire prescrit, disponible auprès de l’Employment Division du ministère du Travail.
Le permis de recrutement autorise une entreprise ou un particulier à recruter différentes catégories de travailleurs : citoyens mauriciens pour des emplois à Maurice ; citoyens mauriciens pour des emplois à l'étranger ; citoyens non mauriciens pour des emplois à Maurice.
Une fois la demande approuvée, l’entreprise ou le particulier doit payer des frais de Rs 12 000. De plus, un dépôt de garantie de Rs 500 000 doit être fourni à l’Accountant General par le demandeur si ce dernier propose de recruter des citoyens mauriciens pour des emplois à l’étranger et des ressortissants étrangers pour des emplois à Maurice.
La validité du permis de recrutement est d’une durée de deux ans. Toute demande de renouvellement doit être soumise six mois avant l’expiration du permis en cours.
Mettre un frein aux abus des recruteurs
Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, est intervenu jeudi dans le cadre d’un atelier organisé par la Mauritius Export Association et portant sur l’embauche de travailleurs étrangers à Maurice. Il a indiqué que le Private Recruitment Agency Bill, qui sera bientôt présenté à l’Assemblée nationale, a reçu l’approbation de l’International Organization for Migration. Il a également évoqué la signature récente d’un Memorandum of Understanding (MoU) avec l’Inde, et annoncé la conclusion prochaine de deux autres accords avec les gouvernements malgache et bangladais pour faciliter l’importation de main-d’œuvre étrangère.
« Le MoU énonce clairement que les travailleurs migrants ne seront pas tenus de débourser le moindre montant. Les frais associés au processus de recrutement seront intégralement pris en charge par l’employeur, ce qui inclut les frais des agences », a expliqué Soodesh Callichurn. En ce qui concerne le rôle des agents recruteurs, le ministre a fait ressortir que « le MoU offre aux entreprises l’opportunité d’embaucher directement des travailleurs étrangers, sans avoir recours aux services des agents recruteurs ». Dans la majorité des cas, ajoute-t-il, ce sont les agents qui sont à l’origine des frais exorbitants imposés aux travailleurs migrants.
Recrutement illégal : un marché parallèle en expansion
Si de nombreuses agences de recrutement respectent les lois et les principes éthiques, une ombre grandissante se profile : le marché parallèle du recrutement illégal, en plein essor. Des constatations alarmantes émanent des agents recruteurs établis, mettant en lumière les pratiques inquiétantes de ces recruteurs illégaux, majoritairement des citoyens indiens et bangladais vivant à Maurice et mariés à des Mauriciennes. Leurs exigences financières dépassent l’entendement, atteignant jusqu'à Rs 75 000 par travailleur étranger. Selon des recruteurs attitrés, près de 200 pseudo-recruteurs prospéreraient actuellement dans le pays. Cette tendance émergente serait en train de saper les efforts des agences de recrutement légitimes et risque de compromettre la réputation de l’ensemble du secteur. « Il est devenu impératif de prendre des mesures rigoureuses pour éradiquer cette activité illégale et préserver l’intégrité du recrutement de main-d'œuvre étrangère à Maurice », estiment les agences de recrutement officielles.
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