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Guerre avec les propriétaires de campements : Mahen Jhugroo réussira-t-il là où d’autres ministres ont échoué?

Le ministre Jhugroo a effectué un constat sur les Pas géométriques récemment.

Le ministre du Logement et des Terres Mahen Jhugroo croit pouvoir réussir l’exploit de revoir les baux des propriétaires des campements pour plus d’accès du public aux plages. Alors que la résistance s’organise, il a fait appel au State Law Office pour des avis légaux. La bataille s’annonce rude.

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Plusieurs ministres ont tenté sans succès de revoir les baux des propriétaires des campements, car il y a d’importantes implications légales, dont de lourds dédommagements. Mais le ministre du Logement et des Terres, Mahen Jhugroo, se croit d’une autre trempe. Il multiplie les descentes devant les campements, tout en réitérant sa détermination d’agir pour que le public ait accès aux plages, même devant les campements. D’ores et déjà,  Mahen Jhugroo a annoncé le mois dernier qu’un arpent de plage à Blue Bay sera proclamé « public ».  

Lors de ses descentes, Mahen Jhugroo a pu constater, d’une part, que certains accès menant vers les plages sont « obstrués », « étroits », « mal entretenus » ou qu’il n’y avait pas d’accès du tout sur plus d’un kilomètre. D’autre part, le ministre s’est dit « choqué » par l’étendue de ce qu’il considère comme un « empiètement » des plages. Dans les deux cas, cela concernerait principalement des locataires de l’Etat qui détiennent un bail sur des Pas géométriques et qui y ont construit des bungalows. « Lor serten  laplaz, si mare ott, ou bizin ress ou lakaz. Kan mare ba lerla ou vini », déplore-t-il.  

Les souhaits exprimés par Mahen Jhugroo sont triples. Primo, que le public puisse accéder convenablement à plage sur chaque 500 mètres. Secundo, que le public ait un passage le long des côtes, à travers l’île. Et tertio, que le public puisse piqueniquer sur les plages. « Tout le monde n’a pas les moyens de se payer un bungalow pieds dans l’eau et tout le monde n’a pas le privilège d’avoir un bail sur les Pas géométriques », a-t-il déclaré.

Vaines tentatives

Dans le passé, de nombreux élus du peuple ont tenté d’y mettre de l’ordre, mais sans grand succès. Mahen Jhugroo réussira-t-il là où ses prédécesseurs n’ont pas eu les résultats escomptés ? Abu Kasenally, ancien ministre du Logement et des Terres, est de ceux là. Il indique que son ministère avait mené campagne contre ceux qui obstruaient les passages menant vers les plages. « Il y avait un abus dans ce sens. Nous avons sommé ceux concernés de tout enlever à coup d’injonction », affirme-t-il. Rama Valayden, ancien Attorney General, dit, pour sa part, être un des précurseurs, avec feu James Burty David, dans le combat pour la sauvegarde des plages dans les années 90, à un moment où les projets de développement poussaient comme des champignons sur des plages aux quatre coins du pays.

Plus récemment, le ministre Alain Wong s’est aussi attaqué à ce dossier, alors qu’il occupait le portefeuille de l’Environnement. « Les cas d’empiètement ne datent pas d'hier. À certains endroits, c’est dû à l’érosion et à la montée des eaux. L’eau est arrivée jusqu’aux murs des bungalows situés sur les Pas géométriques. Du coup, le campement se retrouve dans l'eau. Lerla kan dimounn pase dir get sa, linn mett so miray dan delo. Mais il y a aussi ces propriétaires qui ont profité de cette situation et qui ont placé des clôtures sur l’eau. Ils disent que c’est dû à l’érosion. Difficile parfois de distinguer les cas genuine des faux », soutient le ministre de l’Intégration sociale. Alain Wong indique qu’à l’époque où il était à la tête du ministère de l’Environnement, certaines mesures avaient été prises. « À titre d’exemple, pour les nouvelles demandes de construction de murs, j’avais demandé que les murs ne se construisent plus à la verticale. Nous leur avons conseillé d’opter pour des clôtures avec une pente de 45 degrés. Ce qui aurait permis au sable de ne pas s’éroder », affirme Alain Wong. Dans le cas des murs qui se retrouvent dans l’eau, le ministre indique qu’il avait proposé l’idée d’un walkway. « Mais ça demande beaucoup d’investissement », soutient-il. Dans d’autres endroits, poursuit Alain Wong, il faudrait tout bonnement enlever les murs. « Il s’agit surtout d’une mesure de sécurité », précise-t-il.

Révision des baux : un sujet sensible

Autre difficulté, avance Alain Wong, c’est qu’il est difficile de toucher aux baux octroyés par l’État. « On peut difficilement retirer le bail à un promoteur, sinon le gouvernement devra payer des dommages », précise-t-il. Alain Wong ajoute toutefois qu’en ce qui concerne les baux pour les campements, il n’est pas nécessaire de les revoir, car de toute façon, le gouvernement n’octroie plus de bail pour la construction de bungalow.

Abu Kasenally soutient, lui, que le gouvernement peut résilier un bail « en cas de force majeure ». Mais pour toute modification, il faut que « both parties must get together and agree ». Un consensus est cependant loin d’être acquis (voir interview d’Armand Maudave plus loin). Comment Mahen Jhugroo compte-t-il s’y prendre ? « Tout cela est à l’étude au niveau du ministère. Cela concerne le renouvellement des baux existants et l’octroi des nouveaux. Allons-nous allouer des baux jusqu’au High Water Mark, ou plus, afin que les gens puissent traverser ? » s’interroge Mahen Jhugroo. Le défi, dit-il, c’est que le High Water Mark est aléatoire. « Seki fini signe, bizin gete ki pou fer e seki nouvo bizin gete kouma pou fer ». Une fois arrêtées, précise-t-il, les recommandations seront présentées au cabinet des ministres.  

L’avocat d’affaires Penny Hack explique que la modification du bail, dans ce cas de figure, impliquerait l’enlèvement d’un droit. « Pour que l’État retire ce droit ou une partie de ce droit, il faut des raisons valables, mais surtout compenser en conséquence le détenteur du bail pour ce droit, ou partie de droit, qui lui est enlevé », souligne-t-il. Penny Hack soutient que, sauf consensus entre l’État et le locataire, ce dernier peut contester cette décision qui lui enlève ce droit, tout comme il peut contester le montant de la compensation. « Il peut le faire devant un tribunal et il peut, s’il le souhaite, aller jusqu’en Cour suprême », ajoute-t-il. Le recours à une injonction est aussi possible, selon l’avocat d’affaires, si le détenteur du bail estime que ses droits sont lésés dans l’immédiat, soit avant que le procès ne prenne sur le fond. « D’ordinaire, il s’agit de personnes qui peuvent se défendre, individuellement ou regroupées, car elles disposent généralement de gros moyens. Elles peuvent aller aussi loin que le Privy Council, contrairement aux ti-dimounn qui ne disposent pas des mêmes moyens et qui auraient rapidement cédé », souligne Penny Hack.

Poursuites envisagées

Mahen Jhugroo, lui, n’en démord pas. Il compte envoyer un signal fort et sévir contre ceux qui, dit-il, n’ont pas respecté les clauses de leur contrat. Ainsi, des poursuites contre ceux qui auraient empiété sur les plages ou obstrué l’accès aux plages ne sont pas à écarter. « Vous avez signé un contrat avec le gouvernement, il y a des clauses auxquelles vous devez vous conformer », martèle-t-il.

Quoi qu’il en soit, le ministre soutient qu’après ses visites dans le nord et le sud de l’île, il envisage de poursuivre l’exercice, cette fois, sur les plages de l’est et de l’ouest. « Je n’ai rien contre les propriétaires de bungalow, mais ma priorité reste la population dans son ensemble. D’ailleurs, il suffit de voir les mesures annoncées dans le Budget par le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Ces mesures touchent essentiellement les personnes au bas de l’échelle et la classe moyenne. J’irais dans le même sens », prévient Mahen Jhugroo.


Accès sur 500 mètres

Un exercice « compliqué », selon un haut fonctionnaire. Ouvrir un accès sur chaque 500 mètres, est-ce réalisable ? Non, à en croire un haut cadre du ministère du Logement et des Terres.  « Les baux octroyés dans le passé sont tels que les terrains sont ‘collés’ l’un à l’autre. Si par endroit, le public a pu se frayer un accès, surtout là où les terrains sont restés inoccupés, tant mieux. Mais c’est loin d’être gagné aux endroits où des bungalows ont été construits l’un à côté de l’autre », soutient-il.

Ce serait aussi compliqué de grignoter quelques mètres au dessus du High Water Mark. « Dans beaucoup de cas, l’étendue du bail va jusqu’au High Water Mark où certains ont carrément érigé des murs. Pouvons-nous leur demander de les abattre ? » s’interroge-t-il. La seule solution, dans ces cas-là, serait d’adopter la manière forte, en d’autres mots, d’avoir recours à la « compulsory acquisition ». Le ministre Jhugroo osera-t-il emprunter cette voie ? « Ce serait se mettre à dos tous les détenteurs de bail, dont des gros bonnets », soutient notre interlocuteur.

 

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