L’ancien conseiller au bureau du Premier ministre, Georges Chung, s’exprime sur les récents développements survenus à Air Mauritius. S’il est difficile pour lui de prédire l’avenir de la compagnie d’aviation nationale, il plaide cependant pour une stratégie orientée vers l’Asie.
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D’abord, comment réagissez-vous au vote de la majorité des créanciers d’Air Mauritius en faveur du Deed of Company Agreement (DOCA) ?
C’est sans surprise. Il faudrait aimer la douleur, pour voter différemment après les avertissements de Sattar Hajee Abdoula et Arvindsing Gokhool. Les administrateurs nous ont clairement fait comprendre que si nous votions autrement, nous allions tout perdre. Autant sauver la moitié, n’est-ce pas ? Cependant, par cynisme, je connais beaucoup de créanciers qui ont voté pour la dissolution d’Air Mauritius, car ils avaient très peu à perdre. Certains avaient des créances de quelques centaines de roupies.
Je suis moi-même un des « gros » créanciers et c’est avec beaucoup d’amertume que j’ai voté pour accepter les 50 %. Les créanciers ont travaillé dur pour vendre la marchandise, payer les matières premières et les salaires liés à la fabrication des biens fournis à Air Mauritius. Je pense que ce n’était pas moral dans le fond. Si toutes les grosses compagnies de notre pays en faisaient de même en ce temps de pandémie, toute l’intégrité de notre système économique s’écroulerait. Je connais des fournisseurs qui vont perdre des millions sans aucun recours alors que les deux grosses banques à qui Air Mauritius doit Rs 1,3 milliard essaieront certainement d’obtenir justice autrement.
Avec l’injection prochaine de Rs 12 milliards de l’État dans la compagnie et la réouverture des frontières êtes-vous confiant qu’Air Mauritius peut à présent redécoller sur de nouvelles bases ?
Malin est celui qui peut prédire ce qui se passera à partir de maintenant. La formule de redressement ne passe pas par les coups de milliards de roupies. Ce qui compte avant tout, c’est la connaissance du marché, du marketing et la diversification. Il faut proposer un service aussi séduisant que celui offert par les concurrents tels que British Airways et Emirates, le confort et la régularité des horaires des vols. C’est la compétence à tous les niveaux de la chaîne de services qui déterminera la réussite du nouveau Air Mauritius. Cela ne servira absolument à rien si la compétence ne prime pas. Bien au contraire...
Sans l’Asie, toute stratégie de notre nouveau tourisme serait incomplète "
La mise sous administration volontaire d’Air Mauritius a été une décision incomprise par différents spécialistes. Après la Watershed Meeting de cette semaine, avez-vous été convaincu de la pertinence cette procédure ?
Les derniers bilans financiers de la compagnie d’aviation publiés à l’officiel au 31 décembre 2019 font état de fonds propres de 50 millions d’euros. Les actifs de la compagnie surpassaient les passifs (en gros les dettes) par Rs 2 milliards, selon le taux de change de l’époque. Or moins de quatre mois plus tard, les administrateurs vous disent que les fonds propres sont passés à un déficit de 47 millions d’euros, soit une perte de près de Rs 4 milliards entre le 31 décembre 2019 et le 22 avril 2020. Cela semble donner raison aux spécialistes auxquels vous faites allusion. On doit, en effet, se poser la question.
Malgré toutes les critiques à l’encontre d’Air Mauritius, les chiffres indiquent que près de deux millions de passagers arrivaient à Maurice et à Rodrigues annuellement. Comment conciliez-vous cela avec le fait que les administrateurs maintiennent que sans la mise sous administration volontaire, Air Mauritius aurait pu être liquidée ?
Tout le long de son histoire, Air Mauritius a été un fer de lance assurant le succès sans précédent de notre pays. Il faut aussi souligner que l’économie mauricienne s’est développée de façon spectaculaire à l’inverse de la plupart des pays africains. Air Mauritius doit rester un maillon essentiel de notre progrès. C’est pourquoi il fallait voter en faveur de la proposition des administrateurs pour faire revivre MK même si c’était à contrecœur. Le vin est désormais tiré. Il faudra le boire jusqu’à la lie.
En termes de stratégie pour les vols commerciaux, que préconisez-vous. Certains spécialistes sont d’avis qu’Air Mauritius devrait s’orienter vers des vols low cost dans la région. Qu’en pensez-vous ?
Un low cost et une ligne normale sont two different kind of animals. Le premier est fait pour servir l’autre. Donc la question ne se pose pas. Vous savez, la stratégie des hôteliers, des autorités de notre secteur touristique et surtout d’Air Mauritius était concentré sur les grands marchés d’Europe et relativement peu sur l’Asie et l’Afrique. On ne peut les pointer du doigt, car elle réussit s’agissant des marchés comme la France et la Grande-Bretagne. Là où on peut se poser des questions, c’est par rapport à l’Asie plus particulièrement la Chine, de loin le plus gros réservoir de touristes dans le monde.
À la veille de la pandémie de COVID-19, la Chine émettait plus de 100 millions de touristes vers le reste du monde. En 2015, le nombre de touristes chinois vers Maurice était en voie d’atteindre les 100 000. Mais on a enlevé les incitations accordées à Southern China Airlines peu après. Puis, les vols d’Air Mauritius sur Beijing et Shanghai n’étaient pas suffisants pour donner aux touristes chinois la flexibilité recherchée pour leur voyage à destination de Maurice. Du coup; les statistiques se sont amenuisées comme une peau de chagrin au profit des Maldives.
En mars 2016, justement pour contrer la chute des arrivées des touristes chinois, le gouvernement de sir Anerood Jugnauth avait inauguré le corridor Asie-Afrique, avec Singapour et Maurice comme deux hubs et comme partenaire d’Air Mauritius, l’aéroport de Changi, parmi les plus fréquentés du monde, comme le fer de lance du corridor.
Le plan consistait à faire connaître Maurice dans l’Asie à travers les 65 millions de voyageurs de l’aéroport. Cependant, à l’arrivée de Megh Pillay quelques jours plus tard, il prit l’avion avec ses principaux cadres vers Changi afin de mettre un terme à l’accord. Quelques mois plus tard, les trois vols hebdomadaires de Singapour vers Maurice avaient connu une hausse du taux de remplissage de 70 % à 90 %, soit une augmentation de 20 000 voyageurs, alors que les frais de promotion en Aise et à la Réunion étaient à la charge des Singapouriens.
Air Mauritius doit rester un maillon essentiel de notre progrès. C’est pourquoi il fallait voter en faveur de la proposition des administrateurs même si c’était à contrecœur "
Quoi qu’il en soit, deux mois plus tard après sa nomination, en mai 2016, en dépit de son aversion pour le corridor, Megh Pillay inaugurait sans même l’aval de son partenaire de Changi, un vol hebdomadaire de son petit porteur A 319 , une fois chaque semaine vers Maputo et Dar-es-Salaam en passant par Durban et Nairobi. Les spécialistes de l’aviation vous diront qu’un vol unique hebdomadaire surtout avec un vieil avion est la formule idéale vers l’échec. Il en faut au moins trois. C’était sans surprise que quelques mois plus tard, le vol hebdomadaire se termina dans l’échec total. Voilà la vérité du corridor vers l’Afrique.
L’Asie doit faire réveiller Air Mauritius et surtout les hôteliers qui doivent revoir leur business model pour s’adapter. Sans l’Asie avec un partenaire stratégique, un aéroport ou une ligne aérienne comme la Southern China Airlines qui connaît bien les coins et recoins du tourisme dans leur région respective, toute stratégie de notre nouveau tourisme serait incomplète. Je n’ai aucun doute que le nouveau modèle de notre tourisme post-COVID-19 et celui d’Air Mauritius réside dans la diversification et que l’on ne peut pas d’un trait de plume ignorer le plus grand réservoir de touristes du monde qu’est l’Asie. .
Comment accueillez-vous la création d’Airports Holdings Ltd d’autant que certaines voix se sont élevées pour dire que cela va compromettre l’indépendance d’Air Mauritius ?
Je ne crois pas que l’ingérence politique est un facteur d’échec dans tous les cas surtout si l’ingérence est de nature hautement professionnelle et faite de manière intelligente. Celui de Lee Kwan Yew et Singapour Airlines est un cas d’école. Ce qui compte, c’est la compétence.
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