La nomination politique et l’absence de droit à l’information peuvent favoriser la corruption au sein des institutions gouvernementales. La mise en œuvre des lois adoptées pour combattre la corruption est également un outil fondamental. Ainsi, outre la responsabilité de l’Independent Commission against Corruption, d’autres baromètres doivent être pris en considération.
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Nominations politiques
Les nominations politiques sont souvent utilisées pour récompenser ceux proches du parti au pouvoir et pour maintenir leur loyauté. Le revers de la médaille est que cela peut avoir des effets néfastes sur la transparence et l’intégrité de l’État. Une des principales préoccupations est le manque de critères clairs et objectifs pour les choix qui sont faits.
Au lieu de cela, les nominations sont souvent motivées par des relations politiques personnelles et non basées sur la compétence et l’expérience. Conséquence : cela peut conduire à ce que des personnes peu qualifiées occupent des postes importants dans l’administration publique. Ce qui peut avoir de graves conséquences sur la qualité des services publics.
Bien que le Mouvement socialiste militant (MSM) se soit engagé à utiliser des appels à candidatures pour pourvoir les postes de Chief Executive Officer (CEO) durant son premier mandat en 2014, cette promesse électorale n’a pas été véritablement respectée. Il y a certes eu quelques efforts pendant le premier mandat de 2014-19. Mais celui de 2019-2024 a été surtout marqué par des nominations politiques abusives.
Faizal Jeerooburkan, représentant du groupe de réflexion Think Mauritius, déclare sans ambages : « C’est une forme déguisée de corruption. Les nominations sont à la base même du problème que nous rencontrons actuellement avec les institutions gouvernementales. »
De telles pratiques, selon lui, ne devraient plus être tolérées dans une démocratie. « Un nominé politique sera assujetti au bon vouloir de celui ou de ceux qui le nomment. Prenons l’exemple de l’Independent Commission against Corruption. C’est le Premier ministre qui en nomme le directeur et qui décide de son salaire. Comment peut-on s’attendre à ce qu’il mène des enquêtes objectives si un jour le Premier ministre vient à être impliqué dans un cas de corruption ? », fait-il remarquer.
Il regrette qu’il n’y ait plus d’appels à candidatures pour décider à qui confier des postes à responsabilités au sein des institutions. « Idéalement, les recrutements pour de tels postes devraient être décidés par un comité composé de professionnels. Les qualifications, l’intégrité et le passé des candidats devraient être pris en compte avant de nommer quiconque », ajoute-t-il.
Shakeel Mohamed soutient, quant à lui, que les nominations politiques sont devenues une pratique normale et acceptable. Il tient pour responsables tous les gouvernements qui se sont succédé. « Lorsque Ivan Collendavalloo dit qu’il est normal de recruter des personnes proches de lui, cela donne une indication claire de l’importance accordée par ce gouvernement à la méritocratie et à la compétence », fait remarquer le député du Parti travailliste (PTr).
Il est d’avis que les nominations politiques sont à l’origine du « pourrissement des institutions ». Il ajoute que ce n’est plus acceptable pour ceux qui sont à la tête de la Local Government Service Commission (LGSC), de la Public Service Commission (PSC) ou encore de la Disciplined Forces Service Commission (DFSC). « Ce sont des organismes chargés du recrutement dans le service public. Est-ce que leurs décisions en matière de recrutement inspirent réellement confiance ? » s’interroge le député de la circonscription n° 3 (Port-Louis Maritime/Port-Louis Est).
Les implications de la nomination politique dans la corruption sont graves, selon différents observateurs. Ils estiment que cela peut coûter cher à l’économie de Maurice car cela réduit l’efficacité des services publics et crée un environnement d’incertitude pour les investisseurs.
« Pour combattre la corruption associée aux nominations politiques, il est important que le processus soit plus transparent et responsable. Les personnes nommées à des postes-clés devraient être choisies en fonction de leur mérite, de leur expérience et de leur compétence plutôt que sur la base de leur affiliation politique », indique l’un des observateurs. Il ajoute que les critères de sélection doivent être clairs et les nominations doivent être soumises à une évaluation publique afin d’assurer la transparence.
Absence d’une Freedom of Information Act
Selon des observateurs, l’absence du droit à l’information peut favoriser la corruption, et ce de plusieurs manières. L’un d’eux indique que lorsque les informations sur les activités du gouvernement et des organismes publics ne sont pas facilement accessibles, il devient plus difficile pour les citoyens de surveiller les actions de leurs représentants et de les tenir responsables de leurs actes. « Ce qui peut instaurer une culture d’impunité où politiciens et fonctionnaires pensent qu’ils peuvent agir sans être inquiétés et sans avoir à rendre des comptes, sachant qu’ils ne seront pas tenus pour responsables de leurs actes », explique-t-il.
Il indique que l’absence du droit à l’information peut également nuire à la participation citoyenne et à la démocratie. « Les citoyens ne peuvent pas prendre de décisions éclairées sur les questions publiques s’ils ne disposent pas d’informations précises et complètes sur les activités gouvernementales. Sans accès à l’information, ils peuvent être exclus du processus décisionnel et ne pas être en mesure de défendre leurs intérêts. »
En 2014, L’Alliance Lepep avait proposé la présentation d’une Freedom of Information Act, mais l’idée avait été abandonnée sans explication. En 2023, la présentation d’un tel projet de loi à l’Assemblée nationale n’est plus d’actualité.
Selon Shakeel Mohamed, l’absence d’une Freedom of Information Act a nui aux proches des patients dialysés qui sont décédés lors de la pandémie de COVID-19. « Ils n’ont pas eu accès au rapport du Fact-Finding Committee. Si une telle loi avait été en vigueur, les proches auraient pu consulter le rapport et engager des poursuites contre l’État pour les manquements relevés dans le rapport. La non-publication du document démontre clairement une tentative de protéger les responsables de ces manquements. » Ce qui constitue un acte de corruption, selon l’ancien ministre du Travail.
Selon un observateur, l’absence du droit à l’information peut donc aider à créer un environnement où la transparence et la responsabilité sont absentes. Il estime qu’il est essentiel que les citoyens aient accès à des informations précises et complètes sur les activités gouvernementales afin de pouvoir surveiller les actions de leurs représentants et les tenir pour responsables de leurs actes. « L’adoption d’une Freedom of Information Act permettrait aussi de renforcer la participation citoyenne et la démocratie, en donnant aux citoyens les moyens de prendre des décisions éclairées sur les questions publiques. »
Les lois adoptées pour combattre la corruption et leur efficacité
La Good Governance and Integrity Reporting Act et la Declaration of Assets Act sont les lois qui ont été votées depuis 2014 pour rendre plus efficace la lutte contre la fraude et la corruption. La Good Governance and Integrity Reporting Act, dont l’objectif principal consiste à combattre l’enrichissement illicite, a aussi mené à la création de l’Integrity Reported Services Agency (IRSA). La Declaration of Assets Act, elle, oblige tous les élus des collectivités locales et de l’Assemblée nationale, ainsi que le Speaker, et les gardiens de prison à déclarer leurs avoirs.
Si l’ancien juge Vinod Boolell considère l’adoption de telles lois comme un bon signal, il dit constater des manquements au niveau de leur application. « Avons-nous l’assurance que des enquêtes sont initiées contre tous ceux dont le train de vie n’est pas compatible avec leurs salaires, ou est-ce qu’il y a une politique de ‘pick and choose’ ? Les institutions chargées de la mise en œuvre de ces lois opèrent-elles en toute indépendance », s’interroge-t-il.
Selon l’ex-juge, la perception de l’opinion publique est que les enquêtes de ces institutions ciblent uniquement les opposants politiques. « Prenons l’exemple de la Financial Intelligence Unit (FIU) qui a obtenu le gel des biens de Sherry Singh. Juste après, on a entendu la directrice de l’organisme venir justifier cette décision. De telles décisions n’ont pas à être expliquées. En tant que juge, je n’ai jamais trouvé la nécessité d’expliquer mes décisions quand elles ne faisaient pas l’unanimité dans l’opinion publique », déclare Vinod Boolell.
L’Executive Director de Transparency Mauritius, Rajen Bablee, souligne que « l’adoption de ces lois s’inscrit dans une démarche internationale de lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent et il s’agit d’outils importants. Il y a eu un engouement dans les premières déclarations des politiciens et des officiers publics publiées sur le site de l’Icac mais nous devons rester vigilants ».
Pour notre interlocuteur, Maurice coche toutes les cases quand il s’agit d’adopter de nouvelles mesures et de nouvelles lois, « mais souvent il y a un décalage entre ces protocoles et leur implémentation. De façon générale, une évaluation profane suggère qu’une institution qui travaille contre le crime est jugée efficace en termes d’enquêtes bien ficelées et de condamnations obtenues. On n’en a pas beaucoup vu.
Cependant, il ne faut pas oublier que l’IRSA agit surtout sur le plan civil et qu’une partie importante du travail de la FIU concerne la recherche et les analyses. Cela dit, nous estimons que le succès dépend aussi du profil des personnes nommées et recrutées pour y travailler et de leur indépendance. »
Jack Bizlall : « La vérité est que l'Icac n'a jamais attrapé de gros poissons »
Selon le négociateur syndical et ancien député Jack Bizlall, « le pouvoir en place a créé progressivement une situation d'autocratie qui permet à un parti au pouvoir de prendre des décisions à sa guise. Aujourd'hui, nous sommes témoins de passe-droits. Prenons l'exemple de l'allocation des terres de l'État. Quelle transparence existe-t-il dans cet exercice ? » Pour mieux illustrer ses propos, Jack Bizlall rappelle la dissolution de l'Economic Crime Office (ECO) qui avait accusé un ministre de corruption. « La dissolution de l'ECO a conduit à la création de l'Icac, qui est maintenant un outil permettant de blanchir les gouvernants du jour. L'Icac ignore délibérément certaines dénonciations et ne s'attaque qu'à de petits poissons. La vérité est que l'Icac n'a jamais pu attraper un gros poisson », affirme Jack Bizlall.
Controverse entre le DPP et le PM : mauvais signal
La mise au point adressée jeudi au Premier ministre par le Directeur des poursuites publiques (DPP), Rashid Ahmine, n'est pas de bon augure pour la lutte contre la fraude et la corruption, selon certains enquêteurs de l’Icac. « Une lutte aussi importante doit être menée en symbiose. Les autorités responsables de cette lutte doivent savoir comment s'accorder, car lorsqu'il y a des désaccords entre les institutions, cela profite au crime », expliquent-ils.
Mardi à l’Assemblée nationale, en réponse à la Private Notice Question de Xavier-Luc Duval sur la performance de l'Icac, Pravind Jugnauth a déclaré que 41 affaires de corruption avaient été référées au DPP. Toutefois, le communiqué du DPP a précisé qu'en réalité, seulement 19 cas avaient été transmis pour avis à son bureau et que ce dernier n'avait pas été sollicité pour fournir les chiffres.
Comité parlementaire de l’Icac - Patrick Assirvaden : « Nous n’avons jamais pu connaître le salaire du directeur de l’Icac »
« C’est vers le comité parlementaire de l’Icac que vous obtiendrez des détails sur le salaire du directeur de l’Icac », a déclaré Pravind Jugnauth à Xavier-Luc Duval mardi au Parlement. Cependant, selon le député du Parti travailliste Patrick Assirvaden, cette information n'a jamais été communiquée aux membres du comité parlementaire sur l'Icac. « J'ai moi-même sollicité à plusieurs reprises le comité pour obtenir des informations sur le salaire du directeur de l'Icac ainsi que sur les membres du conseil d'administration, mais on m'a toujours fait comprendre qu'il s'agissait d'informations sensibles ou qu'elles seraient disponibles dans le rapport annuel de l'Icac, ce qui est faux », déclare Patrick Assirvaden.
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