
À Maurice, smartphones et ordinateurs se multiplient. Mais leur usage reste loin d’être évident pour tous.
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Derrière l’écran, beaucoup se retrouvent démunis : incapables d’envoyer un simple courriel, de remplir un formulaire administratif ou de créer un compte bancaire digitalisé. L’illettrisme numérique, c’est-à-dire l’incapacité à utiliser les outils digitaux pour des tâches de base, devient une nouvelle fracture sociale.
L’illettrisme numérique ne fait pas de distinction d’âge. Les retraités, qui n’ont pas grandi avec l’informatique, peinent à s’adapter. Les jeunes, souvent à l’aise sur les réseaux sociaux, ne savent pas forcément rédiger un CV en ligne ou naviguer sur un site institutionnel. Les adultes en reconversion, éloignés des écrans depuis des années, se sentent perdus face à des procédures qui demandent désormais une maîtrise minimale du numérique.
Le témoignage de Josian, 68 ans, illustre ce malaise. Retraité, il n’a jamais cessé d’essayer de s’initier aux nouvelles technologies. Pourtant, malgré ses efforts, il n’a jamais réussi à franchir le cap. « J’ai tout essayé, mais bon, je n’ai pas réussi », confie-t-il avec une pointe de résignation.
Avec l’aide de ses petits-enfants, il a tenté de se familiariser avec l’ordinateur. Envoyer un courriel, rédiger un texte ou effectuer une transaction bancaire en ligne sont pour lui autant de parcours du combattant. « Sur le téléphone portable, c’est plus facile, mais sur l’ordinateur, ce n’est pas pareil », reconnaît-il.
Convaincu qu’une formation pourrait l’aider, il s’était inscrit à des cours organisés dans sa localité. Mais là encore, l’expérience s’est soldée par un échec. « Au début je pensais que tout était facile, mais durant l’apprentissage, j’ai vite compris que tout était différent », dit-il.
Chez lui, un ordinateur trône pourtant sur le bureau. Mais Josian préfère l’éviter. La peur de « casser quelque chose » ou de provoquer une panne technique est plus forte que sa volonté d’essayer. Résultat : il dépend encore de ses petits-enfants pour rédiger ses courriels, effectuer ses démarches administratives ou régler ses transactions bancaires.
Marceline, 68 ans également, refuse, elle, de rester sur la touche. Utilisatrice d’un smartphone pour des tâches simples, elle s’est récemment mise à l’ordinateur pour aider sa petite-fille. « Elle a un business en ligne, elle vend des produits et très souvent elle est débordée. Un jour, j’ai voulu l’aider, alors elle m’a appris quelques bases… répondre aux messages, ouvrir les mails et répondre aux clients », raconte-t-elle avec fierté.
Mais l’apprentissage reste un défi quotidien. « Ce n’est pas facile, je m’adapte, mais utiliser un ordinateur, surtout pour une personne âgée, ce n’est pas évident du tout », admet-elle.
Elle parvient désormais à répondre à des courriels ou à taper un message, mais dès qu’il s’agit d’une manipulation plus technique, comme installer une application ou scanner un code, elle se retrouve démunie. « Si on me demande d’installer WhatsApp, de scanner un code ou je ne sais quoi… là, non, je bloque. »
Entre curiosité, fierté et frustration, Marceline avance pas à pas. Son parcours illustre la volonté d’une génération de s’ouvrir au numérique malgré les limites d’une initiation tardive.
Formation et accès au matériel
Face à cette fracture, des initiatives concrètes émergent. C’est le cas de ReUSE REVAMP, fondée par François Mark, qui combine reconditionnement d’ordinateurs et formation numérique. « Chez ReUSE REVAMP, nous reconditionnons des ordinateurs portables tout en développant des programmes de formation numérique. D’une part, nous réduisons les déchets électroniques et favorisons l’économie circulaire. D’autre part, nous permettons à davantage de citoyens d’accéder à la technologie et de développer leurs compétences », explique-t-il.
Le constat est sans appel : le matériel neuf reste coûteux et inaccessible pour de nombreuses familles. « Les principaux défis à Maurice restent l’accès aux ordinateurs et le coût du matériel neuf. Pour y répondre, nous développons un programme qui encourage les jeunes, les enseignants et les institutions à s’impliquer dans la réparation et le reconditionnement », souligne François Mark.
L’impact est déjà visible : plusieurs enfants de familles modestes ont pu suivre leurs cours en ligne dans de meilleures conditions grâce à cette initiative. Mais l’action doit aller plus loin, prévient-il. L’essor de l’intelligence artificielle risque d’accentuer la fracture si personne n’agit.
« Nos prochains objectifs sont d’élargir notre offre d’ateliers pratiques autour des outils numériques et de l’intelligence artificielle. Nous sommes convaincus que l’ère de l’IA va accentuer la fracture numérique si nous n’agissons pas dès maintenant », insiste François Mark.
L’inclusion numérique devient ainsi un levier d’égalité et non un facteur d’exclusion. Donner aux citoyens les compétences nécessaires pour utiliser ces outils, c’est garantir leur autonomie, leur dignité et leur accès à un monde de plus en plus numérisé. D’où l’appel à un plan national d’inclusion numérique, avec des formations gratuites, des partenariats public-privé pour fournir du matériel reconditionné, une intégration de l’éducation numérique dans les cursus adultes et un accompagnement personnalisé pour les publics vulnérables.
Comme le résume un formateur engagé : « Savoir envoyer un mail ou remplir un formulaire en ligne n’est pas un luxe, mais une compétence vitale dans un monde où tout, ou presque, se joue derrière un écran. »


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