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Fonction publique vs secteur privé : les nouveaux ajustements salariaux changent-ils la donne ?

L’emploi des Mauriciens se chiffre à 558 600 au premier trimestre 2024.
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La fonction publique attire pour sa sécurité et ses avantages, mais le secteur privé séduit par des salaires plus élevés et des perspectives de carrière. Ce contraste soulève souvent des questions sur les choix professionnels. La disparité entre les deux secteurs sera-t-elle réduite avec le récent ajustement salarial et l’implémentation des recommandations du PayResearch Bureau prévue pour l’année prochaine ? Le point.

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Haniff Peerun, syndicaliste.

L’emploi des Mauriciens se chiffre à 558 600 au premier trimestre 2024. La part de ceux qui travaillent dans le privé est considérable, alors qu’environ 90 000 personnes sont salariées du secteur public. La migration de certains employés entre les deux secteurs est monnaie courante et diverses raisons les poussent à changer de bord. L’une d’entre elles est la question de la rémunération. Toutefois, les deux secteurs proposeront dès ce mois d’août de nouveaux cachets après l’introduction de la relativité salariale. Le récent exercice de réajustement salarial pourrait influencer les travailleurs, à en croire des observateurs.   

Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress (MLC) et également président de l’All Workers Federation (AWF), est catégorique. Il affirme que, de manière générale, un grand nombre de Mauriciens aspirent à travailler dans la fonction publique. « Tout d’abord, il est question de sécurité d’emploi. Être employé dans la fonction publique signifie que l’avenir est assuré », explique-t-il. Outre des conditions de travail bien établies, il y a aussi un « package salarial » garanti, avec des ajustements en fonction des recommandations du Pay Research Bureau (PRB). « Ainsi, les fonctionnaires peuvent prévoir des hausses de salaire tous les cinq ans, contrairement à ceux du secteur privé. Ces derniers sont dans l’incertitude lorsqu’il s’agit d’augmentations salariales », indique le syndicaliste.

Azad Jeetun, économiste et ancien directeur de l’ex-Mauritius Employers’ Federation, abonde dans le même sens. « Il y a effectivement une préférence chez les Mauriciens pour la fonction publique lorsqu’il s’agit de trouver un travail, car l’accent est mis sur la sécurité de l’emploi, avec des responsabilités bien définies », explique-t-il. Cependant, il précise que c’est aussi une question de choix. « Certaines personnes préfèrent travailler dans un secteur plus dynamique, où il y a des opportunités d’épanouissement et de progression, avec des salaires plus élevés.

Le récent exercice de réajustement salarial pourrait influencer les employés, à en croire des observateurs.»

Dans ce cas, c’est le privé qui attire », dit-il. Selon notre interlocuteur, il y a des gens qui optent pour des emplois plus « challenging » et innovants, plutôt que de se contenter de la routine.
L’économiste Sanjay Matadeen, indique de son côté que plusieurs personnes ont rejoint le secteur public en provenance du privé ou ceux qui étaient travailleurs indépendants. Parmi les organismes qui ont accueilli ces employés, on retrouve la National Environment Cleaning Authority (NECA), la force policière ou encore la santé. Le choix de ces personnes est dicté par la stabilité et la sécurité d’emploi, le salaire minimum garanti et les conditions de travail. Les rapports du Pay Research Bureau (PRB) et la pension de retraite sont également d’autres facteurs qui sont pris en compte. La décision de rejoindre ce secteur est aussi culturelle à Maurice. Certaines personnes ont traditionnellement une aversion au risque.

Les avantages et les désavantages 

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Azad Jeetun, économiste.

Dans la fonction publique, l’unique employeur est le gouvernement, tandis que dans le secteur privé, il faut compter avec plusieurs salariés qui adhèrent à différentes politiques de travail. Ce point, selon Haniff Peerun, influence la décision d’un chercheur d’emploi. « Dans la fonction publique, les responsabilités et les horaires de travail sont bien définis. Cependant, dans le privé, il peut y avoir diverses responsabilités, différents horaires de travail, ainsi que différents salaires proposés pour le même poste », soutient-il. Par ailleurs, il avance que la fonction publique offre également plusieurs avantages, tels que des congés annuels payés, des « study leaves » et des « passages benefits », alors que dans le secteur privé, ce n’est pas nécessairement le cas. « Étant donné que le but des entreprises privées est de faire des profits, contrairement au gouvernement qui travaille pour le bien-être social, elles ne respectent pas toujours les ‘Remuneration Orders’ (RO) », déplore-t-il. Pour sa part, Azad Jeetun affirme que, dans le privé, il faut laisser la force du marché jouer son rôle. « Les salaires doivent être déterminés par la nature du secteur et par la productivité. Le gouvernement ne devrait pas intervenir et imposer un salaire fixe pour tous les postes à travers le National Remuneration Board (NRB) », déclare-t-il. En effet, il explique que le secteur privé n’est pas statique, contrairement à la fonction publique. « Les augmentations doivent être applicables en fonction de la productivité et de la méritocratie », recommande-t-il. Selon lui, s’il y a un besoin de réviser les RO, le NRB doit regrouper les parties prenantes du secteur privé et apporter des préconisations en fonction des discussions.

Impact de l’ajustement salarial

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Sanjay Matadeen, économiste.

La disparité entre les deux secteurs sera-t-elle réduite avec la récente annonce et mise en vigueur d’un ajustement salarial ? Haniff Peerun souligne que cela ne sera pas le cas. « Si les entreprises du secteur privé doivent augmenter les salaires de leurs employés suite à l’annonce de la relativité salariale, le gouvernement devra également procéder à un réajustement l’année prochaine », indique-t-il. D’ailleurs, fait-il ressortir, au lieu de janvier 2026, les ajustements se feront en décembre 2025, avec un « pay-back » d’un an à compter de janvier 2025. « Par conséquent, la fonction publique reste toujours attractive aux yeux des Mauriciens qui cherchent un emploi », explique-t-il. Ainsi, pour lui, n’y a pas lieu de penser que la disparité entre les deux secteurs se réduira. Un avis partagé par Azad Jeetun. Pour soutenir ses dires, il avance que dans le privé, chaque employé a un contrat bien défini et un exercice d’évaluation des performances est effectué. « Ainsi, les ajustements salariaux se font souvent dans les entreprises privées sans l’intervention du gouvernement. Donc, la récente relativité salariale ne fera pas de grande différence », dit-il.

Toutefois, Sanjay Matadeen avance que la disparité salariale entre les deux secteurs risque de nouveau d’être influencée par le prochain rapport du PRB. « Il faut souligner que les conditions de travail ne sont pas les mêmes dans la fonction publique et le privé. Ce dernier a pour premier objectif d’être profitable », explique-t-il.  

Selon lui, les bénéfices passent par la productivité et les employés sont rémunérés en fonction. Il arrive souvent que l’effectif soit volontairement moindre dans une entreprise du privé avec l’idée de réduire les coûts. En revanche, la donne est différente dans la fonction publique où le nombre d’employés peut être supérieur à ce qui est nécessaire pour un travail. « Il y a la perception que travailler au sein du secteur public est moins difficile que d’opérer dans le privé. Il convient de déplorer le fait qu’il n’y ait pas de contrôle sur la performance des employés du secteur public », conclut l’économiste.

Questions à…Kris Poonoosamy, ancien haut fonctionnaire : «Les philosophies diffèrent dans le secteur public et le privé»

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De manière générale, est-ce les employés du privé qui sont attirés par la fonction publique ou est-ce l’inverse ?
Ce n’est pas une question statique et cela dépend des périodes. Plusieurs facteurs entrent en jeu. Il y a des années où la fonction publique met en place des programmes de modernisation et de révision de salaires très intéressante. Avant la publication du Pay Research Bureau (PRB, il y a eu des Salaries Commissioner qui viennent de l’étranger et qui font des révisions salariales acceptées par le gouvernement. Les lois ont été améliorées dans la fonction publique dans l’intérêt des employés. Celles-ci préconisent que les employés soient bien payés et rémunérés avec des augmentations régulières par exemple. Comme une entité, la fonction publique a beaucoup évolué de manière positive. Ensuite, le PRB est venu comme une institution pour revoir les salaires chaque quatre ans. Il faut comparer la fonction publique avec des acteurs du secteur privé, qui ne forment pas une structure monolithique. Contrairement à la fonction publique, chaque type de secteur privé a sa propre échelle de salaire.   

Qui sont les mieux lotis entre les deux catégories de travailleurs ?
Cela dépend des grades. Par exemple, un travailleur manuel qui opère dans le secteur public est peut-être mieux loti. Il a non seulement un salaire bien défini, mais des augmentations qui sont agréés et des conditions de service qui sont attachées, dont des congés maladies, des local leaves et des congés payés, entre autres. Il y a des améliorations qui se sont ajoutées pour que le package soit intéressant aux yeux du fonctionnaire. La personne doit choisir entre ce package qui comprend la sécurité d’emploi ou une nomination du contrat avec peut-être des avantages dans l’immédiat pour le secteur privé. Cela va dépendre des individus qui vont analyser où se trouve leur intérêt. D’autres facteurs comme les perspectives de promotion vont peser dans le choix de l’employé.  

Une partie des employés du secteur privé bénéficieront d’une augmentation variant entre Rs 500 à Rs 2 000 dans le cadre de l’exercice de la relativité salariale. Les fonctionnaires toucheront une hausse de 5 % sous forme d’« interimallowance » en attendant le prochain rapport du PayResearch Bureau (PRB). Ces ajustements permettront-ils de rétrécir la disparité salariale entre les employés du secteur public et ceux du privé ?    
On essaie de plus en plus de rationaliser. Nous vivons dans un petit pays et il ne peut pas y avoir de grande différence de salaire. Presque tous consomment les mêmes nourritures et paient le même prix. Une bonne politique salariale est nécessaire, et je pense que cela est bien compris par tous. En même temps, le secteur privé est beaucoup plus propulsé par les profits afin de satisfaire les actionnaires et c’est tout à fait normal. Les philosophies diffèrent dans le secteur public et le privé. Quid de la fonction publique, c’est une philosophie de service. Les ministères existent pour rendre service à la population.

Le secteur qui rémunère le mieux 

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Les employés au bas de l’échelle dans le secteur priv╬é sont moins bien lotis. 

Haniff Peerun indique que, lorsqu’il s’agit de postes à haute responsabilité (« top management »), c’est le secteur privé qui propose les meilleurs salaires. Il indique : « Par exemple, un CEO d’une entreprise privée peut toucher trois voire quatre fois plus qu’un Permanent Secretary dans la fonction publique », souligne-t-il. Idem pour les employés du « middle management ». « Les managers du secteur privé gagnent plus que ceux de la fonction publique », dit-il. 

Contrairement à la fonction publique, chaque type de secteur privé a sa propre échelle de salaire.»

Azad Jeetun abonde dans le même sens. « Il est certain que les hauts cadres du privé sont mieux payés, car leurs salaires dépendent de leurs qualifications et de leur expérience. De plus, les avantages dont ils bénéficient sont aussi très flexibles », précise-t-il. Cependant, il avance que, pour les emplois au bas de l’échelle, c’est le NRB qui détermine les salaires pour différentes catégories de postes. « Très souvent, les salaires des employés au bas de l’échelle dans le secteur privé sont inférieurs à ceux proposés dans la fonction publique », appuie-t-il.

Le syndicaliste Haniff Peerun partage cette observation. Il avance que, lorsqu’il s’agit d’emplois manuels, les employés de la fonction publique sont mieux payés et bénéficient de meilleures conditions de travail. Il s’agit notamment des « clerks », des « offfice attendants », des chauffeurs ou encore des jardiniers. « Dans la fonction publique, ces employés touchent non seulement des salaires plus élevés que leurs homologues du privé, mais bénéficient également d’une série d’avantages tels que des congés payés, une somme forfaitaire (lump sum), entre autres », appuie-t-il. Pour sa part, Sanjay Matadeen avance qu’un opérateur dans le privé peut toucher beaucoup plus d’argent que celui qui travaille dans le secteur public.  « La question de l’offre et de la demande est non-négligeable. Le secteur financier est l’un des secteurs les mieux rémunérés dans le pays », précise l’économiste.

Comparaison des salaires entre 2014 et 2024 (en roupies)

Catégorie Secteur 2014 2024 Différence %
Maçon Construction 11 260,60 22 834 11 573,40 102,78
Serveur Restauration 7 358 18 113    10 755 146,17
Cleaner Nettoyage 7 235 16 650 9 415 130,13
Assistant(e) de magasin Distribution 7 209 16 800 9 591 133,04
Électricien Automobile Électrique 9 669 18 479  8 810 91,12
Ébéniste Métal léger 8 585,98 18 148   9 562,02 111,37
Journaliste Média 13 705  25 925 12 220 89,16
Nurse Hôpital privé 8 034 23 000 14 966 186,28
Chauffeur Transport public 10 762 22 947 12 185 113,22
Clerk Distribution 7 614 17 124  9 510 124,90
Source : Ministère du Travail      
 

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