La Cour suprême indienne a récemment invalidé un système autorisant les dons anonymes pour le financement des partis politiques en période électorale. Faut-il interdire cette pratique à Maurice ? Deux juristes analysent la question.
«C’est le vide juridique. » Réponse de Me Noren Seeburn, ancien magistrat, à la question de savoir ce que dit la loi sur le financement des partis politiques à Maurice. Ce que confirme Me Kris Valaydon, juriste et conférencier en droit.
À l’approche des élections générales, la question revient sur le tapis. Et plus encore depuis une décision de la Cour suprême de l’Inde, récemment, invalidant un système mis en place par le gouvernement de Narendra Modi en 2017, autorisant les dons anonymes pour le financement des partis politiques en période électorale (voir encadré).
À Maurice, l’absence de législation claire sur le financement des partis politiques a jusqu’ici alimenté la perception de financement occulte. Ainsi, souligne Me Kris Valaydon, « tout le monde est libre de donner son argent à un parti politique en vue d’une élection », entreprise privée ou particulier. Du reste, commente-t-il, « on ne peut pas empêcher les acteurs du secteur privé de donner leur argent à une personne ou même à une association, voire à qui que ce soit ».
Selon lui, il est pratiquement impossible d’empêcher certaines entreprises de « graisser la patte » à ceux qui, une fois au pouvoir, leur renverront l’ascenseur. « Pour l’entreprise, c’est un retour sur investissement », observe Me Kris Valaydon.
Cette situation, fait valoir Me Noren Seeburn, a donné naissance à une « caisse noire des politiciens », où ces derniers peuvent, sans être inquiétés par la loi, recevoir de l’argent en provenance de n’importe quelle source. « On ne saura pas s’il s’agit en fait de l’argent de la drogue, d’activités illicites ou autres. Car l’identité des donateurs reste souvent cachée », dit-il.
Faut-il réglementer le financement des partis politiques avant les prochaines élections ? À cette question, Me Kris Valaydon répond : « Évidemment, on ne peut pas dire non à une telle loi. » Il précise toutefois que la loi seule ne suffit pas : « Avoir un texte de loi ne suffit pas, c’est l’adhésion à un esprit, à une philosophie qui compte le plus. Un texte légal peut remplir un vide, mais sans plus. »
L’avis de Me Noren Seeburn est plus tranché sur la question : « les politiciens ne voudront jamais voter une telle loi. Ils voudront remporter les élections en mettant le maximum d’argent sur la table. »
Et si jamais un tel texte de loi devait être proposé, quels devraient en être les mesures phares ? Me Noren Seeburn estime qu’il faut obliger les partis politiques à soumettre leurs relevés de comptes à l’Electoral Supervisory Commission (ESC). De plus, les candidats devraient avoir l’obligation de divulguer les noms et détails de leurs donateurs. « Il faut accorder plus de moyens d’enquête et de poursuite à l’ESC concernant les dépenses électorales », précise l’ancien magistrat.
Mais il se veut réaliste, avançant qu’il ne faut pas compter sur les politiciens pour proposer une telle législation. « Faisons le nécessaire nous-mêmes pour abolir la caisse noire des politiciens. C’est l’une des mesures phares pour transformer la gouvernance mauricienne, qui est actuellement une gouvernance politicienne, en une gouvernance citoyenne », insiste Me Noren Seeburn.
De son côté, Me Kris Valaydon fait ressortir que « collecter des preuves pour clouer un parti politique au niveau de ses dépenses est un travail ardu. C’est au niveau des comptes des entreprises que l’on peut avoir une idée de l’argent qu’elles peuvent donner ». D’ailleurs, certaines compagnies déclarent dans leur rapport annuel le montant accordé au financement des partis politiques.
Toutefois, fait comprendre le conférencier, il ne faut pas se leurrer : « Cela n’est pas vraiment l’unique source ni l’unique manière par laquelle l’entreprise graisse la patte des politiciens. Ça, c’est le côté visible de l’iceberg. » Si l’entreprise ne donne pas directement de l’argent au parti politique, elle peut le faire à travers d’autres moyens ou d’autres personnes, de manière tout à fait légale. « Il faut être naïf pour croire que toutes ces grandes entreprises qui disent avoir fait beaucoup de profits cette année n’ont pas de fortes connexions politiques », lance Me Kris Valaydon.
Faut-il régulariser cette pratique ? Me Noren Seeburn répond par l’affirmative : « Cela aurait permis au public de surveiller les politiciens lorsqu’ils sont en train de brader les biens publics, ou de favoriser une entité en particulier, au détriment de l’intérêt général des citoyens qui paient leur salaire pour qu’ils servent le public. »
Les dépenses électorales
S’il n’y a, à ce jour, aucun texte de loi régissant le financement politique, le montant des dépenses électorales est, en revanche, sujet à un contrôle, rappelle Me Kris Valaydon. La limite fixée par le Representation of The People Act est de Rs 250 000 pour un candidat indépendant aux élections générales. Pour celui présenté par un parti ou une alliance comptant plus d’un candidat, le plafond est de Rs 150 000.
Toutefois, au vu de la situation sur le terrain, notamment le nombre d’oriflammes, d’affiches, de « baz » et autres, ce plafonnement ne semble pas être respecté, déclare Me Kris Valaydon. « La loi sur la limite des dépenses ne sera jamais adéquate. Disons qu’elle sera contournée. C’est un problème quasiment universel, surtout dans des pays où l’éthique en politique est au plus bas. »
Il s’attarde sur ce qui constitue, pour lui, le problème de fond. Une loi est faite par l’élite politique qui, une fois au pouvoir, s’occupera de sa mise en œuvre. « Il faut être naïf pour croire que le politicien va présenter et mettre en œuvre une loi qui joue totalement en sa défaveur. Il ne faut pas oublier qu’une loi qui contrôle les dépenses du parti politique, c’est une loi contre le politicien » soutient Me Kris Valaydon.
Et le rôle de l’ESC dans tout ça ? Comment s’y prend-elle pour s’assurer que les limites de dépenses électorales établies par la loi sont respectées ? Me Kris Valaydon explique que l’ESC fonde ses calculs sur les preuves documentaires produites par le parti politique ou par le candidat indépendant. « C’est comme si on demandait à l’accusé d’apporter la preuve de son innocence par le biais d’une lettre qu’il a lui-même écrite. On le sait, c’est très facile de fabriquer un reçu, mais c’est encore plus facile de faire disparaître un reçu. Nous sommes dans une situation où seul le politicien a la preuve de ses dépenses », ironise l’avocat.
De plus, la commission électorale n’enquête pas sur les dépenses qui ont été faites. « Il faut aussi comprendre que les dépenses faites pour des élections peuvent ne jamais transiter par le parti politique, c’est-à-dire ne jamais figurer dans les livres officiels du parti », précise-t-il.
Cette situation, Me Noren Seeburn l’attribue à une absence de volonté politique. « Les politiciens n’ont jamais voulu doter l’ESC de pouvoirs d’enquête sur les dépenses électorales des partis politiques. Il faudrait que l’ESC puisse mettre la main sur les relevés bancaires et les déclarations fiscales de nos politiciens », insiste-t-il.
Ce qu’a dit la justice indienne
Le 15 février 2024, la Cour suprême indienne a annulé un système de financement des partis politiques mis en place par le gouvernement de Narendra Modi en 2017, appelé les « obligations électorales ». Ce système permettait aux entreprises et aux particuliers de financer les partis politiques de manière anonyme en achetant des titres auprès de la State Bank of India. Cependant, la Cour suprême a jugé ce système « anticonstitutionnel, arbitraire et contraire au droit à l’information des électeurs ».
La décision, qui est intervenue à deux mois des élections législatives en Inde, qui débutent ce 19 avril, a été saluée pour son impact sur la transparence du financement politique. Le système des « obligations électorales » avait été critiqué pour son manque de transparence et son potentiel à favoriser le blanchiment d’argent et le financement occulte des partis politiques.
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