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Faux médicaments et médicaments avariés : soupçons de complicité à la Santé

Faux médicaments et médicaments avariés Des faux médicaments ont été distribués aux patients.

Connivences entre haut-fonctionnaires du ministère de la Santé et fournisseurs. C’est la thèse avancée par des fonctionnaires, des médecins et des fournisseurs par rapport à l’approvisionnement en faux médicaments et le délai pris pour les réclamations dans les cas des médicaments avariés. Des cas dénoncés dans le rapport 2016-2017 du directeur du bureau de l’audit.

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Il n’y a pas de fumée sans feu. Telle est l’opinion de certains fonctionnaires du ministère de la Santé, interrogés par Le Défi Plus. « C’est scandaleux que des faux médicaments aient été acceptés par le ministère, et pour remuer le couteau dans la plaie, que ces médicaments aient été distribués aux patients », fulminent des médecins du service public. « Les personnes chargées de l’achat de ces médicaments réalisent-elles au moins les risques qu’elles font courir aux patients ?», s’interroge un spécialiste affecté à l’hôpital Victoria à Candos.

Un autre spécialiste de l’hôpital Dr Jeetoo à Port-Louis, se dit « intrigué » que ce cas de faux médicaments n’ait été rendu public qu’à travers le rapport de l’Audit : « J’estime qu’il est le devoir du ministère [de la Santé] d’informer tous les médecins du service public de ces médicaments retirés des pharmacies, des hôpitaux et des dispensaires. Il y a de fortes chances que ce faux médicament ait eu des effets contraires ou des effets secondaires sur des patients », soutient-il.

À l’hôpital SSRN, c’est au niveau du contrôle de la livraison que l’on s’interroge. « N’y a-t-il aucun contrôle lorsque les médicaments sont livrés ? Cela donne froid dans le dos, car demain, on pourrait prendre un médicament pour un autre. Au final, le patient en fera les frais », martèle un spécialiste.

D’après le rapport du directeur de l’Audit, 32 412 flacons de ce qui était censé être du « Paracetamol Solution IV » ont été rappelés des divers établissements de santé, étant des « fake products ». Plusieurs plaintes avaient été consignées au ministère de la Santé. Celui-ci n’a pas tardé à réagir. Dans un premier temps, tous les flacons déjà distribués dans les centres de santé ont été rappelés. Ensuite, le ministère a sommé le fournisseur du faux médicament de rembourser Rs 1 596 993, soit le montant de ladite commande incriminée. La Santé a aussi saisi son « retention allowance ».

Aucune action

Plusieurs médecins contactés par Le Défi Plus se disent scandalisés que ce cas ait été passé sous silence. « À ce jour, rien n’indique que des actions aient été prises contre les fournisseurs de faux médicaments. La Santé a l’obligation et la responsabilité d’informer le public des actions prises. Une enquête a-t-elle été initiée ?

Si oui, quelles sont les conclusions du rapport ? Le cas a-t-il été rapporté à la police? Si rien n’a été fait, il est clair qu’il y a anguille sous roche », déclare l’un d’eux. Un autre médecin va plus loin et se demande si le Central Procurement Board a été informé de ce cas. « Il ne faut pas que le fournisseur puisse participer à des appels d’offres futurs », s’insurge-t-il.

Si dans ce cas précis, le ministère a agi promptement, tel n’a pas toujours été le cas. Le rapport indique qu’en mars 2015, 7 144 flacons de 50ml et 11 404 flacons de 100 ml avaient été rappelés des centres hospitaliers où ces pseudomédicaments avaient été distribués. À l’époque, aucune entrée n’a été faite dans le système. Le directeur de l’audit déplore que la Procurement Unit n’ait jamais été informée du nombre de flacons rappelés. Ce qui l’incite à affirmer que le montant réclamé a été sous-estimé de Rs 937 272.

Et de souligner qu’à octobre 2017, l’affaire n’a toujours pas été réglée. Un médecin de l’hôpital Victoria s’interroge sur cette « malheureuse coïncidence ». « Si c’est arrivé une fois, on peut mettre cela sur le compte du hasard ou d’une erreur. Mais à deux reprises, on est en droit de se poser des questions », dit-il.

Pertes de Rs 8 millions

Le rapport mentionne trois autres cas où des médicaments ont été « recalled », montrant du doigt l’inaction ou le manque de suivi de la Santé pour récupérer le montant des médicaments avariés ou faux. Au total, cela représenterait un manque à gagner de Rs 8 millions pour la Santé.

Dans le premier cas, 94 882 flacons d’Amoxycillin (Trihydrate) Suspension 125mg/5 ml x 100 ml, d’un montant de Rs 863 000, avaient été rappelés. En cause : la qualité du produit. Un an après, soit à octobre 2017, aucune réclamation n’a été faite par le ministère pour recouvrer l’argent payé au fournisseur. Idem pour des injections de Methyl Prednisolone où en deux occasions, soit en juillet 2015 et novembre 2016, 1 945 et 7 143 ampoules avaient été rappelés. Montant total des ampoules : Rs 898 289. Aucune réclamation n’a été adressée au fournisseur concerné par le ministère.

Et lorsque la Santé décide de réagir, manque de bol, c’est le fournisseur qui n’obtempère pas. C’est ce qui s’est passé dans le cas de 302 736 flacons de Mucosol Cough Syrup, du sirop antitussif dans lesquels des matières en suspension avaient été découvertes en juin 2017. Ces flacons ont été rappelés. En août 2017, le fournisseur est sommé de rembourser
Rs 3 727 080 d’une part et d’enlever les flacons entreposés au Tobacco Board à ses propre frais, d’autre part. Deux mois plus tard, soit à octobre 2017, le fournisseur n’avait ni remboursé l’argent, ni déplacé les 302 736 flacons.

Un exercice d’inventaire initié
Dans sa réponse au directeur de l’Audit, le ministère de la Santé informe que la Central Supplies Division (CSD) sera invitée à entreprendre un exercice pour déterminer le nombre de médicaments rappelés. Cela pour permettre à la Procurement Unit de prendre les actions nécessaires pour réclamer les remboursements aux fournisseurs.

Me Erickson Mooneeapillay : « Un délit passible d’amende ou d’emprisonnement »

La commercialisation et la distribution de « faux » médicaments sont condamnables. Le fournisseur et le distributeur sont passibles d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement. C’est l’avis de l’avocat Erickson Mooneeapillay. « Un faux médicament peut être catégorisé comme un produit illégal. Le fournisseur peut ne pas avoir le permis nécessaire pour la production dudit médicament. Un tel acte peut être considéré comme une offense et être passible d’une amende et/ou d’une peine de prison selon la Dangerous Drugs Act », dit-il.

L’avocat indique que la loi est claire à ce sujet. « Cette loi fait mention, dans divers schedules, des substances considérées comme dangereuses et de médicaments autorisés à la vente et ceux qui ne le sont pas », dit-il.

Qu’en est-il de produits dont la composition est méconnue ?  À cette question, Me Erickson Mooneeapillay avance qu’il revient au Forensic Science Laboratory de déterminer ces composants exacts.

« S’il y a des traces de substances interdites à Maurice, le fournisseur et le revendeur ont commis un délit et encourent une amende et/ou une peine de prison », précise Me Mooneeapillay.


Dr Yasheel Aukhojee : « D’une simple allergie au coma »

Qu’est-ce qu’un faux médicament et quelles répercussions leur consommation peut-elle avoir sur la santé ? À cette question, le Dr Yasheel Aukhojee, directeur de Médecin à Domicile, avance qu’un médicament dit faux peut, dans certains cas, avoir des effets similaires à la consommation de drogue de synthèse. « Si l’on part du principe que le médicament est un faux, on considère que ses composants sont inconnus. Il s’agit donc d’un médicament qui n’est pas censé à la vente et qui est illégal », avance le Dr Aukhojee.

De fait, indique notre interlocuteur, la consommation d’un tel « médicament » n’est pas sans risque. « Primo, le médicament peut n’avoir aucun effet sur le patient. Secundo, le médicament peut ne pas avoir l’effet thérapeutique escompté. Et tertio, le faux médicament peut engendrer des effets secondaires. Cela peut être une simple allergie, des vomissements, des éruptions cutanées, des hallucinations, la perte de connaissance ou sombrer dans le coma », soutient le directeur de Médecin à domicile.

Concernant les médicaments autorisés, mais périmés ou de mauvaise qualité, le Dr Yasheel Aukhojee indique que leur consommation peut aussi causer des effets secondaires. « Il s’agit d’effets secondaires autres que ceux déjà reconnus et indiqués par le laboratoire ayant conçu le médicament après analyses. D’autre part, le délai (‘on set period’), que prend le médicament avant d’agir peut se révéler plus long ou plus court que la normale », dit-il.


Une enquête de l’Icac réclamée

L’affaire de faux médicaments relance la polémique sur le lien incestueux entre hauts fonctionnaires du ministère de la Santé et fournisseurs de médicaments et d’équipements médicaux. Un groupe de fournisseurs qui se sentent lésés réclament une enquête approfondie de l’Independent Commission against Corruption (Icac). Ceux-ci encouragent l’Icac à poursuivre son enquête sur les contrats alloués par la Santé. « À ce jour, vous avez eu la tête du Charge Nurse Ramnaz Hoolass et du cardiologue Nizam Domah.

Cela ne doit être que le début. D’autres têtes doivent tomber. Comment se fait-il que le ministère ait pu prendre livraison de faux médicaments ? Cela n’aurait pas été possible sans une complicité interne. Ainsi, il faut les démasquer, car ils ont mis la vie des patients en danger », disent-ils.

À leur avis, l’enquête de l’Icac doit porter d’abord et avant tout sur le « lien incestueux » entre fonctionnaires et fournisseurs. « Vous conviendrez avec nous, Monsieur le directeur général de l’Icac, que ce n’est pas par hasard ou par erreur que des faux médicaments ont pénétré les pharmacies de nos hôpitaux et autres centres de santé publics. En tant que fournisseurs et sachant le mode d’opération au ministère de la Santé, nous sommes persuadés qu’il y a eu connivence. Il est clair que le Bid Evaluation Committee doit être ‘take to task’ et des sanctions doivent être prises. L’Icac doit éplucher toutes les offres et demander aux membres du comité d’évaluation de justifier leurs décisions », écrivent-ils.

Les spécifications des médicaments et des équipements médicaux dans les documents d’appel d’offres sont, selon eux, la source des irrégularités. Selon leurs observations, dans certains cas, les spécifications paraissent taillées sur mesure pour certains fournisseurs. Pour étayer leurs dires, ils ont soumis une liste de produits médicaux et d’équipements à l’Icac. À leur avis, pour chacun de ces produits, une des spécifications ne peut être honorée que par un fournisseur. Ainsi, celui-ci est considéré comme favorisé au détriment des autres soumissionnaires. « Il suffit d’avoir une spécification particulière parmi une vingtaine pour favoriser un fournisseur. L’inclusion de cette spécification qui fait la différence est une source de favoritisme. Voire de corruption », font-ils ressortir.

Les exercices d’appel d’offres restreint (Restricted bidding) sont considérés comme une autre source d’irrégularités. Les dénonciateurs invitent l’Icac à passer au peigne fin la liste des soumissionnaires restreints choisis par la Procurement Unit du ministère. Cela pour établir si des fournisseurs crédibles, ayant de longues années d’opération, sont ignorés au profit de jeunes compagnies commercialisant des produits venant de Chine.


Motus et bouche cousue à la Santé

Le ministère de la Santé a décliné notre demande de précisions. D’abord, Le Défi-Plus a voulu une réaction du ministre Anwar Husnoo sur les critiques du directeur de l’Audit, les mesures qu’il compte prendre, si une enquête a été initiée pour établir les responsabilités au niveau du ministère et si le cas du fournisseur de faux médicaments a été référé à la police. Nous avons voulu savoir le nom de ce fournisseur, le nombre de contrats qu’il a bénéficiés du ministère, et après combien de médicaments distribués le ministère s’est-il rendu compte qu’ils étaient faux.

 

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