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Entre stratégie internationale et prudence diplomatique : pas de virage immédiat vers la dédollarisation pour Maurice

Selon des experts économiques, réduire la dépendance au dollar offrirait à Maurice plusieurs bénéfices mais comporterait également des risques.
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Plus de 50 pays ont engagé un processus actif de dédollarisation. Cependant, Maurice reste prudent. Cette tendance mondiale qui vise à réduire la domination du dollar américain dans les échanges commerciaux pourrait prendre de nombreuses années avant d’être envisagée sérieusement. 

À ce jour, plus de 50 pays ont engagé un processus actif de dédollarisation. Rien qu’au cours des derniers mois, 14 nouveaux États ont rejoint ce mouvement, dont 46 effectuent désormais leurs transactions en monnaies nationales. Parmi eux figurent à la fois des puissances économiques et des nations en développement en quête de souveraineté financière. 

Les BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Iran, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Indonésie et l’Éthiopie) jouent un rôle central dans cette mouvance. Des blocs, tels que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), l’Organisation de coopération de Shanghai et la Communauté des États indépendants (CEI), favorisent également le commerce en devises locales. 

Pour Maurice, la situation est particulièrement délicate. Une source du gouvernement explique : « Nous sommes sur le point de conclure un accord important avec les États-Unis et le Royaume-Uni concernant les Chagos. La compensation prévue pourrait être versée en dollars. Dans ce contexte, cela n’aurait aucun sens pour Maurice de s’engager dans un processus de dédollarisation. » 

Elle précise d’ailleurs qu’aucune mesure n’a été prise par le gouvernement en ce sens. « L’adoption d’une telle stratégie ne se fera donc certainement pas dans l’immédiat. Peut-être pourrions-nous la considérer une fois l’accord sur les Chagos signé. Mais avant cela, ce ne serait clairement pas une stratégie judicieuse de la part du gouvernement mauricien », ajoute-t-elle.

Appel à la prudence 

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Assad Bhuglah.

Assad Bhuglah, spécialiste des affaires internationales, appelle à la prudence. Selon lui, la transition vers un monde multipolaire en matière monétaire ne se fera ni brusquement ni facilement. « Ce que je peux vous dire de la dollarisation, c’est que cela ne va pas arriver aussi vite que vous le pensez », affirme-t-il. 

Il concède que plusieurs pays explorent des alternatives au dollar américain et que les transactions en euros, en yuans chinois ou en yens japonais sont en hausse. Mais il souligne qu’aucun de ces pays ne dispose encore du même poids économique, diplomatique et militaire que les États-Unis pour imposer leur monnaie à l’échelle mondiale. 

« Aucun de ces pays n’a le ‘clout’ des Américains pour maintenir la suprématie. Cela va prendre du temps », souligne-t-il. À court terme, poursuit-il, le dollar conservera sa place dominante, mais son rôle s’érodera progressivement. « Son importance diminuera graduellement, mais il ne disparaîtra pas. Les gens continueront d’utiliser le dollar parce que c’est déjà dans les circuits et ils y sont habitués », soutient-il. 

Pour Assad Bhuglah, la montée en puissance des autres devises se fera progressivement. « C’est un changement en douceur. Mais à long terme, le dollar perdra définitivement de son importance », dit-il. 

Tahir Wahab, expert-comptable et observateur économique, observe, pour sa part, que Maurice a déjà esquissé une orientation vers la dédollarisation, notamment grâce à des accords de règlement en monnaies locales avec la Chine et l’Inde. Cette tendance mondiale, dit-il, s’explique par plusieurs facteurs, dont les tensions commerciales provoquées par la politique tarifaire de Trump, les attaques répétées contre l’indépendance de la Réserve fédérale, ainsi que les déséquilibres budgétaires des États-Unis. 

Parallèlement, la montée en puissance d’économies alternatives incite les pays à diversifier leurs échanges monétaires. « Toutefois, pour Maurice, cette transition doit être menée avec prudence afin de maintenir des relations stables avec ses partenaires commerciaux et bâtir la confiance dans les devises alternatives », soutient-il.

Un processus de 10 à 15 ans pour l’île 

Tahir Wahab indique que la dédollarisation est un processus complexe et progressif. En 2025, dit-il, malgré sa baisse, le dollar reste encore la principale monnaie de réserve mondiale (58 %) et occupe une place centrale dans les échanges internationaux. 

« Pour Maurice, une transition complète pourrait s’étaler sur une décennie, en fonction de l’évolution des accords bilatéraux, de la stabilité des monnaies partenaires et des ajustements structurels internes dans l’économie mauricienne », explique-t-il. 

L’économiste Bhavish Jugurnath abonde dans le même sens. Selon lui, si Maurice choisit d’adopter une stratégie de dédollarisation progressive, le calendrier dépendra de l’ampleur et de la profondeur des changements envisagés. « Une dédollarisation complète et prudente pourrait s’étendre sur une période de 10 à 15 ans. Les décideurs devront préparer le terrain avec un minimum de perturbations », fait-il comprendre. 

À ce stade, appuie-t-il, le dollar américain reste dominant, mais des voies alternatives commencent à être explorées. « Maurice devra notamment élargir ses lignes de swap de devises avec des partenaires lés, tels que la RBI (Banque de réserve de l’Inde) ou la PBOC (Banque populaire de Chine), et localiser davantage les règlements commerciaux, par exemple en utilisant la roupie, le yuan ou l’euro dans une part croissante du commerce régional », soutient-il. 

Toutefois, précise Bhavish Jugurnath, une dédollarisation partielle, notamment en ce qui concerne les réserves et les échanges bilatéraux, pourrait commencer à produire des résultats dans un délai de trois à cinq ans.

Les avantages 

Tahir Wahab : « Réduire la dépendance au dollar offrirait à Maurice plusieurs bénéfices. Cela limiterait les risques liés aux fluctuations du dollar et renforcerait la stabilité de la roupie. En intégrant d’autres devises dans ses échanges internationaux, Maurice gagnerait en souveraineté monétaire, ce qui réduirait les coûts de conversion et renforcerait davantage ses relations commerciales avec des partenaires comme l’Inde, la Chine ou l’Afrique. Cette diversification pourrait aussi attirer davantage d’investissements étrangers et consolider la résilience économique du pays face aux chocs extérieurs venant principalement de l’Europe et les États-Unis. » 

Bhavish Jugurnath : « La dédollarisation permettrait de réduire l’exposition à la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine. Exemple : les hausses de taux d’intérêt ou les politiques de resserrement quantitatif qui influencent souvent l’inflation, les taux d’intérêt et les flux de capitaux à Maurice. La Banque de Maurice gagnerait en marge de manœuvre pour adapter ses politiques aux conditions locales, au lieu de réagir aux chocs externes liés au dollar. Cela favoriserait également des liens commerciaux et financiers plus étroits avec des économies non occidentales en forte croissance, telles que l’Inde, la Chine, les pays africains ou du Moyen-Orient. L’utilisation de monnaies locales ou de celles des partenaires (comme la roupie indienne, le yuan chinois ou le rand sud-africain) permettrait aussi de réduire les coûts de transaction et les pertes liées à la conversion des devises dans les échanges bilatéraux. »

Les risques

Tahir Wahab : 

« Les monnaies alternatives ne bénéficient pas encore d’une confiance suffisante à l’échelle mondiale, notamment à cause de leur manque de liquidités et stabilité. Les partenaires commerciaux pourraient être réticents à abandonner le dollar, ce qui limiterait l’efficacité de la démarche. Une transition mal préparée risquerait de nuire à la compétitivité du pays et d’affecter ses relations avec les États-Unis. De plus, sortir du système centré sur le dollar impliquerait des ajustements juridiques, techniques et économiques coûteux. Un retrait prématuré pourrait engendrer une instabilité monétaire, une perte de confiance des investisseurs et des répercussions négatives sur des secteurs clés, comme le tourisme, le textile ou les services financiers. » 

Bhavish Jugurnath : 

« La dédollarisation nécessite la modernisation des infrastructures de paiement, de la réglementation financière et des opérations monétaires afin de soutenir des systèmes multidevises. Maurice est un preneur de prix sur les marchés mondiaux. Le pays ne dispose ni de l’envergure, ni du levier nécessaires pour imposer des conditions hors USD à ses principaux partenaires commerciaux ou acteurs financiers. Des erreurs d’application ou un manque de préparation pourraient entraîner des blocages opérationnels ou une instabilité financière. En n’effectuant pas ses transactions en dollars américains, Maurice pourrait faire face à des primes plus élevées ou à des conditions moins avantageuses. L’utilisation de devises alternatives accroît l’exposition à leur propre volatilité, aux contrôles de capitaux et aux incertitudes géopolitiques. Les entreprises mauriciennes pourraient également rencontrer des difficultés pour se couvrir ou fixer des prix dans ces monnaies. » 

 

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