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Échec de tout un organisme : la STC serait gangrenée par la corruption

Le cadre légal dans lequel opère la STC est déjà très bien défini mais la responsabilité des fonctionnaires est engagée pour l'appliquer.

Au cœur de l’actualité depuis les révélations faites dans le cadre de l’enquête judiciaire instituée sur le décès suspect de l’ancien agent du Mouvement socialiste militant, Soopramanien Kistnen, le fonctionnement de la State Trading Corporation inquiète à plusieurs niveaux. Quels sont donc les maux de cet organisme ? Éclairage.

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La passivité des fonctionnaires

Les révélations concernant les allocations de contrats effectuées par la State Trading Corporation (STC) pendant la période du confinement démontrent de jour en jour l’échec d’un organisme. Les commentaires et les critiques à l’encontre de cette corporation, créée en 1982 dans le but d’être le bras droit commercial du gouvernement, illustrent pour plusieurs observateurs l’écroulement de tout un système et l’agissement des personnes censées de veiller sur son bon fonctionnement. 

Pour l’ancien haut fonctionnaire, Krish Ponnusamy, tout ce qui est en train d’être mis en lumière au sujet de la STC démontre également la passivité des fonctionnaires qui, selon lui, sont les premiers à devoir veiller scrupuleusement au respect des règles et des procédures qui sont censées gouverner cet organisme. D’ailleurs, il ne cache pas son étonnement. Il rappelle que « le cadre légal dans lequel opère la STC est déjà très bien défini. La Public Procurement Act est une loi cadre qui explique tout ce qui faut faire en matière de procurement et fait même provision pour les Emergency Procurements ».

Ce dernier fait également ressortir qu’il est de la responsabilité du fonctionnaire de connaître chaque chapitre de cette loi sur le bout de ses doigts. D’autant plus que les responsabilités du fonctionnaire sont aussi bien définies dans cette loi. L’ancien haut fonctionnaire explique que la Banque mondiale avait épaulé Maurice dans l’élaboration de cette loi, amendée en 2006, car à l’époque elle avait décelé d’importantes failles dans la loi présentée initialement. Notre interlocuteur explique aussi que cette loi consacre tout un chapitre au Central Procurement Board (CPB). « Il y a aussi d’autres chapitres intéressants sur les méthodes d’approvisionnement, et les appels d’offres internationaux », avance-t-il.  Au fait, ajoute-t-il, si un fonctionnaire a parfaitement bien assimilé cette loi, il y a peu de chances pour que des malversations se produisent.

Pression des politiciens 

L’ingérence politique est l’autre mal dont souffre la STC, selon Krish Ponnusamy. Quelle marge de manœuvre pour un fonctionnaire à en faire face ? Outre le fait qu’un fonctionnaire doit, selon Krish Ponnusamy, avoir du tempérament pour résister aux pressions politiques. « Il doit impérativement en faire part au Chief Executive de l’organisme. Et s’il n’obtient pas satisfaction, il peut en faire part au conseil d’administration. Et si cela ne marche toujours pas, il se doit d’en faire part au Permanent Secretary du ministère de tutelle. C’est important qu’il fasse cet effort s’il est d'avis que les règles ne sont pas en train d’être respectées », poursuit-il. 

Un ancien haut cadre de la STC observe que de gouvernement en gouvernement l’ingérence politique s’intensifie. « À tel point que les politiques y contrôlent tout. À en voir, la façon dont les contrats ont été alloués. Des compagnies spécialisées ont été sacrifiées au profit des compagnies fraîchement enregistrées rien que pour décrocher des contrats », constate-t-il. 

Une enquête approfondie

À son humble avis, il faut instituer une enquête indépendante pour passer au crible tous les contrats alloués « car tout ce qui a été dit actuellement n’est que le ‘tip of the iceberg’ ». Selon ses observations, des politiciens et ceux qui gravitent autour d’eux ont vu en la STC « une vache à traire ». Or, selon lui, la STC est censée être un exemple en matière de « procurement », car il s’agit d’un organisme spécialisé dans le secteur d’approvisionnement.  D’autant plus, que la loi a été amendée en 2007 afin de permettre à des organismes, telles que la STC, qui sont engagées dans l’achat de produits pour la revente, d’être exemptés de lourdeurs administratives. 

Le recours à l’« Emergency Procurement », poursuit-il, oblige aux responsables d’un organisme de faire preuve davantage de rigueur. Chaque étape de l’exercice doit être mise sur papier, car les principes de transparence doivent être doublement respectés. Il met aussi en exergue le fait que les comptes de la STC sont annuellement vérifiés par le bureau national de l’audit qui n’hésitera pas à donner un carton rouge dans son rapport dès qu’un manquement est observé.

Manque de rigueur

Pour justifier les conditions dans lesquelles les exercices d’allocation de contrat ont été effectués par la STC lors du confinement, un des arguments mis en avant par le gouvernement est qu’il s’agissait d’une situation inédite. Un argument qui a été rejeté en bloc par des employés de la STC qui font ressortir que c’est un organisme qui est habitué à faire face à des situations exceptionnelles. « La STC a dû faire face à des situations où des cargaisons de riz, de farine ou de pétrole ont été contaminées. Et de ce fait, elle a souvent eu recours aux exercices d’Emergency Procurement, car si nous avions eu recours aux exercices d’appels d’offres habituels le pays aurait pu se retrouver en situation de rupture de stock et c’est toute une économie qui est mise à risque », expliquent-ils.

Selon eux, la STC aura beau se retrouver dans une situation exceptionnelle avec la pandémie de la COVID-19, mais plusieurs outils auraient pu être utilisés afin de procéder à la sélection de firmes spécialisées dans l’achat d’équipements médicaux. Une simple recherche sur Google aurait pu permettre à la STC d’identifier des firmes crédibles. « Certaines de ces firmes doivent avoir des représentants à Maurice », soutiennent-ils. 

De plus, disent-ils, peu importe l’urgence de la situation, la STC doit exiger certaines garanties auprès d’une compagnie, notamment ses rapports financiers qui peuvent facilement être obtenus et vérifiés. « Ce sont des vérifications qui se font rapidement. De plus, peu importe la gravité de la situation certaines règles ne peuvent être contournées, car on est en train d’impliquer des millions de roupies qui proviennent des caisses publiques. On ne peut donc se permettre de faire confiance à une compagnie avec des comptes suspects. Un exercice de due diligence doit impérativement être effectué. Et cela peut se faire assez rapidement aujourd’hui avec les outils technologiques qui sont à notre disposition », disent-ils.

Pourrissement généralisé 

Les observations faites par l’ancien ministre et directeur du bureau de l’audit, Kadress Pillay, sont loin d’être élogieuse. D’emblée, il fait part que « nous avons un gros problème aujourd’hui ». Selon lui, le mal réside dans la qualité des hommes qui sont nommés à la tête des institutions. Kadress Pillay précise que la STC a historiquement été créée pour pouvoir opérer des transactions commerciales en toute indépendance. « Le gouvernement doit uniquement se contenter d’établir la ligne directrice, c’est-à-dire de donner certaines directives sur les types de produits qu’il faut acheter pour le pays. Point à la ligne. La STC s’en charge du reste et ne doit pas subir d’autres pressions. » L’ancien ministre, qui soutient avoir déjà inspecté les comptes de la STC en sa capacité d’ancien directeur du bureau de l’audit, explique que ce qui a été révélé jusqu’ici est une grande première. « Il m’est certes arrivé de mettre en lumière des manquements administratifs, mais jamais dans les exercices d’allocations de contrats. Ce qui est en train d’être révélé démontre le pourrissement généralisé de nos institutions », précise-t-il.


Réactions

Fareed JaunbocusFareed Jaunbocus, CEO de Strategos Ltd : «Un ministre a été limogé pour une affaire similaire au Zimbabwe»

L’affaire de la State Trading Corporation (STC) durant le confinement a soulevé le dysfonctionnement de l’entreprise, remettant parallèlement en cause la bonne gouvernance de l’institution alors que des contrats ont été alloués à des proches du pouvoir. Un blâme qui est loin d’être individuel, mais collectif, selon Fareed Jaunbocus, CEO de Strategos Ltd. Il estime que les décisions ont été prises de part et d’autre dans cette affaire. « Le procurement est une spécialité qui se développe très rapidement. À chaque niveau, que ce soit l’administration technique, le sous-comité du board, jusqu’au ministre concerné dans cette affaire, il y a des normes à respecter », explique le CEO de Strategos Ltd. 

« Est-ce en raison de la Covid-19 et l’urgence de la situation que les décideurs ont voulu procéder rapidement ? » s’interroge Fareed Jaunbocus. « Cela n’est pas moins sûr ! Il ne demeure pas moins vrai que toute personne raisonnable aurait pu comprendre la situation urgente, mais encore faut-il que les décisions soient suivies d’une bonne gouvernance. Ce point si essentiel a été bafoué, engendrant le mécontentement de la population », explique notre interlocuteur. Et d’évoquer l’opacité de l’ancien ministre du Commerce dû au fait que ceux qui ont reçu les contrats incriminants sont proches du ministre démissionnaire et non de la STC. Fareed Jaunbocus fait ressortir qu’un ministre a été limogé pour une affaire similaire au Zimbabwe. 

L’affaire STC n’est pas non plus sans conséquence sur les employés de l’entreprise. Selon Fareed Jaunbocus, ce n’est plus à leur honneur de se présenter en tant qu’employés de la STC. Il faut désormais en tirer les leçons et légiférer. « La seule institution humaine qui a rejeté le progrès et le changement c’est le cimetière », tient à souligner Fareed Jaunbocus. D’où l’importance, précise-t-il, de disposer d’un cadre légal de bonne gouvernance pour éviter toute déconvenue à l’avenir. 


Rajiv Servansingh

Rajiv Servansingh, observateur économique et politique : « Nous sommes confrontés à un problème systémique »

« Cela fait longtemps qu'il y a une inadéquation entre le rôle attribué et le système de gouvernance par rapport aux corps paraétatiques. Les budgets attribués à ces organismes ont subi des augmentations substantielles durant des décennies, mais les systèmes d'audit, de redevabilité et de contrôle de gestion sont restés quasiment les mêmes. Nous sommes donc confrontés à un problème systémique. » Tel est l’avis de Rajiv Servansingh, observateur économique et politique (Ndlr : il a déjà été à la tête de plusieurs corps paraétatiques), sur la gestion dans les corps paraétatiques. 

Pour lui, le rôle et la nature des entités publiques que « nous classifions abusivement tous dans le même panier varient énormément ». « Certains fonctionnent dans la sphère commerciale tandis que d'autres ne sont que des exécutants de la politique gouvernementale », fait-il ressortir. Dans ces deux cas extrêmes, les rapports entre le ministère et ces entités ne sont pas très différents, avance-t-il. « Même dans le cas où les entités sont corporatisées avec un conseil d'administration, les protocoles régissant les rapports ministère/conseil d'administration ne sont pas clairs », explique-t-il. 

Quelle serait la solution pour changer la donne ? Il faudrait, souligne Rajiv Servansingh, éventuellement apporter une réforme radicale de tout le système de sorte que les spécificités des entités soient prises en compte et que les systèmes de gouvernance appropriés soient appliqués. 

 


Eric NgEric Ng, économiste et ancien président de la STC : « Les dirigeants doivent cesser de suivre aveuglément leur ministre »

L’économiste Eric Ng, qui a également été président de la STC dans le passé, est catégorique.  « Pour qu’une compagnie paraétatique puisse fonctionner avec efficacité, leurs personnes qui en sont à la tête doivent cesser de suivre aveuglément tout ce que leur ministre de tutelle leur demande de faire », affirme-t-il.  Il insiste qu’ils doivent pouvoir gérer la compagnie en toute indépendance et adopter un comportement exemplaire vis-à-vis de leur personnel. « lls doivent obéir à la logique des coûts et mettre des employés compétents aux postes qui leur conviennent », ajoute notre interlocuteur. Au cas contraire, dit-il, il faut s’attendre à des répercussions graves sur les opérations de la compagnie. « D’abord, cela peut mener vers des pertes financières pour l'entreprise et la démotivation pour les employés. Par ailleurs, la tentation de pratiques de corruption ne sera pas à écarter », fait-il ressortir. 


Les liens de parenté de Jonathan Ramasamy avec ceux ayant décroché des contrats

Lors du confinement entre mars à juin 2020, la State Trading Corporation (STC) a octroyé plusieurs contrats sans un exercice d’appel d’offres, pour la somme de plus d’un milliard de roupies. Et ce sont les proches de Jonathan Ramasamy, directeur de cet organisme, qui ont décroché ces contrats. La compagnie AV Techno-World Co Ltd a eu deux contrats, notamment du ministère de la Santé et celui du Commerce. Mais ce qui intrigue dans cette affaire est Selvie Appanna, secrétaire de la compagnie, mais aussi directeur de BCA Consulting. Ashwind Kumar Poonyth, le secrétaire de cette compagnie qui est aussi le secrétaire de Bo Digital Co. Ltd, a décroché plusieurs contrats auprès de la STC.

Voici l’organigramme qui mène au directeur de la STC :

les liens parentés du directeur de la STC

 

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