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Droits et exils : ces voix éteintes qui portent encore la mémoire des Chagos

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Ils ne sont plus de ce monde, hélas. Ils ne seront pas là pour goûter au fruit de leur combat, ni pour voir la justice poindre enfin à l’horizon. Pourtant, ces hommes et ces femmes ont été les piliers, les éclaireurs d’une lutte longue et douloureuse pour le droit au retour des Chagossiens sur leur terre natale. À travers leurs voix, leurs sacrifices et leur détermination inébranlable, ils ont porté haut la mémoire d’un peuple dépossédé.

Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye : Le combat sacré de feu Sir Anerood Jugnauth

Sir Anerood Jugnauth lors de sa plaidorie à la Cour Internationale de Justice.
Sir Anerood Jugnauth lors de sa plaidorie à la Cour Internationale de Justice.

Le 3 septembre 2018, devant la Cour internationale de justice de La Haye, feu Sir Anerood Jugnauth, ancien ministre mentor de Maurice, a porté haut la voix de son pays dans une bataille juridique d’une portée historique. Son plaidoyer pour la restitution de l’archipel des Chagos, arraché à Maurice lors de la décolonisation, symbolise une quête profonde de justice et de dignité nationale.

Face à une assemblée mondiale où trente-et-un États et l’Union africaine se sont fait les porte-voix de la cause mauricienne, SAJ a défendu la résolution initiée par Maurice, rappelant que le détachement de cet archipel avait été un acte illégal, une blessure ouverte dans l’histoire de la nation. L’avis consultatif rendu le 25 février 2019 par la Cour internationale de justice (CIJ) a sonné comme une victoire morale éclatante : le Royaume-Uni est tenu de mettre fin à son administration coloniale de l’archipel dans les plus brefs délais.

Pour Sir Anerood Jugnauth, ce combat n’était pas seulement politique, mais une mission sacrée, nourrie par une foi inébranlable. « Avec l’aide de Dieu, j’allais réussir », affirma-t-il à l’époque, résolu à affronter les menaces et les pressions de puissances mondiales. Son fils Pravind Jugnauth, ex-Premier ministre du pays, n’a pas manqué de saluer l’héritage du mentor, évoquant « avec émotion » ce jugement historique et rendant hommage au courage de SAJ, tout en exprimant sa solidarité avec les Chagossiens, victimes d’une injustice prolongée. Nando Bodha, ancien ministre des Affaires étrangères sous le régime MSM mais aussi très engagé dans la cause chagossienne, témoigne d’un moment d’une rare intensité : « Le 25 février 2019 était un jour mémorable. Cet avis consultatif a été une défaite retentissante pour la Grande-Bretagne, un rappel que le droit international ne saurait être bafoué impunément », dit-il.

Notre intervenant souligne que « le combat de Sir Anerood Jugnauth, à La Haye comme dans l’histoire de Maurice, reste un phare, un rappel constant que la justice, aussi longue soit sa route, finit par triompher ». 

L’ultime plaidoirie de SAJ

« The choice we were faced with was no choice at all. The Chagossians have fought for more than four decades for their right to return to their place of birth but without success. While the UK will contend that they have given financial support to them, let me say that no amount of money or any compensation can remedy the flagrant and ongoing breaches of fundamental human rights. Rights that are an inherent part of the principle of self-determination.

Mauritius fully supports their immediate right of return to the Chagos Archipelago, to their homes. But as long as our decolonization is not complete, we are not able to implement a program for resettlement.  One of the facts revealed by the release of records from the British archives, decades after the event, shows that administering power sought to carry out the detachment as quickly as possible so as to prevent the United Nations and its committee of 24 with a fait accompli. There was a clear plan to do the excision behind the back of the United Nations ».

Comité social chagossien : Le coup de main de Me Hervé Lassémillante

Hervé Lassémillante

Feu Me Hervé Lassémillante, disparu le 7 juillet 2020 à l’âge de 69 ans, a marqué la lutte des Chagossiens pour leurs droits avec une détermination sans faille. Aux côtés de Fernand Mandarin, il a fondé en 1995 le Comité social chagossien, une organisation phare qui visait à restaurer le droit des natifs de l’archipel à retourner sur leur terre ancestrale. Pour Me Lassémillante, la création de ce comité devait briser la stigmatisation persistante, refusant que les Chagossiens soient réduits au simple statut d’« Îlois ».

Au début des années 1990, alors que les Chagossiens multipliaient les démarches pour obtenir des documents auprès de l’Ilois Trust Fund Board (ITFB), feu Me Hervé Lassémillante jouait un rôle central. En 1995, avec le Comité social chagossien, il saisit la justice mauricienne pour contraindre l’ITFB à libérer ces documents essentiels, destinés à alimenter la bataille juridique menée par des avocats britanniques, Bindman and Partners. Cette action aboutit à l’obtention des pièces recherchées, sous réserve que l’ITFB les transmette directement aux représentants légaux.

« Feu Me Hervé Lassémillante était très actif. L’histoire retient qu’il a beaucoup œuvré pour le bien-être des Chagossiens tout en faisant bouger des dossiers », souligne l’historien Jocelyn Chan Low. L’observateur Yvan Martial abonde dans le même sens et fait comprendre que « tout comme feu Me Hervé Lassémillante, il y a un bon nombre de personnes, vivantes ou disparues, qui ont contribué à faire avancer le dossier Chagos ».

Charlesia Alexis et Lisette Talate : Les voix indomptables d’une mémoire bafouée

Charlesia Alexis et Lisette Talate

Dans l’histoire douloureuse du peuple chagossien, deux noms résonnent avec une force particulière : Charlesia Alexis et Lisette Talate. Ces deux femmes, véritables symboles de la résilience et du combat pour la justice, ont porté sur leurs épaules la voix des exilés, la mémoire d’un archipel arraché, et l’espoir d’un retour jamais abandonné.

Pour Nando Bodha, ancien ministre des Affaires étrangères et ardent défenseur de la cause chagossienne, ces femmes sont « exemplaires ». Il rappelle que la société chagossienne est profondément matriarcale. « Le combat des Chagossiens, autrefois appelés ‘Îlois’, a été politique, mené avec les frères Elie et Sylvio Michel et soutenu par le Mouvement Militant Mauricien (MMM) jusqu’en 1982. Mais ce sont ces femmes qui étaient en première ligne », souligne-t-il.

Un témoignage vivant de cette époque, c’est celui de Lisette Talate. « Ce qui frappe, c’est la façon dont elle raconte les événements, comme si c’était hier », confie Nando Bodha. Née et élevée sur l’archipel des Chagos, Lisette Talate incarne la mémoire vivante de son peuple. « Elle se souvenait d’une vie simple et autonome, rythmée par les plantations de cocotiers, la pêche, les visites familiales et les soins médicaux, au sein d’une communauté soudée et épanouie. Ils vivaient en parfaite harmonie avec leur terre, dans une société profondément libre », explique Nando Bodha.

La rencontre de Nando Bodha avec Lisette Talate est empreinte d’émotions. « J’ai côtoyé le président du CRG, Olivier Bancoult, pendant des années. Entre 2002 et 2003, je suis venu au centre chagossien de Pointe-aux-Sables pour écrire sur cette cause. Lors de l’entretien, j’ai réalisé que le regard de Lisette Talate traversait les années, marqué par les épreuves. Sa mémoire était infaillible, elle racontait la tragédie de la traversée, l’exil, la perte, comme si elle vivait ces instants encore. Lisette est morte le 4 janvier 2012, à l’hôpital Jeetoo, à Port-Louis, laissant derrière elle un héritage inestimable », se souvient-il.

Aux côtés de Lisette Talate, il y a eu Charlesia Alexis, une autre voix forte de la résistance chagossienne. Née sur l’île de Diego Garcia, elle est décédée à Crawley, en Angleterre, le 16 décembre 2012, à l’âge de 78 ans. Comme Lisette, elle a incarné la lutte acharnée contre l’injustice, traversant les océans et les continents pour porter la parole de son peuple. « J’ai rencontré Charlesia une seule fois, avant qu’elle ne parte en Angleterre. Ce qui me reste d’elle, c’est cette résilience inébranlable. Ces femmes ont mené des grèves de la faim, dont l’une a duré presque un mois. Une lutte incroyable, un courage sans faille », insiste Nando Bodha.

Au-delà de leur combat personnel, Charlesia Alexis et Lisette Talate ont été au cœur de la création du Chagos Refugees Group (CRG). Ce groupe a joué un rôle central dans la mobilisation internationale, dans la sensibilisation aux souffrances des Chagossiens et dans la pression diplomatique visant à obtenir réparation et droit au retour. Ces deux femmes incarnent ce que signifie résister face à l’oppression, porter la voix des sans-voix, et défendre une cause qui dépasse les frontières. Leur détermination a inspiré des générations et continue de guider la lutte chagossienne aujourd’hui.

 

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