C’est un profil « peu conventionnel », en la personne de Drishtysingh Ramdenee, titulaire d’un doctorat en ingénierie mécanique, qui a pris les fonctions de secrétaire général de la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI). Dans cet entretien, il détaille les grands axes de la stratégie de développement de l’organisme, avec en fil conducteur sa devise : « Si l’entreprise peut, les politiques réglementaires et administratives de soutien suivront. »
Dans quel état d’esprit vous êtes-vous joint à la MCCI ? Comment votre formation scientifique va-t-elle bénéficier particulièrement à la chambre de commerce et d’industrie ?
Nous avons, avec la MCCI, des valeurs et des ambitions communes. La MCCI a, en effet, toujours œuvré en faveur d’un environnement de développement régional solide, tout en garantissant l’efficacité opérationnelle de notre économie à travers l’innovation et des alliances stratégiques.
Ces efforts sont parfaitement en adéquation avec mes aspirations et nourrissent mon optimisme quant au succès de ces initiatives conjointes. De plus, le réseau de coopération unique de la MCCI est un atout inestimable pour soutenir le développement économique tant au niveau national qu’international.
Rejoindre la Chambre a été une suite logique de mon parcours professionnel, peu conventionnel certes, mais qui a toujours été axé sur l’efficacité opérationnelle des entreprises, ainsi que sur le développement durable et inclusif.
Détenteur d’un doctorat en ingénierie mécanique avec spécialisation dans l’aéroélasticité des structures complexes, j’ai travaillé dans le domaine de l’innovation et du développement économique national au Québec, notamment à l’Institut technologique de maintenance industrielle du Canada en tant que directeur et coordonnateur de l’alliance stratégique Transnord, chargé d’élaborer le développement du Grand Nord québécois.
La Chaire de recherche ferroviaire a été structurée comme un exemple de partenariat public-privé avec la mise en place de fonds et d’expertise communs entre des entreprises et des universités, impliquant aussi des montages financiers complexes.
De retour à Maurice, j’ai souhaité mettre l’expertise acquise au service du pays, notamment en insufflant cet esprit d’intrapreneurship lors de mon passage à l’Economic Development Board. Nous avions ainsi mis en place une nouvelle structure à la Regulatory Sandbox Licence, au National Incubator Scheme, et en définissant l’AI Roadmap, entre autres. Ces initiatives, je les ai portées avec la devise suivante : si l’entreprise peut, les politiques règlementaires et administratives de soutien suivront.
La MCCI est une excellente plateforme pour mettre à profit mes compétences, mon expertise mais aussi mon expérience. Je suis confiant que mes acquis apporteront une touche d’innovation, contribuant ainsi à la mise en place de structures d’intervention, et ce pas seulement au niveau des affaires. Notre objectif commun sera d’accélérer la diversification économique et de consolider nos assises.
La MCCI est une excellente plateforme pour mettre à profit mes compétences, mon expertise mais aussi mon expérience.
Quels sont les dossiers prioritaires sur lesquels vous vous êtes penché depuis votre prise de fonctions ?
Avant de mettre en perspective nos axes d’intervention prioritaires, faisons un rappel du mandat spécifique de la Chambre, de ses Business Units et de ses filiales.
Fondée le 25 janvier 1850, la MCCI est la plus ancienne institution privée à but non lucratif de l’île et la plus ancienne chambre de commerce de l’hémisphère Sud. Depuis sa création, la Chambre a constamment évolué pour s’adapter et répondre aux besoins du tissu économique et social de Maurice.
Tout en consolidant ses assises d’une instance responsable du commerce et de l’industrie, elle a aussi toujours maintenu sa mission primaire qui est d’accompagner le développement socio-économique du pays. Cela en favorisant continuellement une synergie entre le public et le privé, et en assurant l’égalité des chances dans toutes les sphères de l’économie.
La MCCI compte plusieurs Business Units, dont GS1 Mauritius et le comptoir de la détaxe (MCCI Tax Refund), qui contribuent avant tout à la facilitation des affaires. Le Mediation and Arbitration Center Mauritius Ltd (MARC), totalement indépendant et de renommée internationale, fournit à la communauté des affaires des moyens fiables en matière de résolution des litiges. Bien sûr, la MCCI Business School, le plus ancien établissement d’enseignement supérieur privé de l’île, continue à offrir des formations de qualité, selon des cursus adaptés aux besoins du marché du travail.
Comme indiqué déjà, la MCCI fait partie d’un important réseau international. À ce jour, la Chambre détient des conventions de coopération avec des agences de promotion d’une trentaine de pays. Sans oublier les Joint Business Councils, dont la mission consiste à promouvoir le commerce, et à dialoguer afin de trouver des solutions pour résoudre les barrières freinant les affaires, au niveau de nos principaux pays-partenaires commerciaux.
De ce fait, la Chambre est une plateforme incontournable promouvant l’économie d’échelle. À travers elle, la notion de la triangularité, basée sur les traités préférentiels reliant l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ne s’apparente plus aux discours mais devient une réalité fonctionnelle.
Ainsi, en ligne avec le mandat de la Chambre et les opportunités de développement de ses diverses unités, nos interventions prioritaires se déclinent en plusieurs stratégies. Nous allons établir des actions concrètes visant à positionner la MCCI en tant que plateforme privée incontournable pour, d’une part, faciliter les affaires et le commerce, et créer un climat propice à ces activités. D’autre part, pour agir en tant que tremplin et coordinateur entre les diverses chambres de commerce afin de mettre en œuvre efficacement les traités préférentiels.
L’une des principales missions du secrétaire général est le plaidoyer, qui consiste à soutenir et influencer les enjeux locaux. La MCCI devrait être davantage consultée avant toute modification de la réglementation. La Chambre est, à la fois, le porte-parole du secteur privé et la principale interface avec le gouvernement sur plusieurs dossiers liés au commerce, aux services, à l’industrie et à l’économie. Elle est aussi une force motrice pour générer des idées innovantes qui seront traduites en structures administratives, pour forger la consolidation et la diversification économique.
Nous souhaitons également consolider les assises des différentes Business Units, qui encadrent et répondent aux besoins du monde des affaires, en faisant davantage rayonner leurs services au sein de cette communauté.
Le soutien à l’intrapreneurship et la diversification économique en favorisant des chaînes de valeur de capacité, produits et propriété intellectuelle demeurent aussi une prérogative.
Tout cela ne peut être possible qu’à travers un développement collaboratif national à long terme, couplé à une vision d’inclusivité.
Depuis la relance de notre économie après la pandémie de Covid-19, mais avec toujours la guerre en Ukraine, quels sont les défis et enjeux auxquels l’économie mauricienne fait face ? Vous avez également mis vos connaissances au service des PME locales. Ces entreprises se sont-elles reprises à la sortie de la pandémie et y a-t-il véritablement un marché à Maurice pour elles ?
Avec la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, le monde a connu une période d’incertitude économique sans précédent. Les séquelles ont exacerbé les goulets d’étranglement, de même qu’une crise alimentaire et énergétique.
Le contexte est difficile pour Maurice, qui est loin des grands centres de production, de logistique et d’approvisionnement, majorant ainsi des défis mondiaux notamment en termes d’inflation et de politique monétaire.
Force est de constater, cependant, que la communauté des affaires a fait preuve d’une remarquable résilience face à l’adversité en capitalisant sur de nouvelles opportunités. Par exemple, deux secteurs, celui des TIC/BPO et celui des services financiers, se sont distingués en 2020 en enregistrant des taux de croissance positifs de respectivement 6 % et 4 %. Avec une présence substantielle d’environ 900 entreprises, le succès du secteur ICT/BPO et des services financiers met en évidence le potentiel de croissance et de diversification durables de Maurice.
Au-delà de la stratégie de diversification et de la consolidation des secteurs-clés, l’élaboration de politiques intégrées et d’appui, notamment dirigées vers les PME, est une condition sine qua non pour l’aboutissement d’une croissance inclusive.
Notre économie accorde une grande importance au fait de laisser la dynamique du marché régir naturellement la fixation des prix, garantissant ainsi un marché équilibré et efficace. Au cœur de cette approche, nous croyons fermement au pouvoir d’une concurrence saine. À mesure que nous avançons, notre engagement en faveur d’un environnement de tarification compétitif demeure inébranlable. La concurrence est, en effet, un principe essentiel, qui sert de catalyseur pour stimuler l’innovation et générer des avantages économiques généralisés. En cherchant à garantir la disponibilité des biens essentiels sur le territoire national, nous restons déterminés à faire respecter les règles du commerce international, en trouvant le juste équilibre entre nos besoins nationaux et nos obligations internationales.
En outre, la conjoncture actuelle nous offre l’occasion de réfléchir aux investissements futurs et à leur impact sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Entamant le second semestre 2023, la convergence de ces facteurs dessine une décennie unique, nécessitant des mesures proactives pour naviguer avec succès à travers ces défis complexes. En encourageant la résilience de la communauté des affaires, en adoptant l’innovation et en donnant la priorité à la durabilité, nous devons saisir les opportunités dans l’adversité et construire un avenir meilleur.
Selon vous, le télétravail, expérimenté avec un certain succès durant les confinements, doit-il être maintenu selon sa compatibilité avec certains postes ? L’un des points saillants du Finance Bill (2023-24) concernant le monde du travail est l’introduction de la semaine de quatre jours. Comment accueillez-vous cette proposition ?
Il faut d’abord situer l’importance du télétravail pendant la pandémie. C’était alors une question de survie. Le déploiement rapide, autant technologique qu’administratif, a été un exemple retentissant du succès du partenariat public-privé.
Il est certain que le télétravail post-Covid est une solution durable, d’intérêt économique et de performance pour plusieurs entreprises. Cependant, il faut nuancer les gains selon la nature des secteurs et les exigences intrinsèques aux entreprises et de leurs clients.
La semaine de quatre jours est dans la même veine et vise à encourager l’équilibre travail-vie. Toutefois, il est important que la mise en œuvre de cette législation se fasse dans une dynamique de concertation, en tenant compte de la nature des activités de l’entreprise et de ses exigences opérationnelles.
Que ce soit dans le cadre du télétravail ou de la semaine de quatre jours, le fondement en période de normalité doit être guidé par la performance, la productivité, l’équilibre work-family de l’employé et les impératifs de l’emploi.
Dans l’objectif d’attirer et de retenir des talents, les entreprises doivent aussi trouver le juste équilibre entre les attentes de la nouvelle génération, qui ont beaucoup évolué, et leurs objectifs opérationnels.
Ainsi, les deux propositions doivent faire l’objet de discussions entre l’employeur et l’employé dans un souci de pérennité.
À travers la MCCI, la notion de la triangularité, basée sur les traités préférentiels reliant l’Europe, l’Asie et l’Afrique, ne s’apparente plus aux discours mais devient une réalité fonctionnelle.
Les entreprises mauriciennes peuvent-elles trouver des marchés de niche en Afrique ?
L’Afrique demeure un continent d’avenir. De plus, avec l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en janvier 2021, le commerce intra-africain devrait être boosté et de nouvelles opportunités d’affaires et d’investissement créées.
Le continent possède d’énormes potentialités en termes de ressources. Mais pour prendre toute sa place dans l’économie mondiale, l’Afrique a besoin d’investissements massifs dans les infrastructures et dans d’autres domaines qui faciliteraient les échanges.
En tant que membre fondateur de plusieurs organisations régionales africaines, la MCCI consolidera son rôle prépondérant dans la promotion du commerce et de l’investissement intrarégional en s’appuyant notamment sur le Comesa Business Council, le SADC Business Council et l’Africa Business Council, trois instances dont elle est le point focal à Maurice.
Cet intérêt pour le continent se traduit également par notre volonté de renforcer nos liens avec les opérateurs d’une dizaine de pays africains par le biais de protocoles d’accord entre les chambres de commerce des pays respectifs. Les deux derniers accords signés concernent la Côte d’Ivoire et le Togo.
Maurice, par sa situation géographique, se positionne comme une passerelle idéale entre l’Inde et l’Afrique, d’où la signature de traités commerciaux. Comment la MCCI s’appuie-t-elle sur ces accords pour encadrer les entrepreneurs ?
Le Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement (CECPA) avec l’Inde, tout comme d’autres accords préférentiels, à l’instar du Mauritius-China Free Trade Agreement, entre autres, témoigne de l’importance géo-économique de Maurice. Le pays est aussi signataire de la ZLECAf, lui permettant de se positionner comme une passerelle exclusive pour le commerce, l’investissement et les politiques économiques entre l’Afrique et de gros blocs économiques mondiaux.
Les opportunités découlant de traités commerciaux peuvent être multiples pour les entreprises mauriciennes. Par exemple, le CECPA prévoit des opportunités uniques en ce qui concerne le commerce de biens, services et l’investissement. Il faut savoir que l’île Maurice offre un accès privilégié à 26 % de la population mondiale, étant donné l’adhésion du pays à des blocs économiques régionaux tels que le Comesa, la SADC, la COI, l’APE intérimaire et l’AGOA.
La sensibilisation des opérateurs économiques se poursuit grâce à nos divers événements (networking, business forums, conférences etc.) organisés en Inde ou en Afrique pour consolider les affaires entre les opérateurs de ces destinations. Par ailleurs, le prochain événement important qui aura lieu en Inde et auquel le secteur privé mauricien est invité est le B20, soit le segment commercial et économique du sommet du G20. Le secteur privé mauricien aura ainsi l’occasion d’échanger avec des entreprises du G20. Des recommandations découlant du B20 seront, par la suite, présentées au G20.
Maurice en tant que « hub » incontournable entre l’Afrique et l’Inde mettra en avant les opportunités qui peuvent être davantage exploitées dans le cadre du CECPA.
Comment les autorités, publiques et privées, doivent-elles répondre face à une certaine tentation d’émigration de nos compétences vers le Canada, un pays que vous connaissez bien ?
L’exode des cerveaux devrait être perçu davantage comme un symptôme de problèmes plus profonds et sous-jacents, plutôt que comme une cause fondamentale. À Maurice, des personnes hautement qualifiées sont incitées à rechercher de meilleures opportunités et un niveau de vie plus élevé à l’étranger. Mais il ne faut pas non plus oublier que Maurice attire également des professionnels étrangers détenant des compétences pointues. Tout cela cadre dans une mouvance globale à laquelle décideurs politiques et représentants des secteurs public et privé doivent impérativement s’intéresser.
Nous sommes convaincus qu’il est absolument nécessaire d’élaborer une « National Human Capital Strategy », par le biais d’une consultation de partenariat public-privé. Celle-ci nous permettra de relever les défis de manière systémique et systématique. En outre, il est impératif d’intensifier les efforts visant la montée en compétences de la main-d’œuvre actuelle, en alignant la formation sur les besoins réels et futurs du marché.
Il est essentiel également de lutter contre la fuite des talents avec des mesures audacieuses visant à créer de meilleures perspectives professionnelles, associées à des conditions de travail propices et une culture qui valorise la méritocratie et l’équité.
Pour mieux avancer, nous devons favoriser la croissance des talents locaux tout en s’appuyant sur les compétences étrangères. Ainsi, Maurice devrait aspirer à non seulement retenir mais aussi attirer des talents dans des secteurs d’avenir, tels que la Fintech, l’intelligence artificielle ou encore la robotique.
La collaboration de tous est ainsi nécessaire pour trouver des solutions multilatérales à cette question complexe. Le rôle de la MCCI a été déterminant dans le développement socio-économique de Maurice. La Chambre se positionnera davantage comme un acteur-clé, que ce soit comme prestataire de formations ou comme porte-parole du secteur privé dans l’élaboration de politiques visant l’émergence de nouveaux secteurs. Cela afin d’atteindre l’ambition de faire de Maurice une « high-income economy ».
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