Dr Ravat : «On peut être indigné sans tomber dans la haine»

La chanson polémique entonnée par les élèves du Royal College Curepipe, le 10 février 2023, lors de la proclamation des lauréats, continue de faire des vagues. Or, selon le Dr Jonathan Ravat, anthropologue, il ne faut pas tomber dans l’excès.

Pourquoi détourner une chanson ?
En soi, l’utilisation de chansons, comme tout autre outil ou expression corporelle artistique, est répandue dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas choquant, surtout lorsque l’on considère que cela a toujours été présent à travers le temps.

Il est propre à la jeunesse de se réapproprier des chansons, films, sketchs, et autres formes d’expression artistique dans toutes sortes de manifestations, parfois même lors de confrontations avec d’autres établissements scolaires. Cependant, il est important de faire la distinction entre l’utilisation de chansons ou de chants et la propagation de propos racistes.

Dans une certaine mesure, nous avons tous des préjugés, qu’ils soient liés à la race, à la religion, ou à l’appartenance à une communauté donnée.

Ces préjugés peuvent influencer notre comportement et nos interactions avec les autres, que nous soyons jeunes ou adultes. Par exemple, entre amis, on peut appeler untel « malbar » ou « madras ». Est-on pour autant raciste ? 
La question se pose. Il y a une fine ligne qui peut être dangereuse, car cela dépend surtout de l’intention. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de racisme pur et dur. 

Pourquoi cela existe-t-il ? C’est fortement lié à notre héritage et notre histoire moderne du 20e siècle. Elle a beaucoup été écrite sur fond de tension raciste et ethno-politique. 
Ce qui est préoccupant et interpellant, c’est que certaines choses ont persisté au fil du temps, sans avoir été suffisamment traitées, et que nous, en tant que jeunes, continuons à les véhiculer. Nous sommes ainsi porteurs de représentations et de perceptions que nous traînons comme des bagages, et il arrive que nous nous sentions submergés et que nous réagissions de manière explosive lorsque l’occasion se présente.   

Qu’est-ce qui a pu provoquer ce genre de propos chez ces jeunes ? 
Cela peut être le résultat d’un mélange de différents facteurs. Nous vivons aujourd’hui dans un monde de plus en plus ouvert, sans frontières ni limites, où les échanges et les influences sont multiples et complexes. Certaines personnes remettent en question les autorités et les institutions, et cela peut se refléter dans certaines idéologies telles que le transhumanisme, le néolibéralisme, ou d’autres courants de pensée. 

Nous sommes dans une remise en question de nos frontières à tous les niveaux, qu’il s’agisse de nos frontières personnelles, interpersonnelles, politiques, physiques, morales ou mentales. Cependant, cela peut parfois causer des tensions et des conflits, surtout lorsque nous nous retrouvons en groupe ou que nous nous sentons tout-puissants.  

Ce genre de chanson peut-elle influencer la perception des jeunes ?  
Bien sûr. Dans le sens où il y a toutes sortes de productions artistiques. Mais aujourd’hui au 21e siècle, un jeune qui a une aisance du numérique et des technologies de l’information et de communication est plus ou moins influencé par ces questions.   

On voit un déferlement de violence sur les réseaux sociaux contre ces élèves, en réaction à l’indignation et la colère qu’a provoquées cette chanson. Cette violence est-elle justifiée ?
On peut laisser place à l’indignation et l’interpellation sans tomber dans la haine des jeunes ou des élèves du RCC. Ceci dit, le « i » d’indignation et d’interpellation doit aller de pair avec le « i » d’investigation. 

À partir de là, on va se demander : qu’est-ce que cela dit de notre société ? Ne faut-il pas renforcer les ponts entre les collèges ou encore les communautés ? 
Ne faisons pas la politique de l’autruche. Il y a des tensions, entre et à l’intérieur des collèges, qui peuvent parfois être liées à des questions ethniques ou ethnico-géographiques. Assumons notre héritage, tout en investissant dans des passerelles inter-collèges, interculturelles et interdisciplinaires.

Je ne suis pas en faveur de la propagation de la haine et de la violence à l’encontre de ces jeunes. Si nous agissons ainsi, nous risquons de tomber dans une forme d’instrumentalisation, où les jeunes ne sont qu’un prétexte pour tout déchaîner sur les réseaux sociaux. Quelles seraient alors les conséquences de telles actions ? Cela reviendrait à se faire justice soi-même, à prendre plaisir à une situation, pour ensuite dire « tant pis ». C’est l’un des dangers inhérents aux réseaux sociaux. Ils peuvent servir de soupape de sécurité, mais le revers de la médaille est qu’ils peuvent prendre en otage des individus, en les laissant piégés dans un espace virtuel.   

Et quid des adultes qui sont restés les bras croisés tandis que les élèves chantaient ce morceau ?
Les adultes ont un rôle capital dans cette situation, car si l’on croit que ces questions venant de la jeunesse doivent être traitées par les jeunes seulement, on se trompe. Il est nécessaire que les adultes, à tous les niveaux, y compris ceux en responsabilité, tels que la PTA ou la direction du collège, participent à ces réflexions.

Par ailleurs, il est essentiel de créer des espaces au sein des collèges où les jeunes peuvent trouver des exutoires, car ils sont confrontés à divers défis et mutations liés à leur famille et à l’économie, entre autres.