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Dr Hassam Sakibe Coowar : «Il faut d’abord réformer les instituteurs» 

La réforme éducative n’a pas porté ses fruits puisque les problèmes sont restés entiers. C’est du moins ce que pense le Dr Hassam Sakibe Coowar, qui compte 55 années d’expérience dans l’éducation secondaire. Dans cet entretien, il va jusqu’à dire qu’il existe à Maurice une « éducation exclusive ». 

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Quelle est votre analyse de la réforme éducative ?
« Réforme » est un grand mot à ne surtout pas utiliser en parlant de l’éducation mauricienne. Dans l’opposition, le MSM avait fait déferler une pluie de critiques sur le Nine-Year Schooling préconisé par le régime travailliste. Puis, miracle : une fois au pouvoir, il s’empresse de déclarer le nouveau-né et de crier son paternalisme. Il y a eu la même stratégie avec le métro léger. La réforme n’a pas apporté les résultats escomptés. 

Mais dans son message adressé à la nation pour le Nouvel An, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, s’est félicité que la réforme éducative ait porté ses fruits... 
Entre son observation et la cruelle réalité, il y a un énorme fossé. Au niveau du primaire, on note avec stupéfaction que des enfants, après six années d’études, sont encore illettrés. « Literacy et numeracy » sont les deux points faibles du système. 

La faute incombe inéluctablement aux enseignants qui n’ont pas de système performant ni de modus operandi qui pourrait accorder une place privilégiée à ceux qui n’arrivent pas toujours à suivre les pas de leurs camarades. Malheureusement, dans le système du primaire avec des élèves en surnombre dans les classes, les enseignants délaissent les plus faibles, les installent dans les derniers bancs et leur accordent le droit de roupiller jusqu’à la sixième. 

C’est une tragédie. Le ministère n’a pas su résoudre ce problème jusqu’à maintenant. Non seulement cette réforme n’a pas pu éliminer les leçons particulières, mais elle a également ancré davantage cette pratique dans notre système éducatif. Est-ce cela le fruit de la réforme, monsieur le Premier ministre ? 

 La course infernale pour décrocher une place au collège Royal ou au Queen Elizabeth College est encore bel et bien là."

Comment résoudre ce problème ?
Il faut d’abord « réformer » les instituteurs. L’Institut mauricien de pédagogie doit revoir sa copie pour la formation des maîtres. Il doit instaurer un système plus pratique, plus pragmatique et ne pas mettre l’accent sur l’écrit. Changer radicalement le programme d’études avec un accent sur la créativité, des mini-projets, des jeux éducatifs, de l’oral et de la pratique. Bref, supprimer les examens écrits. 

Il y a eu, en pédagogie, beaucoup de nouvelles approches. Il faudra les appliquer. Donner l’importance aux contrôles continus et aux travaux pratiques. Et j’en passe. Qu’on en finisse avec ce PSAC écrit et tuant. 

Au risque de vous contredire, le taux de réussite du PSAC est passé à 82 %... 
Êtes-vous au courant du Pass Mark ? La notation de réussite est descendue à 28, si ce n’est pas moins. La correction des épreuves a été, comme dirait l’Anglais, « lenient » et « bénévole », comme dirait le Français. C’est donc une fausse réussite qui plaît à la galerie politique peut-être, mais pas aux professionnels de l’éducation. 

Ceux qui ont échoué suivront l’Extended Programme qui est censé modérer le taux d’échec ?
Le Vocational s’appelle l’Extended Programme. Je ne sais pas qui est ce pédagogue qui a inventé ce terme « Extended Programme ». Il s’agit simplement de mots qui ne veulent rien dire. Quand vous parlez « d’Extended », c’est profond, élargi et grand. Or, il n’y a rien « d’Extended » dans ce programme régressif qui reprend l’A.B.C que le raté du PSAC n’a pu combler. 

On vous offre un programme élémentaire de troisième, etc. On refait votre instruction initiale. Évidemment, ces élèves ne sont point motivés. Les enseignants non plus. Ce sera donc trois années de perdues encore avec ce programme bidon. 

Est-ce que le taux d’échec du National Certificate of Education (NCE) vous interpelle ? 
Voilà une autre terminologie grandiloquente et euphémiste, inventée toujours par des pseudo-pédagogues. On connaît l’historique du Form III National Exam dans les années’ 90 avec un taux d’échec de 70 % gardé jalousement secret. C’est le même résultat actuellement. 

La raison d’être de cet examen, c’est le concours d’entrée aux académies. La course infernale pour décrocher une place au collège Royal ou au Queen Elizabeth College est donc encore bel et bien là. La compétition se joue en Grade 9. 

L’erreur que nous commettons à Maurice est de croire que tous les enfants scolarisés sont du même niveau. En Grade 9, il y a un programme très étoffé parce que c’est un concours national, ne l’oubliez pas. Comment peut-on maintenant demander aux élèves de l’Extended Programme de prendre part au même examen ? On peut d’avance vous donner les résultats. 

Ce qu’il faut faire, c’est limiter cet examen seulement aux élèves intéressés à concourir. Sinon, il n’a pas de sens. N’allez surtout pas dire que c’est pour l’orientation pédagogique ou professionnelle de l’apprenant. Faux. 

Pire, avec cet examen on élimine une bonne partie de nos apprenants. Une fois qu’ils auront répété la Grade 9 avec un nouvel échec, l’éducation gratuite les mettra à la porte. Et ils n’ont que 15 ans. Alors que la loi vous dicte que l’éducation est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Quelle aberration !

L’erreur que nous commettons à Maurice est de croire que tous les enfants scolarisés sont du même niveau.. "

Voulez-vous dire que notre système éducatif n’est pas inclusif ?
L’État-providence adopte une politique d’éducation exclusive. On vient de le voir avec le NCE. C’est un examen qui congédiera carrément le jeune de 15 ans qui n’aura pas réussi. Non, il ne faut pas nous dire qu’il peut se diriger vers le MITD (Mauritius Institute of Training and Development ; NdlR) car il ne peut pas s’intéresser à ces cours-là. D’ailleurs, pour tout travail à Mauric, on cherche des candidats qui ont au moins un niveau de Form V (Grade 10). 

La même politique d’exclusion s’opère au niveau du Grade 10 avec l’obligation faite à l’apprenant de décrocher cinq crédits pour son inscription en Lower VI. Que vise le ministère de l’Éducation ? Une réduction de la population d’élèves ? Une économie financière dans le budget éducatif ?

Une faveur faite uniquement à l’élite ?

Pire, le gouvernement a ordonné au Mauritius Examinations Syndicate (MES) de n’inscrire aux examens du Higher School Certificate que les détenteurs des cinq crédits. C’est une erreur capitale de sa part. Le MES n’est qu’un établissement qui organise des examens, lesquels sont payants. 

Le gouvernement aurait dû payer seulement pour les détenteurs des cinq crédits pour son examen, mais laisser la voie ouverte à ceux qui veulent payer pour prendre part à l’Advanced Level dans deux ou trois matières. Il ne faut surtout pas pénaliser les moins forts qui excellent dans des matières faciles, comme Art, Design, Food Studies et Fashion. 

Il faut que le MES soit plus flexible avec n’importe quel élève qui veut prendre ces matières-là et non les priver sous prétexte qu’ils n’ont pas cinq crédits. Sinon le système exclura encore des jeunes qui souhaitent poursuivre leurs études.

 

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