Législatives 2024

Dr Avinaash Munohur, politologue : «Voter est un privilège et une responsabilité»

Voter n’est pas seulement un privilège, mais une responsabilité essentielle pour façonner l’avenir du pays. C’est l’occasion pour chaque citoyen de soutenir les politiques qui répondent aux défis sociaux, économiques et environnementaux, et d’assurer une gouvernance légitime et représentative, explique le Dr Avinaash Munohur, politologue et consultant en stratégies politiques. 

Les élections générales du 10 novembre vont se dérouler dans un contexte particulier, avec une lutte entre deux blocs traditionnels et un nouveau bloc, Linion Reform, regroupement de 10 partis. Quelle influence les partis extraparlementaires peuvent-ils avoir sur ces législatives ?
Ils avaient eu une grande influence en 2019, où les écarts étaient extrêmement serrés du fait d’une lutte entre trois grands blocs. Le Parti travailliste (PTr) et le Mouvement militant mauricien (MMM) ayant trouvé un terrain d’entente pour une alliance pour cette élection fait que nous nous retrouvons dans la situation de deux blocs, avec des partis indépendants. Est-ce que cela signifie que ces partis, comme Linion Reform, auront moins d’influence ? Nous le saurons lundi. 

Mais je dirais, pour ma part, que le contexte est différent aujourd’hui, et il se pourrait bien que les Mauriciens décident qu’il est grand temps qu’une alternative aux partis traditionnels émerge enfin. Si c’est le cas, alors ces partis indépendants – dont certains candidats sont de qualité – pourraient très bien faire des scores qui pourraient les conforter pour l’avenir.

Navin Ramgoolam semble penser que les partis extraparlementaires peuvent déjouer les plans de l’Alliance du Changement au profit de l’Alliance Lepep. Y croyez-vous ?
Je suppose que Navin Ramgoolam reste sur son impression des résultats de 2019, où certains extraparlementaires avaient réalisé des scores impressionnants. De ce point de vue, il n’a pas tort de penser que les extraparlementaires pourraient faire le jeu d’un des deux blocs. 

Notre système « First-Past-The-Post » donne, de facto, une majorité importante à celui qui gagne, même s’il gagne sur le fil. Ce faisant, un bloc politique peut obtenir un nombre important de sièges avec un pourcentage de voix qui n’exprime pas forcément la majorité du total des suffrages. Dans le contexte où une élection est serrée, voir extrêmement serrée, chaque vote a son importance.

Le vote obligatoire ne garantit pas plus de voix pour les partis politiques. (…) Un électeur qui se serait abstenu peut très bien voter blanc»

Quelle influence pourraient avoir les « Moustass Leaks » sur ces élections, selon vous ?
Mettons de côté les spéculations sur l’utilisation de l’intelligence artificielle ou sur le fait que ces enregistrements soient des montages. Ces « leaks » sont, selon moi, le fait majeur de cette campagne électorale. J’avertissais dans ces mêmes colonnes que ces élections risquaient d’être très particulières du fait de la capacité du numérique à produire des disruptions grâce aux « fake news » et aux « deepfakes ». 
Il faut maintenant ajouter le fait que les systèmes de communication ne sont plus sûrs et que nous nous trouvons dans une situation extrêmement complexe quant à la capacité des nouvelles technologies à venir bouleverser les opinions politiques, voire à les manipuler.

Pravind Jugnauth a annoncé son intention d’instituer une commission d’enquête indépendante sur les fuites et les écoutes téléphoniques présumées s’il est réélu. Si, comme il l’a indiqué, la ligne sécurisée du Bureau du Premier ministre a effectivement été compromise, alors nous nous trouvons confrontés à une faille majeure de la sécurité dont les conséquences pourraient s’avérer très graves. Un tel incident constitue une grave violation de la sécurité nationale.

Le silence de l’opposition sur un engagement similaire en faveur d’une enquête indépendante, s’ils accédaient au pouvoir, est également essentiel. Ils se doivent de rassurer les Mauriciens sur ce point. À l’heure où Maurice doit faire preuve de résilience et de force, il est essentiel que tous les partis politiques reconnaissent la gravité de cette violation et s’engagent à renforcer la sécurité nationale, tout en rétablissant la confiance.

Diverses luttes ont été menées pour le droit de vote à Maurice. Quelle est l’importance d’exercer son droit de vote ?
Voter n’est pas seulement un droit ; c’est le moyen le plus direct de soutenir les politiques et la vision qui correspondent aux priorités de chaque citoyen pour une île Maurice meilleure. C’est un moment important où chaque citoyen a le pouvoir de choisir une équipe capable de conduire efficacement la nation vers le progrès, la croissance et la stabilité.

Ce n’est pas seulement un privilège, c’est une responsabilité. En votant, chaque citoyen joue un rôle actif dans la décision de l’évolution de l’éducation, des soins de santé, des infrastructures et de l’économie, ayant un impact sur l’avenir de sa famille.

Pourtant, élection après élection, le taux d’abstention tourne autour de 25 %. Vos commentaires.
Effectivement. L’abstention découle de plusieurs phénomènes. Cela vient tout autant d’un désenchantement que du fait que certains citoyens ne se reconnaissent pas dans les projets politiques mis en avant. Il est important de comprendre les tenants et les aboutissants de ce problème à Maurice, et il appartient aux différents partis politiques de trouver des réponses à ce désenchantement.

Chaque citoyen joue un rôle actif dans la décision de l’évolution de l’éducation, des soins de santé, de l’économie, ayant un impact sur l’avenir de sa famille»

Quels autres facteurs incitent certains citoyens à ne pas voter ? Serait-ce également lié à des barrières logistiques par exemple ?
Par-delà le désenchantement et le fait de ne pas se reconnaître dans les différents projets politiques, il y a forcément d’autres facteurs qui jouent. Le manque de confiance dans un leader politique, dans une alliance, dans certains candidats ou encore, effectivement, des barrières logistiques comme vous le dites, sont également des facteurs importants. 

Au niveau des leaders des partis et des candidats, il est clair qu’aucun parti ne peut faire l’unanimité absolue. C’est impossible, et heureusement d’ailleurs. Il faut qu’il y ait des contradictions et des différences, que ce soit au niveau des projets politiques proposés qu’au niveau des candidats. Cela fait entièrement partie du processus démocratique.

Nous savons également que certaines personnes sont dans l’incapacité de voter le jour des élections. Souvenons-nous qu’en 2019, certains électeurs ne figuraient pas sur la liste électorale. La commission électorale a depuis mené une campagne de sensibilisation sur la responsabilité de chaque citoyen de s’assurer qu’il est inscrit. D’ailleurs l’exercice d’inscription s’est prolongé cette année du fait que nous étions dans une année électorale. Nous devons donc nous assurer que nous sommes bien sur la liste, ce qui peut être fait en ligne, et rectifier toute erreur avant une élection.

Au niveau logistique, il y a également des citoyens qui ne peuvent pas se déplacer pour aller voter. Les différents partis politiques organisent souvent des transports pour leur permettre d’aller voter. Mais peut-être que la commission électorale devrait s’organiser pour que ces gens puissent voter par procuration ou en avance, par exemple. Une solution acceptable doit être trouvée, mais il y a là quelque chose à rectifier.

Le vote par procuration n’est pas offert à tous. Est-ce une lacune ? 
Le vote par procuration pourrait être la solution pour des citoyens qui ont des difficultés à se déplacer le jour de l’élection ou pour des citoyens enregistrés sur les listes électorales mais qui sont en voyage le jour des élections. Peut-être qu’il faudrait effectivement considérer cette option, mais il faut des garde-fous pour s’assurer que le vote est sécurisé.

Pensez-vous que le taux d’abstention sera aussi élevé cette fois-ci ?
Au vu de la nature de cette campagne électorale, je ne le pense pas, non. Bien au contraire, je pense que les gens iront voter en nombre. Il le faut. 

Si la diaspora souhaite exprimer sa voix et participer à la vie publique du pays, alors elle doit faire le choix de revenir au pays»

La surenchère politique à laquelle nous avons assisté durant la campagne électorale pourrait-elle convaincre ceux qui s’abstiennent traditionnellement d’aller voter ?
La surenchère, je ne sais pas. Mais les enjeux, très certainement, oui ! Et je pense que les Mauriciens sont entièrement saisis des enjeux.

Le programme des différents partis diffère-t-il suffisamment pour motiver ceux qui ont traditionnellement boudé les urnes ?
De ma petite expérience, j’ai tendance, aujourd’hui, à penser que les programmes ne sont qu’un petit élément de l’équation électorale. Cette équation politique est extrêmement complexe à Maurice. Entre les impératifs de représentation des différentes composantes identitaires qui forment le riche tissu social mauricien, les impératifs liés à la croissance économique, à la stabilité de l’emploi, au développement du modèle social ou encore à l’environnement, il y a une multiplicité de choses dans lesquelles le votant mauricien doit pouvoir se retrouver.

Nous avons pour habitude de dire que les Mauriciens sont extrêmement pragmatiques lorsqu’il s’agit de faire un choix politique. Il y a du vrai dans cette affirmation, ce qui explique pourquoi les propositions liées à la gratuité de certains services, ou encore à l’augmentation des aides sociales sont souvent des facteurs décisifs dans le choix du vote. Ceci devient particulièrement vrai dans une situation où la situation mondiale a un effet sur le coût de la vie des Mauriciens et où les différents partis politiques proposent des politiques permettant aux ménages de mieux faire face à cette situation.
C’est sur ce point, je pense, qu’un programme peut avoir un impact important.

Est-ce qu’une abstention élevée pourrait fragiliser la légitimité du futur gouvernement ? Dans quelle mesure un faible taux de participation affecte-t-il la perception du soutien populaire ?
Encore une fois, notre système « First-Past-The-Post » fait qu’une majorité claire peut se dégager avec une minorité du total des voix exprimées. Nous l’avons vu en 2019, où le gouvernement actuel avait obtenu une majorité confortable avec 37 % des voix. 

En observant l’historique des résultats, nous constatons qu’il faut au moins 42 % à 45 % des voix pour avoir une majorité à l’Assemblée nationale. La situation de 2019 était le résultat d’une lutte à trois, où le Mouvement socialiste militant (MSM), le PTr et le MMM ont chacun réalisé des scores qui ont naturellement fait baisser le minimum requis pour avoir la majorité des sièges.

Maintenant, vous parlez de l’abstention participant à faire baisser ce pourcentage requis pour dégager une majorité. Le problème fondamental est que les absents ont toujours tort. Quoi qu’il en soit, l’abstention n’influence aucunement la décision finale. Est-ce qu’un faible score fragilise la légitimité d’un gouvernement ? Non, un gouvernement reste légitime puisque le système qui l’a élu reste valide. Mais un gouvernement élu avec une minorité des voix risque forcément de faire face à une opposition populaire plus forte.

Les partis et les élus devraient-ils prendre des mesures pour comprendre et répondre aux préoccupations des abstentionnistes une fois au pouvoir ?
Disons qu’un gouvernement qui ne tient pas compte des raisons d’une forte abstention fait une erreur fondamentale. D’une part, un gouvernement gouverne pour toute la population, il se doit donc de comprendre les raisons qui ont fait qu’il n’a pas reçu plus de voix. D’autre part, stratégiquement, il est important pour un parti politique de comprendre pourquoi il n’arrive pas à créer plus d’adhésion. 
L’objectif principal d’un parti politique est la prise de pouvoir via l’élection. Il est donc essentiel d’être lucide quant à ses limites et ses lacunes, et de rectifier ce qui ne fonctionne pas.

Le vote obligatoire pourrait-il être une solution pour lutter contre l’abstention, ou serait-ce contraire aux principes démocratiques ?
Le vote obligatoire ne garantit pas plus de voix pour les partis politiques. Dans une situation de vote obligatoire, un électeur qui se serait abstenu peut très bien voter blanc. Nous ne réglons pas le problème à proprement parler. Je suis personnellement contre le fait de rendre le vote obligatoire, car l’abstention est également un choix. Un choix malheureux que je ne cautionne pas, mais un choix quand même.
D’autres solutions doivent être trouvées. Les programmes électoraux doivent voir plus grand pour le pays, mais la classe politique se doit également de se renouveler et de se rajeunir. Il faut du sang neuf pour porter de nouvelles idées et moins de dynasties pour plus de méritocratie. C’est aussi simple que cela.

Certains choisissent aussi de voter blanc comme vous l’avez mentionné. Que signifie voter blanc ?
Clairement qu’un électeur s’est déplacé pour ne donner son vote à personne. Un vote blanc est clairement un vote de protestation contre toutes les propositions politiques alignées lors d’une élection. C’est un vote revendicatif qui est le signe d’un rejet des propositions, voire du système. 

Quel message souhaitent-ils transmettre, selon vous ?
Le message est clairement que les électeurs souhaitent du changement, du renouveau. Encore une fois, si le vote blanc est conséquent, il doit forcément ouvrir les yeux des différents leaders et partis politiques qui se doivent de comprendre les raisons du vote blanc, d’ajuster leurs stratégies et de répondre par des propositions politiques.

Au vu de la nature de cette campagne électorale, je pense que les gens iront voter en nombre. Il le faut»

Devrait-on comptabiliser le vote blanc de manière officielle pour refléter le désintérêt ou l’insatisfaction envers les candidats proposés ?
Il serait intéressant de le faire pour des raisons statistiques. Ceci permettrait justement aux partis politiques et aux analystes de mieux comprendre ce qui est en jeu. Mais cette comptabilisation doit uniquement se faire pour des raisons statistiques, le vote blanc ne peut en aucun cas être considéré comme un vote valide. Quoi qu’il en soit, une élection doit avoir une issue avec l’élection d’un gouvernement.

La diaspora ne pourra pas participer aux élections, aucune mesure n’ayant été prise pour leur donner cette possibilité. Paradoxalement, des citoyens issus des pays du Commonwealth résidant à Maurice peuvent participer aux législatives…
Notre Constitution permet effectivement aux ressortissants de certains pays du Commonwealth de voter, selon certaines modalités. Je suis personnellement opposé à cela, et je pense qu’il faudrait revoir cet article de la Constitution. 

Je ne dis pas forcément que les étrangers ne peuvent pas voter. Nous sommes dans une situation où beaucoup d’étrangers habitent à plein temps et payent leurs taxes à Maurice, grâce au permis de résidence. Ces derniers n’ont pas la nationalité et ne peuvent donc pas voter. 

Mais, ils sont concernés par certains choix politiques, ce qui fait que nous devons peut-être considérer leur donner accès au vote pour les élections villageoises et municipales. Pour les élections générales, je suis d’avis que seuls les citoyens mauriciens peuvent voter. 

La diaspora pourrait-elle jouer un rôle décisif si elle obtenait le droit de vote ? 
Si l’on considère que la diaspora mauricienne est très nombreuse, elle pourrait forcément avoir une influence conséquente sur le vote. Mais ceci dépendra forcément des modalités d’un éventuel vote de la diaspora. Nous avons un système où chaque circonscription fait élire trois représentants à l’Assemblée nationale, sauf pour Rodrigues qui a deux représentants. Nous ajoutons à cela huit sièges de Best Loser pour arriver au total de 70 députés à l’Assemblée nationale.

Le système de circonscription est un système géographique, ce qui implique que nous ne votons pas uniquement pour des individus, mais, dans la région où nous résidons, pour des individus qui vont représenter cette région. Un votant inscrit à la circonscription n°5, par exemple, a un vote qui concerne sa région, et il n’a rien à dire pour une région qui serait dans une autre circonscription, comme la 14 par exemple.

À partir de là, dans quelle circonscription voulez-vous que la diaspora puisse voter ? Elle ne réside dans aucune des circonscriptions du pays. Et les enjeux politiques propres à ces circonscriptions ne les concernent pas puisqu’ils n’y résident pas. 

Quelle pourrait être la solution ?
Une solution à cela est la création d’une circonscription des Mauriciens de l’étranger, où les citoyens issus de la diaspora et ayant un passeport mauricien peuvent voter pour des députés qui les représenteront à l’Assemblée nationale. Mais une telle solution implique un budget pour les salaires de ces députés et pour la mise en place de la logistique requise pour rendre ce vote possible. Budget qui sera payé par le contribuable à Maurice. Est-ce que c’est ce que souhaite la majorité des Mauriciens ? C’est une question qui doit être posée.

Personnellement, je considère que les enjeux nationaux et les équilibres sociaux sont trop complexes pour que des citoyens qui ne résident pas sur place, et qui font l’expérience des réalités mauriciennes uniquement à travers les réseaux sociaux et les médias, puissent avoir une voix dans les décisions qui concernent et affectent les citoyens qui résident sur le territoire mauricien et qui sont directement impliqués dans les problèmes quotidiens du pays. 

Si les Mauriciens de la diaspora souhaitent exprimer leur voix et participer pleinement à la vie publique de leur pays, souhait qui est parfaitement légitime, alors ils doivent faire le choix de revenir au pays et de participer pleinement à son développement.

 

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