Plusieurs cas liés à l’abus de l’outil informatique ont été répertoriés ces dernières semaines. La principale cause serait l’imprudence des internautes qui ne sont pas conscients des risques qu’ils prennent. Pourtant, le danger est réel.
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Un jeune homme qui assure qu’on a usurpé son identité pour un post Facebook sur la santé du Premier ministre ; une enseignante qui retrouve des photos d’elle nue sur le Net à la suite d’une rupture ; une mineure harcelée par un accroc au sexe rencontré à travers un réseau social ; un jeune qui se fait piéger par un autre s’étant fait passer pour une femme... Les cybercrimes pullulent en ce début d’année, surtout sur les réseaux sociaux.
La raison ? La démocratisation de l’accès à l’outil informatique n’a pas été suivie par une éducation aux risques encourus et sur les précautions à prendre. Roshan Halkhoree, directeur du Centre for Information and Technology Systems (CITS), explique qu’il faut être conscient du fait que tout ce qui est publié en ligne échappe au contrôle de son propriétaire : « Vous pouvez poster quelque chose et je peux le partager à mon tour. Même si vous vous rendez compte après que c’était une bêtise, vous n’aurez aucune garantie que la publication n’est plus sur le Web. »
Certaines publications peuvent aussi refaire surface après plusieurs années, en fonction des sujets qui font l’actualité, prévient l’informaticien. Si autant de personnes se font piéger sur les réseaux sociaux ou à travers l’outil informatique en général, c’est qu’elles ne se rendent que rarement compte de l’impact que cela peut avoir. « Il faut être conscient que ce qui se passe dans le virtuel a un impact sur la vie réelle. Par exemple, de plus en plus d’employeurs aujourd’hui vont screen le profil des personnes avant de les employer », indique le directeur du CITS.
Viol de l’intimité
Une inconscience que relève également Vikash Rowtho, responsable des cours en Technologies de l’information et de la communication au Charles Telfair Institute (CTI). « Les gens sont peut-être de plus en plus computer literate, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont conscients des risques. Certains utilisent, par exemple, leur téléphone portable pour se connecter à Facebook et le laisse traîner. S’il n’y a pas un mot de passe pour le protéger, on s’expose », soutient-il, ajoutant que certains utilisateurs prennent aussi le risque inutile de partager des données confidentielles, tels les mots de passe, avec des proches.
« Parfois, des personnes qui sont en couple partagent leurs mots de passe, mais quand les choses tournent mal, on oublie de changer les codes d’accès et c’est là que les choses peuvent mal tourner. » Leçon à tirer : ne jamais partager son mot de passe. Un phénomène constaté aussi pour les codes des cartes bancaires. « Vous voyez qu’on peut être computer literate tout en ignorant les dangers existants et les précautions à prendre. Je ne vois pas quoi faire sinon une campagne de sensibilisation », lance Vikash Rowtho.
Les informations publiées sur les réseaux sociaux peuvent avoir des conséquences autrement plus fâcheuses que le viol de l’intimité, prévient aussi Roshan Halkhoree. « Certaines personnes aiment publier des photos montrant qu’elles sont à l’hôtel ou encore à l’aéroport. Elles ne sont pas conscientes qu’elles sont en train de donner des informations qui pourraient être utilisées par des personnes mal intentionnées et qui pourraient venir à leur domicile en leur absence. »
Loi : connaître ses droits et ses limites
La meilleure des protections, c’est de bien connaître les outils de télécommunication et les lois, ne cesse-t-on de marteler à la Cybercrime Unit de la olice. L’inspecteur Robin Bhundoo et l’enquêteur Pravesh Behari affirment que le nombre de plaintes est en nette hausse année après année. Ils précisent que la majorité des plaintes concernent le site Facebook et font l’inventaire des précautions à prendre et des dangers à éviter.
Pravesh Behari indique que la première précaution est de connaître ses droits et ses limites en accédant aux médias sociaux. « Il faut bien lire les conditions et les responsabilités du site envers ses usagers avant d’accepter de s’y connecter. » Chose que, bien souvent, les gens négligent de faire, précise notre interlocuteur. Une fois connecté, l’usager doit pouvoir manier l’outil informatique. Il devra être en mesure d’activer des paramètres de sécurité, fournis par le site, pour se « protéger contre des attaques ».
Achats en ligne
Vient ensuite la constitution du réseau d’amis. « Il est très important que l’utilisateur connaisse les personnes qu’il ajoute », recommande Robin Bhundoo. Il affirme que beaucoup de gens se font piéger par des étrangers ou des faux profils. Très souvent, des utilisateurs s’engagent dans une relation virtuelle avec des personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées. « C’est cela le piège », ajoute Pravesh Behari. D’autres achètent des articles en ligne et se font piéger « car ils font confiance à n’importe qui ».
Les utilisateurs doivent aussi pouvoir maîtriser les paramètres entourant la publication et le partage des photographies et des vidéos. « Ceci inclut la sélection de l’audience. Les tags sont aussi un danger car les amis des amis d’un utilisateur risquent de voir ces photos et d’en faire mauvais usage. L’utilisateur doit pouvoir choisir s’il accepte les tags ou pas », précise Pravesh Behari. Il souligne que ces paramètres de sécurité sont proposés par Facebook.
L’inspecteur Robin Bhundoo souligne, pour sa part, qu’une personne doit être au courant de ce que dit la loi concernant la publication ou le partage des photographies, des vidéos ou même des commentaires. C’est l’Information and Communication Technologies (ICT) Act de 2001 et la Cybercrime Act de 2003 qui régulent ces activités. Selon l’ICT Act, tout ce qui pourrait causer de l’agacement est considéré comme un délit et peut résulter en une amende s’élevant à plusieurs millions de roupies et jusqu’à cinq ans de prison.
« Chaque commentaire, chaque partage, chaque photo ou vidéo qui cause un agacement est compté une fois », affirme l’inspecteur Robin Bhundoo. En d’autres mots, trois commentaires ou partages équivalent à trois délits. L’amende peut s’élever jusqu’à Rs 1 million par délit. « Pour ne pas se retrouver sous une accusation ou se faire piéger, il est impératif que chaque internaute connaisse les lois, les droits des usagers et aussi les limites à ne pas franchir », conclut Pravesh Behari.
Témoignage
Anas, 32 ans : « J’ai été victime de sextorsion »
On ne sait jamais vraiment qui se cache de l’autre côté de l’écran. Cela, Anas (prénom fictif) peut nous le confirmer. Ce jeune homme de 32 ans a été victime de sextorsion en août 2014. Tout est parti d’une simple demande d’ami sur Facebook. « J’ai aperçu la photo d’une belle femme et je lui ai envoyé une friend request », explique l’habitant de Port-Louis. La « belle femme » accepte et commence à lui envoyer des messages.
De fil en aiguille, une relation s’est établie entre les deux et les conversations devenaient de plus en plus « chaudes ». « Nous échangions régulièrement des photos. Un jour, elle a voulu que je lui fasse une vidéo osée de moi et je l’ai fait mais je n’avais enlevé que ma chemise », affirme Anas. Deux jours après, le jeune homme reçoit un message de sa belle, accompagné de l’extrait d’une vidéo. Il indique que la femme aurait fait un montage avec la vidéo qu’il a tournée. « On me voyait sans chemise et, à un moment, on voyait le bas du corps d’un homme nu qui me ressemblait. »La femme lui a demandé de lui verser USD 500, sinon elle allait publier la vidéo en ligne avec, en légende, le nom du jeune homme. « Je lui ai dit que j’irais porter plainte à la police et même à Interpol s’il le fallait. J’ai ajouté qu’on allait la retracer et la mettre en prison. » Quelques minutes après, la femme disparaissait de Facebook avec la vidéo. Le jeune homme n’a pas porté plainte car il avait honte, mais affirme qu’il a fait des recherches sur le Web. « La vidéo n’y est pas. »
Témoignage
Jeni, 40 ans : « Mon amoureux m’a escroqué 1 000 euros avant de disparaître »
Il a disparu du Net et de sa vie et a emporté, avec lui, le rêve d’une vie à deux. Jeni (prénom fictif), 40 ans, n’est pas près d’oublier le mauvais coup que lui a fait un supposé Français il y a quelques années. Cette habitante des hautes Plaines-Wilhems nous confie l’avoir connu sur un site de rencontre.
« Nous avons discuté pendant plusieurs semaines, avant que je ne l’ajoute sur Facebook. Il m’a vite avoué ses sentiments amoureux, me parlait de mariage, d’enfants et me décrivait la campagne en France », explique notre interlocutrice.
Puis, contre toute attente, vient la demande en mariage... en ligne. Jeni accepte et son beau lui demande d’entamer les préparatifs car il allait venir se marier à Maurice. Quelques semaines avant son arrivée, le jeune homme lui demande de lui envoyer 1 000 euros « pour payer son billet d’avion ».
Elle lui envoie la somme d’argent et, trois jours après, elle reçoit un message disant que le jeune homme a eu un problème et qu’il allait la contacter plus tard. Il n’a jamais plus donné signe de vie…
Questions à…Me Neil Pillay : «L’éducation et une certaine culture doivent jouer un grand rôle»
L’arsenal légal à Maurice couvre-t-il toutes les possibilités d’abus des technologies au détriment d’autrui ?
Oui et non. Notre loi a été faite d’une telle façon qu’elle couvre beaucoup de situations. Mais bien sûr, quand on parle de technologie, par définition, c’est quelque chose qui change à toute heure. C’est justement pour cela qu’on a fait des lois qui brassent large. Mais on ne peut tout prévenir. L’article 46 de l’ICT Act, par exemple, parle de messages obscènes ou d’abus. Ce sont des termes couvrant beaucoup de situations qui peuvent être passibles de poursuites.
Malgré les lois existantes et les cas qui se répètent, beaucoup se font prendre. Est-ce par ignorance ou imprudence ?
Encore une fois, c’est un peu des deux. Je dois souligner que l’ignorance de la loi n’a jamais été une excuse. À Maurice, une fois une loi promulguée par le président, elle est publiée dans la Government Gazette. Une fois cette chose faite, toute personne vivant sur le territoire mauricien est censée connaître la loi. Cependant, il est vrai que la plupart des gens ne vont pas éplucher les Government Gazettes. Ils ne connaissent pas la loi et se font pincer. Parfois, il y a de l’imprudence aussi car ils font tout et n’importe quoi. C’est là où l’éducation et une certaine culture doivent jouer un grand rôle pour informer les gens de leurs droits et inculquer un certain savoir-vivre.
Quels sont les pièges à éviter pour préserver son intégrité dans l’univers des réseaux sociaux et de l’informatique ?
Premièrement, il ne faut jamais communiquer ses détails personnels et garder son mot de passe secret. Si je prends Facebook notamment, si on ne veut pas qu’une personne puisse voir nos détails personnels ou nos photos, il faut restreindre l’accès à ce que nous publions. Ou alors, simplement, n’entrez pas sur Facebook ! Mais on est entouré de technologies et c’est difficile de s’isoler de nos jours. Encore une fois, l’éducation et la culture entrent en jeu. Je ne peux m’attendre à voir et savoir tout sur tout le monde et ne pas m’attendre à ce que les autres veuillent en faire de même avec moi.
Qu’autorise la loi en guise de protection contre une personne qui s’attaque à une autre à travers l’outil informatique ?
Il y a tellement de lois que votre question englobe pas mal de domaines, avec l’ICT Act, la Computer Misuse and Cybercrime Act... L’outil informatique, ce n’est pas que l’ordinateur, mais aussi le téléphone portable de nos jours. Cependant, si on parle d’outil de communication, l’accent est une fois de plus mis sur l’éducation et la culture. On ne va pas insulter les gens sur son téléphone. Il faut un sens de la mesure. Quand on communique avec quelqu’un, on ne va pas faire du bullying non plus. La personne doit s’attendre à ce que la loi intervienne si la victime rapporte l’affaire. En guise de protection, une victime peut aussi écrire à un Internet Service Provider ou encore à l’Icta. Il y a aussi l’option de rapporter quelqu’un à Facebook directement.
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