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Criminalité : la solution de la proximité

Meurtres, infanticide, braquages par des mineurs... Ces derniers jours ont apporté leur lot de violence. L’occasion de se poser des questions sur la police de proximité comme moyen de prévention.

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Des crimes d’une rare violence, parfois impliquant des jeunes, se sont succédés ces derniers jours, ramenant au-devant de la scène le rôle de la prévention. Si les criminologues estiment qu’il y va surtout de l’action des parents, la question de l’efficacité de l’action policière en matière de prévention se pose également.

Que valent les initiatives comme le neighbourhood watch ou le community policing, censés assurer un service de proximité ? Au sein même de la force policière, les avis divergent.

« La police opère à trois niveaux et, le premier, c’est l’éducation de la population  », explique l’inspecteur Bhimsen Rama, responsable de la Crime Prevention Unit (CPU). Il ajoute  : « Il  y a la Crime Prevention Unit et la Road Safety Unit, par exemple, qui font campagne. En termes de police de proximité, nous avons les neighbourhood officers et les community policing officers, qui sont responsables des postes de police ». Le neighbourhood officer organise des réunions de quartier avec les acteurs de différentes localités, visite des écoles et rédige un rapport à l’intention de ses supérieurs hiérarchiques. Il y en a au moins un dans chaque poste de police. Dans des régions plus denses, comme à Quartier-Militaire, ces officiers peuvent être à plusieurs.

« Nous avons également le neighbourhood watch scheme, dans lequel le public devient les yeux et les oreilles de la police. Ce sont les habitants des quartiers qui viennent nous donner des informations », poursuit l’inspecteur Rama. Ce genre de plans, explique le policier, dépend fortement de l’engagement et de l’implication des citoyens. En bref, il ne vit et n’est efficace que si les citoyens d’une région y contribuent. « Au départ, nous lançons une invitation dans la localité pour une première réunion, explique Bhimsen Rama, ensuite on crée des groupes WhatsApp qui incluent le neighbourhood officer et les habitants. S’il y a quelque chose à signaler, on le fait sur le groupe WhatsApp, ou par e-mail ».

Lors de la réunion, des coordonateurs sont sélectionnés parmi les habitants de la région, normalement des volontaires répartis dans plusieurs rues du quartier. « Jeudi, on a reçu un message sur une femme qui faisait une collecte d’argent sans les papiers officiels, illustre l’inspecteur, la police seule ne peut empêcher la prévention, il faut l’apport de tout un chacun ».

Sauf que les neighbourhood officers et les community policing officers sont appelés à être plus souvent en contact avec les citoyens que les autres policiers. Y sont-ils préparés ? « En 2010, quand le programme a démarré, ils ont bénéficié d’une semaine de formation sur le concept de community policing, répond l’inspecteur Rama, on leur a appris comment organiser et gérer des réunions ». Depuis, chaque année, les nouveaux qui intègrent ce système ont droit à une formation également.

Formation qui est loin de suffire, pour l’inspecteur Jaylall Boojhawon, président de la Police Officers’ Solidarity Union, le syndicat de la police. «  La police a deux responsabilités: la prévention et la détection, explique l’inspecteur Boojhawon, mais pour faire les deux, il faut du personnel. C’est là où le bât blesse. On parle de neighbourhood watch, mais un seul officier ne peut couvrir des régions entières ».

Selon l’inspecteur, bien des fois, c’est une fonction que l’officier de police choisit d’accomplir par défaut. «  Certains n’ont pas de formation, on leur colle l’étiquette et on les jette en pleine mer », s’insurge-t-il.

L’autre problème, pour l’inspecteur Boojhawon, est une question d’équipements. «  Donne-t-on au policier un appreil photo ? A-t-il un ordinateur portable pour rédiger son rapport? Le neighbourhood officer ne remplit pas les objectifs fixés à sa création ».

Pour le syndicaliste, les policiers qui ont la tâche d’assurer le service de proximité ne sont pas équipés comme il faut.  Il suffirait, selon lui, de ne plus gaspiller les ressources disponibles à des tâches qu’il qualifie d’inutiles. «

Au poste de police de Pope Hennessy, il y a 15 policiers par jour qui vont assurer la sécurité dans les ministères, explique-t-il, sans compter ceux qui assurent la sécurité aux domiciles des anciens présidents, vice-présidents et autres hommes d’État. Le fils d’un ministre se marie et il faut y envoyer 15 policiers! C’est ce qui cause le manque de policiers sur le terrain », conclut-il.

Le « chiffre noir »

Même avec un indice de gravité, les statistiques ont bien du mal à donner une vraie représentation de la réalité concernant la fréquence de crimes pour la simple raison qu’il y a des cas qui ne sont jamais portés à l’attention de la police. L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec appelle cela le "chiffre noir" de la criminalité. Selon cette association, les crimes commis en privé sont généralement sous-représentés dans les statistiques, puisque difficile à détecter. De plus, certaines victimes peuvent abandonner l’idée de rapporter un crime par manque de confiance dans la force policière ou le système judiciaire et légal.

L’indice de gravité de la criminalité

Les statistiques de la criminalité à Maurice ne s’intéressent qu’au nombre de crimes commis et négligent la gravité et la violence caractérisant ces crimes. Si le taux de criminalité peut bien chuter, une approche qualitative peut donner une meilleure idée de la gravité des crimes commis. Certains pays, à l’instar du Québec, utilisent un indice de gravité de la criminalité pour mesurer l’ampleur et la gravité de la criminalité. 

L’Association des services de réhabilitation sociale du Québec en donne la formule : « Dans le calcul de l’indice, un poids est attribué à chaque infraction, selon les peines imposées par les tribunaux de juridiction criminelle. Plus la peine moyenne est sévère, plus le poids attribué à l’infraction est élevé. Par conséquent, les infractions plus graves ont un effet plus marqué sur cet indice. »

Les chiffres de la délinquance juvénile

Les chiffres de 2016 dénotent une croissance de la criminalité chez les jeunes, avec 4 % de délits de plus comparé à 2015. Il faut aussi noter que la majorité des mineurs victimes d’agressions sont de sexe masculin alors que pour les délits sexuels, la plupart des victimes (94 %) sont de sexe féminin. 

Délits (+4%)
2015 : 717
2016 : 743

Infractions  contre les biens
2015 : 147
2016 : 226

Drogue
2015 : 52
2016 : 76

Contraventions
2015 : 1 155
2016 : 1 010

Taux de délinquance juvénile
2015 : 6,1 % pour chaque 1 000 jeunes
2016 : 6,4 % pour chaque 1 000 jeunes

Homicides
2015 : 1
2016 : 2

Homicides involontaires
2015 : 4
2016 : 2

Aggressions (61 % de sexe masculin)
2015 : 1 045
2016 : 1 043

Délits sexuels (-7%)
2015 : 526
2016 : 491

Condamnations
2015 : 245
2016 : 263
37 % contraventions
30 % incarcération

Taux de condamnation
2015 : 1,9 pour chaque 1 000 jeunes
2016 : 2 pour chaque 1 000 jeunes

Détenus CYC* (+35%)
2015 : 114
2016 : 154 - 86 % des nouveaux incarcérés pour vol

Détenus RYC* (-12%)
2015 : 213
2016 : 188  - 83% des nouveaux en détention préventive. 88% de cas de child beyond control.

Autres :

Sous probation
2015 : 50
2016 : 43 (39 garçons)

Service communautaire
2015 : 1
2016 : 2

*CYC : Correctional Youth Center
* RYC : Rehabilitation Youth Center

Affiche placardée dans le Ward IV, à Port-Louis.

Heera Boodhun, criminologue : «Les enfants affectés par la violence domestique»

Une femme poignardée à mort par son époux, une Écossaisse tuée pour quelques bijoux, un poignet sectionné pour une cigarette... La nature et l’extrême violence de ces crimes récents vous choquent-elles?

C’est sûr que ce sont des actes violents qui choquent. Mais il faut aussi essayer de comprendre les facteurs qui y contribuent. Aussi, il ne faut pas oublier qu’il y a eu d’autres crimes aussi crapuleux dans le passé.

Les statistiques des crimes à Maurice sont quantitatives. Est-il temps de compiler des données qualitatives pour qu’on ait de meilleurs outils permettant d’analyser l’évolution  du degré de violence des crimes ?

Les parents ne passent pas assez de temps avec leurs enfants et pour compenser, ils leur donnent de l’argent »

Les statistiques sur les crimes nous donnent une idée de la situation mais il est important de se rappeler que les statistiques sont le résultat des décisions humaines à tous les niveaux. Pour commencer, un crime doit être reconnu en tant que tel et ce n’est pas toujours le cas. Ensuite, le crime doit être rapporté aux autorités et ce n’est pas non plus toujours le cas pour diverses raisons. Par exemple, la victime peut avoir peur de l’auteur du crime, ou le crime peut être considéré comme trivial. Il se peut aussi que la victime ne veuille pas dénoncer par manque de confiance dans le système judiciaire. Ensuite, il faut que le crime soit enregistré par la police. Il est utile de disposer des données qualitatives parce qu’elles permettent à celui qui les analyse d’en dégager du sens. Cela permet une étude en profondeur et de comprendre les facteurs qui augmentent les risques qu’une personne s’adonne à un comportement criminel. Désormais, les données qualitatives sont disponibles depuis que les universitaires s’impliquent dans la recherche.

On associe souvent la recrudescence de la violence à un plus grand malaise sociétal. Est-ce que ce n’est pas un cliché un peu facile?
Les facteurs à risque qui contribuent à la violence peuvent être divisés en trois catégories : le niveau individuel, le niveau familial et le niveau sociétal. Certains individus sont plus impulsifs et sont plus à même d’agir sans réfléchir aux conséquences. Au niveau de la famille, il y a de nombreux facteurs, comme la violence, l’abus, le chômage, l’absence de supervision parentale, etc. Au niveau sociétal, il peut y avoir la pression de groupe, l’absence de soutien académique, le fait de vivre dans des communautés à risque, l’absence de modèles et de valeurs morales. Tous ces facteurs peuvent accentuer les risques qu’un individu commette des crimes.

La violence chez les jeunes a aussi frappé l’imagination ces derniers temps. Qu’est-ce qui explique la délinquance à cet âge ?
Il y a plusieurs facteurs qui contribuent à la délinquance juvénile. Beaucoup de jeunes délinquants viennent de familles brisées, plusieurs ont été victimes d’abus et n’ont pas pu se débrouiller dans le système éducatif. De nos jours, les parents ne passent pas assez de temps avec les enfants et pour compenser, ils leur donnent de l’argent et des cadeaux qui ne peuvent jamais remplacer l’amour et l’attention. Les parents ont tendance à prendre pour acquis les bonnes actions de leurs enfants, mais quand ces derniers commettent une erreur, ils sont grondés, punis et on leur dit qu’ils sont des « vauriens ». En fait, plusieurs jeunes ont de mauvais comportements parce qu’ils veulent être écoutés, ils veulent être compris et ne savent pas comment attirer l’attention des adultes. L’absence de valeurs morales et de modèles est cruciale. C’est facile de les inciter à imiter les adultes qui tentent de devenir riches rapidement.

Quelles mesures pour contrer cette violence ?
Les jeunes doivent être sensibilisés à l’impact de ces actes sur leur avenir. Par exemple, s’ils savent qu’il leur faut un certificat de caractère pour avoir un job, ils pourront y réfléchir à deux fois avant d’agir. On peut montrer aux jeunes des exemples de personnes qui ont commis des crimes au même âge et comment leur vie en a été affectée. Les parents doivent aussi passer plus de temps avec leurs enfants. Ils doivent comprendre que leurs enfants sont affectés par la violence à la maison : la violence physique, verbale, psychologique, sexuelle et financière. Les jeunes doivent se sentir valorisés par de simples actes comme la reconnaissance d’une action positive, ou leur bonne performance à l’école. Les médias peuvent aussi contribuer en publiant plus d’articles.

Quelle peut être l’utilité de la police de proximité ?
Quand la population a une relation positive avec la police, elle peut se tourner vers elle pour rapporter les cas plus facilement. Les membres de la communauté peuvent partager leurs inquiétudes avec la police. Les policiers peuvent expliquer aux jeunes qui se comportent mal les risques que cela implique. Cela peut empêcher des crimes sérieux. La police de proximité encourage aussi le sentiment de sécurité et de confiance dans la police.

Et quid des mouvements civiques comme le ‘neighbourhood watch’ ?
La recherche démontre que de tels mouvements peuvent éviter des crimes jusqu’à un certain point tout en promouvant un sentiment de sécurité parmi les habitants d’un voisinage. Les individus ont moins de risques de commettre des crimes quand il y a un neighboorhood watch mis sur pied.

 

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