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Conflit CP vs DPP : ce que pensent des avocats de ce différend

La prise de position du Commissaire de police, Anil Kumar Dip, dans un communiqué en date du 28 février 2023, alimente la polémique. Il est question de la libération sous caution de l’activiste Bruneau Laurette la veille. Trois avocats décortiquent ce bras de fer. 

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Un communiqué du service de presse de la police, en date du 28 février 2023, suscite la controverse. Le document fait état d’une déclaration du commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip qui qualifié la décision du Directeur des poursuites publiques (DPP) de ne plus objecter à la libération sous caution de Bruneau Laurette, d’ « evil precedent ». 

Le CP a fait remarquer, dans le communiqué, que plus de 337 détenus sont en détention provisoire pour trafic de drogue et la quantité de drogue saisie dans ces cas ainsi que la valeur marchande à la drogue sont inférieures à ce qui a été saisi dans la voiture de Bruneau Laurette. 

Pour le CP, les avocats de ces trafiquants de drogue peuvent désormais demander la libération sous caution de leurs clients. « S’ils sont libérés, cela peut avoir un impact négatif sur la population et mettre en péril la sécurité des jeunes ainsi que le travail entrepris par la force policière pour protéger la communauté dans son ensemble », a-t-il ajouté. 

Que pensent les membres de la profession légale ? Trois avocats passent en revue les propos du chef de la police. 

Sanjay Bhuckory, Senior Counsel : « Ce conflit n’augure rien de bon pour notre démocratie »

Me Sanjay BhuckoryConnu pour son franc-parler, Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, dit que cette démarche du CP est inappropriée. Selon lui, au lieu de se prévaloir des dispositions de la Bail Act pour contester la décision du tribunal de Moka, le CP a utilisé son communiqué pour la remettre en question, tout en faisant « une attaque à peine voilée contre le DPP ». 

Me Bhuckory est catégorique. « Le CP fait fausse route » quand il suggère que le « evil precedent », que constitue le jugement, permettra aux 337 détenus, impliqués dans des affaires de drogue, d’être libérés sous caution si leurs avocats en font la demande. 

« La décision du tribunal de Moka sur la libération de Bruneau Laurette ne constitue nullement un précédent en droit, étant donné que chaque cas devra être examiné sur ses propres mérites », soutient le Senior Counsel. D’ailleurs, le jugement de la magistrate, aussi bien que le communiqué du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), ont tous deux mis l’accent sur le fait que le jugement est basé sur les faits propres à cette affaire.  

D’autre part, dit Me Bhuckory, ce conflit entre le CP et le DPP a créé un malaise palpable entre ces deux instances constitutionnelles qui sont appelées à travailler quotidiennement en tandem pour combattre le crime et traduire les prévenus en justice. « Ceci n’augure rien de bon pour notre démocratie ainsi pour notre image internationale », constate Me Bhuckory. Ce dernier ne manque pas de lancer un appel au président de la République, Prithvirajsing Roopun, qui est le gardien de la Constitution afin qu’il utilise « ses bons offices pour calmer le jeu entre les deux protagonistes ».   

Peut-on parler d’outrage à la cour dans cette situation ? Pour Me Bhuckory, le CP, titulaire à un poste constitutionnel, a « un devoir accru de retenue ». En critiquant ouvertement, d’une part, une décision du Judiciaire, et, d’autre part, une décision du DPP de ne pas contester le verdict du tribunal de Moka, le CP aurait jeté un discrédit simultané sur ces deux institutions, créant ainsi une érosion de confiance de la part du citoyen. 

Qui plus est, selon le Senior Counsel, en critiquant publiquement la décision d’une cour de justice contre laquelle il n’a pas fait appel, le CP aurait bafoué le principe de la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et le Judiciaire. 

Pour conclure, Me Sanjay Bhuckory dira que les critiques contre cette décision du tribunal de Moka ne sont pas justifiées. Car, dit-il, la magistrate s’est évertuée à réconcilier le droit constitutionnel d’un prévenu à la liberté avec les risques que cela comporte de lui octroyer la liberté sous caution. Et qu’au final, à la lumière des éléments versés au dossier, elle a décidé en faveur de la liberté, mais l’a assujetti à une série des conditions extrêmement rigoureuses. 

Le DPP a, lui, jugé utile, tel que motivé dans son communiqué, de ne pas contester cette décision. « Je n’ai aucune raison de douter de la bonne foi, de la droiture et de la compétence de la magistrate et du DPP », indique par ailleurs Me Bhuckory.   

Me Dev Ramano : « Ce sont des propos outranciers…»

Me Dev RamanoPour Me Dev Ramano, « ce sont des propos déplacés, voire outranciers du CP ». L’avocat ajoute que la prise de position du CP empiète sur les prérogatives du Judiciaire. « C’est d’autant plus affligeant car le chef de la police n’a rien compris au principe de la liberté sous caution. La norme est la liberté et la restriction de celle-ci est l’exception ». 

L’homme de loi est d’avis que les conditions de remise en liberté sous caution imposées à Bruneau Laurette sont telles qu’elles ne peuvent être raisonnablement être contestées. « Le CP avait la possibilité en vertu de l’article 5 (4) de la Bail Act de faire appel de la décision du tribunal de Moka de remettre en liberté sous caution l’activiste. Il avait un délai de sept jours pour le faire, mais il ne l’a pas fait », observe Me Ramano.   

Il ajoute que de tels propos « peuvent intensifier une crise au sommet d’une partie de l’État ». Il parle de confusion de la part du chef de la police sur les prérogatives de chacun de ces postes constitutionnels. « La police est chargée d’enquêter sur la possibilité de délits. Une fois l’enquête bouclée, elle envoie le dossier au bureau du DPP, qui est seul responsable d’instruire, ou pas, l’affaire en Cour. Ainsi, la police et le DPP ont chacun un rôle complémentaire. De tels propos peuvent au final, pervertir le processus de la justice » explique Dev Ramano. Celui-ci considère que le cas de Bruneau Laurette ne peut être un précédent, car chaque cas dépend des particularités des faits. « On ne peut comparer les cas de ces 337 cas à celui de Bruneau Laurette », dit Me Ramano. 


Me Taij Dabycharun : « Je n’y  vois pas vraiment de conflit »

Me Taij DabycharunÀ travers son communiqué du 28 février 2023, selon Me Taij Dabycharun,  le CP, par l’intermédiaire du Police Press Office, n’a que fait part de ses « appréhensions » sur l’affaire Bruneau Laurette.
 « En tant qu’ancien policier, je peux comprendre ses appréhensions et son inquiétude. Malgré toutes les allégations de « planting » ou autres, de la drogue a été retrouvée dans la voiture de Bruneau Laurette et il n’y a aucune autre preuve du contraire », souligne l’homme de loi. Ce dernier ajoute qu’avec la quantité de drogue saisie, Bruneau Laurette a été libéré après environ 115 jours malgré des conditions strictes. 

Selon Me Dabycharun, il n’y a rien de mal dans le communiqué car le terme « evil precedent » (précédent maléfique) fait partie du langage utilisé principalement devant les tribunaux par les avocats. Et cela ne peut signifier que quelqu’un a été libéré, après 115 jours  dans une affaire où de la drogue d’une valeur de plus de Rs 200 M a été saisie et que cela donnera une marge aux autres pour être libérés en relevant le point de « planting » par la police.

Me Dabycharun est catégorique : « Je n’y vois pas vraiment de conflit ». Tout en affirmant que le bureau du DPP et le CP sont des postes constitutionnels et distincts. « Ce que le CP, par l’intermédiaire de son bureau de presse, essaie de dire, c’est qu’il n’a aucun problème avec la décision de la Cour (il respecte la décision de cette cour, en fait). Ce qu’il appréhende, c’est la politique de deux poids deux mesures », soutient l’homme de loi. 

Il soutient que dans des circonstances normales, lorsque vous comparaissez pour des clients devant la Bail & Remand Court (BRC), il y a presque tous les jours un gel (Stay of Execution ) émis par le bureau du DPP et de nombreuses décisions des magistrats de cette instance sont soumises pour une révision judiciaire devant la Cour suprême.

Qu’est-ce qui est différent du cas de Bruneau Laurette ? s’interroge Me Dabycharun. Pour lui, c’est une divergence d’opinions. « Tout le monde a le droit de s’exprimer librement. Le bureau du DPP avise et continuera à aviser le CP en temps et lieu et continuera à représenter le CP devant une cour de justice. Où est le conflit ? », demande l’avocat. Il n’y aucun outrage à la Cour.  À aucun moment, le CP n’a dit ne pas être d’accord avec la décision de la magistrate et, à aucun moment, il n’a critiqué la décision de celle-ci.

Cela ne va-t-il pas contre le principe de séparations des pouvoirs ? « Pas vraiment », réplique Me Dabycharun. « Comme expliqué précédemment, ce sont deux postes constitutionnels et ils sont séparés l’un de l’autre.  Chacun a le droit de donner son avis et le CP n’a fait qu’exprimer ses appréhensions face à ce qui peut devenir une normalité », indique l’homme de loi.

« L’affaire Bruneau Laurette ne devient pas un précédent car elle n’émane pas d’une juridiction supérieure », réplique Me Dabycharun. Cependant, dit-il ,la décision du tribunal de Moka peut devenir persuasive et être portée à l’attention des magistrats des autres cours de district. « Nous devons garder à l’esprit que chaque cas est considéré selon ses propres mérites », précise-t-il.

Selon Me Dabycharun, la magistrate du tribunal de Moka, est la seule à avoir eu l’opportunité d’entendre les preuves et les arguments de la poursuite et ceux de la défense. Ensuite, elle a rendu sa décision. Sa conclusion est que des conditions pouvaient être appliquées pour la libération sous caution de Bruneau Laurette. Donc, il n’y a pas lieu de critiquer sa décision. Il appartenait au CP et au bureau du DPP de recourir à une révision judiciaire de cette décision devant la Cour suprême s’ils n’étaient pas satisfaits du raisonnement. 

« Comme il n’y a pas eu de demande de révision, le bureau du DPP est donc en accord avec cette décision et le raisonnement.  Je ne peux qu’espérer que ce genre de décision s’appliquera à de nombreux cas similaires à celui de Bruneau Laurette où la quantité de drogue saisie et la valeur marchande de la drogue sont inférieures », conclut-il

 

 

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