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Commissions d’enquête : quelle est leur efficacité réelle ?

Aussitôt publiées, les conclusions d’une commission d’enquête provoquent un coup de tonnerre dans la sphère politique. Mais quel est l’impact concret sur le long terme ? Est-ce un instrument dépassé ? Des experts se prononcent.

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Quelle est la raison d’être d’une commission d’enquête ? L’article 2 de la Commission of Enquiry Act indique que le but d’une telle commission « is to inquire into the conduct of any officer in the public service, or into the conduct or management of any department (…) or into any matter of public interest or concern, or into any matter in which an inquiry would be for the public welfare ». Cependant, la pertinence et l’efficacité des commissions d’enquête sont de plus en plus remises en question par l’opinion publique.

Quatre commissions d’enquête ont été créées depuis 2015, sur la drogue, sur l’ancienne présidente de la République Ameenah Gurib Fakim, sur la vente des actions de Britam et sur l’affaire Betamax.

Une constante est observée : l’impact immédiat du rapport de la commission d’enquête au moment de sa publication. L’efficacité du rapport sur le long terme est un tout autre débat, estime l’Executive Director de Transparency Mauritius, Rajen Bablee : « Trop souvent, les commissions d’enquête n’ont qu’un effet d’annonce sensationnel qui s’estompe rapidement. C’est à se demander si ces rapports ne servent qu’à nous focaliser sur l’arbre qui cache la forêt », dit-il. Notre interlocuteur souligne aussi que le cadre dans lequel opère une commission d’enquête ouvre la porte à la contestation. « Les paramètres des investigations sont souvent définis par l’exécutif et restreints. En l’absence des versions de toutes les parties au moment des auditions, de grands extraits des rapports sont ensuite contestés par certaines parties qui, après avoir obtenu gain de cause, peuvent les faire supprimer », fait-il remarquer.

La réussite ou l’échec d’une commission d’enquête repose essentiellement sur ses « terms of reference ». C’est l’avis de l’avocat Penny Hack. « Une commission d’enquête doit pouvoir opérer dans les meilleurs paramètres afin de permettre à ses membres de brasser large et ainsi de ne rien laisser au hasard ». Son analyse des rapports des dernières commissions d’enquête l’amène à croire qu’elles ont été instituées pour des raisons purement politiques. « C’est pour cela que les attributions de certaines commissions sont très restreintes. Des commissions d’enquête sont utilisées comme une arme politique pour attaquer des adversaires. Des fois, c’est pour gagner du temps ou pour perdre du temps », précise-t-il.

La commission d’enquête est-elle un instrument dépassé en 2022 ? « Non, pas si elle est bien faite », répond l’avocat. Et d’ajouter que plusieurs institutions à Maurice sont critiquées simplement parce qu’elles sont mal utilisées. « La police est par exemple une institution très critiquée. Mais est-ce que cela veut dire qu’elle n’a plus sa raison d’être ? Tout repose sur la manière dont les gouvernants utilisent une institution », dit-il.

Pour Kadress Pillay, ex-ministre et ancien directeur du bureau de l’audit, une commission d’enquête reste un outil pertinent, pour la raison qu’il n’y a pas de système d’arbitrage permanent à Maurice. Cependant, dit-il, l’utilisation des commissions d’enquête a été pervertie au fil du temps aussi bien par le gouvernement en place que par l’opposition. « Ils utilisent les recommandations d’une commission d’enquête uniquement lorsque cela les arrange. C’est devenu tellement grossier qu’aujourd’hui le fondement d’une commission d’enquête est banalisé », déplore-t-il.

Krish Ponnusamy, ancien Senior Chief Executive, avance pour sa part qu’il faudrait amender la Commission of Enquiry Act. « Cette loi a besoin d’être dépoussiérée. Il est grand temps de se débarrasser de certains aspects et d’en ajouter de nouveaux qui sont plus en phase avec notre temps », dit-il. Le temps des travaux, le « time frame » pour la publication du rapport, les pouvoirs d’arrestation et de poursuite sont aujourd’hui autant de points qui doivent faire l’objet d’une discussion afin de déterminer comment une commission d’enquête devrait fonctionner en 2022. « Le gouvernement, l’opposition et les membres de la société civile doivent pouvoir s’assoir à la même table pour faire de nouvelles propositions », estime-t-il.

Combien coûte une commission d’enquête

« The President may direct what remuneration, if any, shall be paid to a Commissioner, to the secretary and to any other person engaged in the work of the Commission », peut-on lire à l’article 16 de la Commission of Enquiry Act qui traite des « remuneration and expenses ». Selon un ancien chef de la Fonction publique, la loi ne détermine pas des rémunérations fixes pour le président d’une commission d’enquête et ses assesseurs. « Le montant est décidé lors de négociations entre le gouvernement et le président, mais cela se compte en millions de roupies », indique-t-il. Le gouvernement n’a que très rarement communiqué sur les dépenses consacrées à une commission d’enquête. Toutefois, dans le cas de la commission d’enquête sur la drogue, on apprend que son président, Paul Lam Shang Leen, avait réclamé Rs 15 millions, ce qui aurait fait 17,25 millions en ajoutant la taxe sur la valeur ajoutée. L’État n’avait cependant consenti à payer que Rs 10 millions pour cette commission.

Le gouvernement nie toute utilisation comme arme politique

« Un gouvernement qui se respecte n’utilise pas le rapport d’une commission d’enquête comme arme politique. Il faut bien comprendre les choses. Le but d’une commission d’enquête est d’avoir une certaine visibilité sur un dossier complexe », déclare-t-on au gouvernement. Le dernier rapport en date est celui de la commission d’enquête sur l’ancienne présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim. « Des recommandations ont été faites afin que les irrégularités constatées ne se reproduisent plus. Il faut toutefois comprendre que chaque personne ciblée dans le rapport d’une commission d’enquête a le droit de se défendre et de contester les conclusions selon les paramètres de la loi. Car Maurice est et restera un État de droit », précise-t-on.

 

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