Live News

Cédric Lecordier, diacre : «L’image des parents qui donnent leur enfant, c’est du storytelling»

Vingt-quatre ans après la dernière ordination sacerdotale de jésuite, Cédric Lecordier a été ordonné ce dimanche 4 août. Très terre à terre, il livre sa vision de l’Église en tant que prêtre au sein de la Compagnie de Jésus (Jésuites) et bouscule tous les stéréotypes en ce qui concerne « l’appel ». Interview réalisée avant qu'il ne soit ordonné prêtre. 

Publicité

Vous serez ordonné prêtre ce 4 août. Comment avez-vous ressenti l’appel ?
Je n’aime pas trop ce terme « appel ». C’est une image assez caricaturale : on donne l’impression que Dieu passe un coup de fil téléphonique. Cela devient quelque chose d’un peu « magique ». 

Dans mon cas, « l’appel » a été quelque chose de progressif. Dieu ne m’a pas appelé en particulier pour être prêtre, mais à prendre une décision. C’est à ce moment que j’ai compris que j’étais libre de décider d’être prêtre et que, d’une certaine manière, Dieu fait alliance avec moi dans ce projet de vie. 

J’ai l’impression que les gens s’imaginent que Dieu a décidé à l’avance de ce que je devais faire de ma vie. Je ne crois pas trop à cela. C’est vrai qu’il y a des moments de grandes consolations, d’intimité avec le Seigneur et une relation avec le Christ, mais jamais je ne me suis senti contraint par Lui à choisir la vocation religieuse plutôt qu’une autre. 

Au contraire, il y a une attirance personnelle pour ce style de vie et j’ai osé me poser cette question-là. C’est très libérateur de sentir que ce n’est pas Dieu qui appelle dans le sens d’un programme, mais de savoir qu’Il sera avec moi dans ce que je choisis de vivre.

Je rencontre des parents qui sont démunis face à la question de l’appel. Ils attendent que Dieu appelle leur enfant ; ils pensent pouvoir appeler l’« appel » d’eux-mêmes. Mais je crois que le plus important, c’est de comprendre qu’il y a un « feu », ou une passion, et qu’il faut laisser la liberté à un jeune de choisir sa vie en lui disant bien qu’il n’a qu’une vie et qu’il devra prendre des risques, oser ! 

Il faut plutôt éduquer dans ce type de courage et de détermination, avec une dose de réalisme et de prudence. Donner sa vie, c’est un risque. Ce n’est pas quelque chose de magique. On a trop tendance à croire qu’une fois l’appel reçu, tout devrait aller selon le plan de Dieu. Et si le jeune arrête en cours de route, c’est forcément de sa faute parce qu’il n’aurait pas suivi son appel jusqu’au bout. Ce n’est pas comme cela que ça marche.

Justement, quel a été le rôle de vos parents dans la voie que vous avez choisie ?
Certains sont émus que mes parents aient donné leur fils unique à l’Église. Mes parents diront, quant à eux, qu’ils n’ont rien donné. Les parents ne sont pas propriétaires de la vie de leurs enfants, ils ne donnent pas la vie de leur enfant, c’est ridicule.

J’ai fait mes choix d’adulte, je les ai présentés à mes parents sans leur demander la permission. Ils m’auraient dit non, j’aurais foncé quand même. L’image des parents qui donnent leur enfant, c’est du « storytelling ». Ce n’est ni respectueux des parents ni respectueux des enfants, qui sont surtout des adultes !

Les parents ne sont pas propriétaires de la vie de leurs enfants»

Vous semblez vouloir casser ce stéréotype…
Effectivement. Les gens voudraient que je raconte une belle histoire familiale, ce n’est pas le cas. Mes parents sont séparés depuis une dizaine d’années. Je ne dis pas qu’ils n’ont pas été porteurs de la vocation, mais ils n’ont pas nourri ma foi chrétienne de manière particulière. 
Ce qu’ils m’ont transmis m’est beaucoup plus précieux que le sens religieux et la piété. Mes parents ont une foi beaucoup plus militante : une conscience politique avec un fond de foi. Mais la foi, ce n’est pas forcément la religion en pratique. 

Ancien lauréat, vous avez étudié l’économie et la finance en Australie. Comment vos parents ont-ils accueilli votre désir de vous engager comme prêtre après un tel parcours ?
Ils avaient senti que j’avais une manière de vivre qui était peut-être différente, ma nature profonde a laissé transparaître que je n’allais pas suivre un chemin balisé. J’avais du mal à me projeter dans une carrière classique. J’étais beaucoup plus attiré par le journalisme et par des métiers de voyage. Fondamentalement, quand un parent voit que son enfant est heureux, il finit par être heureux également. 

Vous avez évolué dans le monde du travail, notamment comme journaliste, enseignant, et aussi dans le secteur de l’hôtellerie. Quand avez-vous compris que vous vouliez être prêtre ?
Je ne voulais pas être prêtre. Je ne suis pas entré dans la vie religieuse pour être prêtre, même si je suis très heureux d’être ordonné prêtre. Je suis religieux jésuite avant tout. Il y a une différence fondamentale entre une congrégation religieuse qui a une vocation missionnaire, comme frère ou prêtre. Quand on entre chez les jésuites, on nous demande, dès le début de la formation, de faire l’effort de nous détacher, du moins pour un temps, de la question d’être prêtre. 

J’ai un appel à la vie religieuse je pense, c’est cela qui est plus important pour moi. Mon ordination est une confirmation de cet appel. Ce n’est pas être prêtre d’abord et jésuite ensuite, mais l’inverse. Pour moi, c’est la mission d’abord ; on n’a pas besoin d’être prêtre pour être missionnaire.

Le choix a-t-il été facile ? 
Il y a des moments de difficultés, mais surtout des moments de grande clarté. Au départ, j’ai essayé d’écarter la question. Mais après un temps de remise en question, de doute, j’ai pris le risque de me dire : pourquoi pas ? Comme chrétien, j’ai une seule vie, je ne vais pas me réincarner. Je n’ai pas la possibilité de revenir corriger mes erreurs. 

Une fois qu’on se rend compte de cela, cette vie unique, c’est le plus beau cadeau que Dieu nous donne. On ne va pas préparer la prochaine vie mais on entre dès à présent dans la vie de Dieu en prenant des risques. Je ne peux pas me permettre de ne jamais essayer. 

Pourquoi avez-vous choisi la communauté des Jésuites pour votre engagement ?
Si je n’avais pas été jésuite, je crois que je n’aurais pas été religieux ; j’aurais fait tout à fait autre chose. J’ai une belle expérience à Mahébourg et le contact avec les personnes me nourrit. 

Je n’ai pas la vocation de prêtre diocésain ; cela me semble clair. La vie religieuse pour moi, c’est au sein de la Compagnie de Jésus, pas autre chose et pas autrement.

Parlez-nous de votre devise : « Révélé aux tout-petits ». 
« Révélé aux tout-petits » est un thème d’ordination plus qu’une devise. C’est l’extrait d’un texte avec lequel que je chemine depuis un certain temps. Peut-être que cela deviendra une devise de manière plus profonde. C’est surtout une manière de se mettre en chemin à l’école du Christ avec une paroisse, avec ma famille spirituelle. 

Ce que j’aime dans ce texte de l’Evangile, qui est aussi le titre d’un livre que j’ai beaucoup aimé dans mes lectures cette année, c’est que Jésus s’étonne d’une chose : il se laisse surprendre et n’anticipe pas. Il rend grâce et dit : « Père, je te loue, je te rends grâce, car ce que tu as caché aux sages et aux puissants, tu l’as révélé aux tout-petits. ». Le Christ, dans sa relation avec les tout-petits, remarque la manière dont Dieu, son père, parle à travers les tout-petits. 

Je veux pouvoir travailler d’une manière ou d’une autre pour que les tout-petits se sentent autorisés à parler. Ça me parle. 

On n’a pas besoin d’être prêtre pour être missionnaire»

Dans différents secteurs d’activité économique, la main-d’œuvre étrangère est de plus en plus présente. Des prêtres étrangers sont eux aussi appelés pour renforcer le clergé mauricien. Qu’est-ce qui explique ce manque d’intérêt pour les vocations, professionnelles ou religieuses ?
Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer cela. Ce qui est quand même assez clair, c’est que l’Église a changé, le monde dans lequel on vit a profondément changé. On peut dire que nous étions dans un autre type d’économie qui appelait les personnes d’une autre manière. L’écosystème des vocations n’est plus le même. 

L’Église mauricienne a toujours vécu avec des missionnaires qui arrivent et qui repartent. Les missionnaires d’aujourd’hui connaissent le même type d’enjeu que leurs prédécesseurs. Je ne dirais pas qu’il y a un manque d’intérêt pour les vocations, il y a des gens qui ont des vocations qui s’expriment différemment. Je préfère voir cela de manière inversée. 

On pense que ce sont les jeunes qui ne répondent pas à l’appel. Mais si c’était les jeunes qui appelaient l’Église à donner d’autres types de réponses ? C’est aussi la question à se poser. Le jeunes ne seront jamais ce qu’on voudrait qu’ils soient, mais il faut se demander quelle est la réponse qu’on leur propose. 

Quels sont les facteurs qui font que les jeunes ne sont pas « intéressés » à s’engager religieusement ?
Comme je le disais, parfois l’Église a du mal à répondre à l’appel des jeunes. Je suis optimiste, je ne vois pas la crise des vocations. C’est peut-être institutionnel parce qu’il faut boucher des trous à gauche et à droite. Mais cela nous oblige à être créatifs et à réfléchir à d’autres manières de faire l’Église. 

Une crise n’est pas qu’une crise, c’est une opportunité. Elle doit apporter une nouveauté et non pas retourner à l’état initial. On est dans ce qu’on appelle une nouvelle normalité. On ne peut se dire qu’on va retourner à une époque bénie. Une époque bénie dont on rêve, c’est quoi ? Les grandes familles avec beaucoup d’enfants : un qui reprend le business de papa, un autre est enseignant, un qui est avocat ou médecin, et un autre qui sera prêtre. Ce n’est plus cela.

Pensez-vous que les parents devraient encourager davantage leurs enfants vers la vocation religieuse tout en leur laissant la liberté de choisir ?
Il ne faut pas enlever à un enfant la possibilité de rêver à la vie religieuse, mais les parents ne devraient pas les « pousser » vers cela, car c’est le pire vaccin contre la vie religieuse. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de vocations tardives avec des personnes qui, arrivées à la quarantaine, entrent dans des ordres religieux. Ce qui est une bonne nouvelle aussi pour l’Église. 

Si les parents s’imaginent qu’ils vont entraîner leurs enfants pour qu’ils soient prêtres à 18 ans, non. C’est un adulte formé qui entre au séminaire, qui a une expérience de vie. Ce n’est pas le bébé de papa et maman. 

Le célibat est-il un frein à la vocation sacerdotale ou religieuse ?
Non, le célibat n’est pas un frein. Mais il y a des célibats bien vécus et des célibats mal vécus, tout comme il y a des mariages bien vécus et mal vécus. 

Je ne pense pas qu’un homme marié soit moins pieux, moins saint et moins apte à être prêtre. D’une manière ou d’une autre, laisser la liberté aux gens serait une bonne chose. Un homme peut se marier sans avoir l’idée d’être prêtre et pourrait, par son expérience de vie, être appelé à une forme de pastorat.

L’Église catholique romaine a développé une discipline un peu dure. L’Église catholique copte (NdlR, il s’agit de l’une des Églises catholiques orientales, dont le chef porte le titre de Patriarche d’Alexandrie des Coptes) ordonne les hommes mariés. Il ne faut pas croire que ce n’est pas catholique d’ordonner des hommes mariés. C’est davantage pour des problèmes pratiques que théologiques. 

Avec l’évolution de la société, pensez-vous que l’Église catholique devrait avoir davantage d’ouverture, par exemple pour permettre l’ordination des femmes ou accorder plus de place aux couples reconstitués et aux homosexuels ?
Ce que je constate dans le diaconat permanent, c’est que c’est une charge, un ministère où c’est un homme qu’on ordonne, mais dans la pratique il faudrait surtout parler d’un couple diaconal parce que le charisme est partagé entre l’homme et la femme. C’est dommage que ce soit l’homme qui est visible en liturgie par exemple. 

Il y a tellement de femmes qui ont l’esprit du diaconat mais qui ne sont pas valorisées du point de vue liturgique. Elles n’ont pas d’aube, elles n’ont pas d’étole, mais elles font le boulot. Certaines le vivent bien, d’autres pas. 

Par rapport aux couples reconstitués, on vit dans une Église à Maurice qui a le courage d’écouter l’appel du pape François dans son exhortation apostolique « Amoris Laetitia » (La Joie de l’Amour), où il évoque l’accompagnement des histoires interrompues, promeut le discernement des personnes et permet le chemin de réintégration plénière dans la communion de l’Église. Cela, pour permettre à la personne, comme à l’Église, d’aller de l’avant. 

Par rapport à l’homosexualité, la manière dont un jeune se détermine sexuellement est un processus complexe. Il peut y avoir beaucoup de flou à l’adolescence. Si l’on communique certains enseignements de l’Église par rapport à l’homosexualité de manière directe et franche à un jeune de 15 ou 16 ans, il se fâche pour toujours avec l’Église ; il va se dire qu’il est intrinsèquement mauvais, rejeté, qu’il ne vaut plus rien et qu’il est indigne. On aura beau lui expliquer que c’est l’acte que l’on condamne et pas le pécheur, il n’aura que faire de cela. 

Bref, il y a eu des maladresses pédagogiques qui sont des lourdeurs qu’il faut aujourd’hui accompagner pastoralement. Dans la manière de dire les choses, on a malheureusement fait des dégâts au niveau de la construction de certaines personnes à qui il faut demander pardon. Je suis triste de cette situation, tout comme beaucoup de confrères.

Parfois, on veut corriger certaines maladresses, mais en commettant d’autres. Une bénédiction n’est pas une approbation du style de vie, ni une absolution des péchés. C’est reconnaître les pas de Dieu dans la vie de ces personnes, là où elles en sont, sans poser de jugement. « Qui suis-je pour juger », dit le pape François.

Quel message auriez-vous pour les jeunes qui cherchent leur vocation, qui doutent de leur foi ou qui résistent peut-être à l’appel qu’ils ont reçu ?
On n’a pas besoin d’être parfait, je ne le suis pas. L’Église t’accueille avec tes cheveux longs, tes piercings, tes tatouages… L’Église accueille les jeunes tels qu’ils sont pour, ensemble, faire un chemin. Il ne faut pas soi-même se mettre des barrières. 

Quels que soient ses doutes, sa sexualité, son histoire personnelle et ses « casseroles », si le jeune sent une flamme en lui, qu’il essaie. L’Église, dans sa sagesse et dans la confiance de l’Esprit, va l’accompagner pour faire un chemin. 

De lauréat à prêtre

Âgé de 35 ans, Cédric Lecordier sera ordonné prêtre ce dimanche 4 août 2024. La cérémonie d’ordination, présidée par Mgr Jean Michaël Durhône, aura lieu à 14 h 30 au collège Lorette de Mahébourg.

Proclamé lauréat aux examens du Higher School Certificate, Cédric Lecordier a bénéficié d’une bourse d’étude en 2008 qui l’a conduit à l’Université de Melbourne, en Australie, pour des études en économie et finance. De retour à Maurice en 2011, il a pris un temps de discernement autour de sa vocation auprès des jésuites. Il s’est joint à la rédaction du journal Le Mauricien avant d’entrer dans la Compagnie de Jésus (les jésuites) et au noviciat de Lyon en 2013.

Ordonné diacre le 13 mai 2023 en l’église Saint-Ignace à Paris avec sept autres jésuites du monde entier, il est de retour à Maurice depuis près d’un an. Il partage son temps entre la Résidence St-Ignace à Rose-Hill en semaine (pour poursuivre des travaux d’écriture) et la paroisse Notre-Dame-des-Anges à Mahébourg où il a effectué un stage pastoral.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !