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Budget 2024-25 : l’inquiétude grandissante des effets inflationnistes

Les craintes d’une ascension du taux d’inflation ont émergé à peine les mesures sociales ont été présentées dans le Budget 2024-25.
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Alors qu’on enregistre une baisse graduelle de l’inflation globale, certaines des mesures sociales du Budget pourraient renverser la vapeur. Le seul contrôle des prix ne devrait pas suffire à maintenir l’inflation entre 3 % et 5 %.

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Swadicq Nathay, économiste.

Maurice a enregistré une inflation cumulée de 15,5 % au cours des deux dernières années. Plusieurs facteurs, dont les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale, la pandémie ou encore la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ont influencé les prix au niveau international. Maurice étant tributaire de l’importation, le pays a subi de plein fouet les conséquences. L’inflation globale a cependant diminué de 10,8 % en 2022 à 7 % l’année suivante. Toutefois, les craintes d’une ascension du taux d’inflation ont émergé à peine les mesures sociales, que sont, entre autres, la hausse de la pension de retraite et la révision du revenu minimum garanti, ont été présentées dans le Budget 2024-25.  

L’économiste Swadicq Nathay explique qu’un Budget expansionniste aura un impact sur l’inflation. Ce type de Budget implique souvent une hausse des dépenses gouvernementales. Dans le Budget 2024-2025, cela se traduit par des investissements dans les infrastructures, des subventions, ou des programmes sociaux. Le dernier Budget comprend également des mesures visant à augmenter le pouvoir d’achat des consommateurs, stimulant la demande globale dans l’économie. Ainsi, lorsque la demande globale croît plus rapidement que l’offre, cela peut créer des pressions inflationnistes. 

Cédric Béguier, Head of Investment Strategy chez AXYS, ne dira pas le contraire. « Le Budget peut être considéré comme inflationniste. Les projections montrent une inflation annuelle de 5,2% pour 2024 et 4,8% pour 2025. Ces chiffres, bien que gérables, indiquent une pression inflationniste notable », soutient-il. Selon lui, plusieurs facteurs dans le Budget peuvent contribuer à cette situation. L’une des principales raisons de l’inflation à Maurice, dit-il, est la dépréciation de la roupie. « L’augmentation des revenus peut entraîner une hausse de la demande et comme la plupart des produits que nous consommons sont importés, il y aura une demande accrue de devises étrangères, ce qui entraînera une dépréciation supplémentaire de la roupie et, en fin de compte, de l’inflation », explique notre interlocuteur.  

Par ailleurs, il estime que les dépenses élevées dans les infrastructures et les projets de développement peuvent stimuler la demande globale, augmentant ainsi les pressions inflationnistes. « Les politiques de revalorisation salariale pour soutenir le pouvoir d’achat peuvent également pousser l’inflation à la hausse. Et finalement, les programmes sociaux étendus peuvent accroître la consommation sans une hausse correspondante de l’offre de biens et services », affirme-t-il. 

Maurice a enregistré une inflation cumulée de 15,5 % au cours des deux dernières années.»

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Shaktee Ramtohul, consultant en affaires.

De son côté, le président de l’Association pour la Protection des Consommateurs et de l’Environnement (APEC), Suttyhudeo Tengur, nuance l’impact inflationniste que pourrait entraîner les mesures budgétaires. La monnaie en circulation est passée de Rs 52 milliards en avril 2023 à Rs 58 milliards lors de la période correspondante de cette année. Avec le nouveau flux d’argent en circulation suivant les diverses mesures annoncées dans le Budget 2024-2025, dit Suttyhudeo Tengur, il y aura certainement une forte poussée vers une inflation vertigineuse dans l’éventualité que le consommateur mauricien ne sache pas gérer son budget familial. « Cela a été le cas depuis l’annonce du Premier ministre concernant l’augmentation de la pension de vieillesse en mars dernier », avance-t-il. 

Les répercussions d’une inflation importée seraient le résultat de l’accroissement des coûts du fret et de la fluctuation de la roupie par rapport au dollar. Suttyhudeo Tengur concède que ce sont les consommateurs qui en font les frais. D’où la nécessité selon Shaktee Ramtohul, consultant en affaires, d’avoir une analyse nominale et réelle concernant la dépréciation de la roupie durant les dernières années eu égard des chiffres avancés tant au niveau du Produit Intérieur Brut (PIB) et de la dette publique. 

Les dangers

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Suttyhudeo Tengur, président de l’APEC.

Dans cette quête d’améliorer le pouvoir d’achat de ceux qui sont au bas de l’échelle, le risque d’une flambée des prix est donc réel. Un économiste se dit étonné que le ministre des Finances ne fasse pas part du coût total des mesures sociales. « Une grosse partie de l’argent qui sera accordé aux retraités et aux plus vulnérables ira dans nos importations », explique l’économiste. Selon les données de Statistics Mauritius, les importations totales pour le premier trimestre 2024 se sont élevées à Rs 69, 84 milliards, soit une hausse de 6,4 % par rapport au trimestre correspondant de 2023. « Comment va-t-on importer si nous n’avons pas suffisamment de devises ? La hausse de la pension de retraite, les différentes allocations et l’augmentation du revenu minimum garanti vont provoquer une augmentation de nos importations. C’est une détérioration de notre roupie qui risque d’en résulter », s’inquiète l’économiste. Par conséquent, cela pourrait contraindre la Banque de Maurice à intervenir sur le marché intérieur des changes en puisant dans ses réserves ou en empruntant davantage.  

Par ailleurs, selon le président de l’APEC, la dangerosité d’un porte-monnaie mieux loti est que le surplus d’argent influence une frénésie d’achats. Suttyhudeo Tengur précise que ce sera le consommateur le plus gros perdant. « J’espère que les autorités gouvernementales entreprennent une étude sérieuse des produits à l’importation en commençant par leurs prix dans les pays d’origine, les coûts du fret maritime, les frais de stockage à Maurice, les frais administratifs des importateurs, et aussi veillent à ce que le mark-up de 20% soit scrupuleusement respecté », appuie-t-il. Or, Shaktee Ramtohul estime que dans le moyen terme, l’inflation pourrait engloutir les différentes allocations annoncées dans le Budget. 

Cédric Béguier abonde dans le même sens. Les dangers d’un Budget inflationniste incluent, dit-il, une inflation élevée qui réduira le pouvoir d’achat des consommateurs, particulièrement ceux à revenu fixe. « L’inflation peut créer une incertitude économique, décourageant l’investissement à long terme », poursuit-il. Par ailleurs, il avance que pour contrer l’inflation, la Banque centrale pourrait maintenir sa politique d’augmenter les taux d’intérêt, ce qui pourrait freiner la croissance économique. « L’inflation peut rendre le service de la dette publique plus coûteux, affectant les finances publiques à long terme », fait ressortir le Head of Investment Strategy. 

Recommandations pour un contrôle de l’inflation

Face aux risques inflationnistes, Renganaden Padayachy a affirmé que des actions et des mesures seront prises. Celles-ci dans l’optique de ne pas dépasser le barème fixé pour l’inflation qui est de 2 % à 5 %. Comment concrètement contrer les pressions inflationnistes ? Swadicq Nathay est d’avis que le pays aurait besoin d’une politique monétaire efficace pour absorber l’excès de liquidités qui pourrait survenir. « La Banque de Maurice aura un rôle important dans sa politique monétaire et devra émettre des instruments financiers au public », fait-il ressortir. Ce dernier affirme qu’il faudra encourager l’épargne et réduire la consommation. 

Pour sa part, Suttyhudeo Tengur avance que si l’État prend des mesures pour contenir les pressions inflationnistes et maintenir le taux d’inflation dans la fourchette de 3 à 5%, ce sera la moitié de la bataille gagnée. L’autre moitié, dit-il, relève des consommateurs. Dans ce contexte, il propose quelques conseils aux responsables de famille. « Faites une liste de vos besoins prioritaires, en commençant par les denrées alimentaires et ensuite les autres paiements tels que les factures d’électricité, d’eau ou de téléphone, et en cas de maladie, faites provision pour les traitements appropriés », lance-t-il. Par ailleurs, il demande aux consommateurs d’acheter de manière judicieuse et agréable pour leurs plaisirs personnels. « Ne vous laissez pas entraîner dans la spirale d’achats impulsifs juste parce que votre voisin fait mieux que vous », poursuit-il. En fin de compte, il demande aux consommateurs de faire des efforts pour économiser. Plusieurs conditions devraient être réunies pour limiter l’impact de l’inflation. Si le consommateur dépense son argent judicieusement en tenant compte de ses priorités familiales, l’inflation sera sous contrôle, indique-t-il. « Et si, comme le ministre des Finances l’a promis, l’État prend des mesures adéquates et appropriées pour contrôler l’explosion des prix », soutient-il. Néanmoins, Suttyhudeo Tengur est d’avis que, comme c’est généralement le cas dans tous les pays du monde, plus il y a de l’argent en circulation, ce qui permet aux consommateurs de faire des achats plus extravagants, plus la tendance inflationniste persistera.

De son côté, Cédric Béguier estime que la Banque centrale doit surveiller de près les indicateurs économiques et ajuster les taux d’intérêt de manière proactive pour prévenir une surchauffe économique. « Par ailleurs, il faut assurer une coordination étroite entre les politiques budgétaires et monétaires pour éviter des politiques contradictoires qui pourraient déstabiliser la monnaie », suggère-t-il. Ce dernier parle également de diversification de l’économie. « Une autre façon serait d’investir dans la technologie et l’innovation pour augmenter la productivité sans accroître les coûts », soutient-il. Cédric Béguier pense qu’il y a un besoin de prioriser les dépenses publiques et éviter les dépenses superflues pour maintenir une discipline budgétaire stricte. Il recommande aussi des programmes de formation et d’éducation. « Il faut renforcer les compétences de la main-d’œuvre pour augmenter l’offre de travail qualifié, ce qui peut aider à contenir les pressions salariales inflationnistes », lance-t-il.

Le ministre des Finances a déclaré que le contrôle des prix sera d’actualité pour éviter toute hausse artificielle. Selon un économiste, ce ne serait pas la meilleure solution. Pour cause, dit-il, cela risque d’entraîner la pénurie de certains produits. « Ce serait plus approprié de contrecarrer la dévaluation de la roupie. Il faudrait également stimuler rapidement nos exportations. Or, il n’y a rien dans le Budget dans ce sens ni pour booster le tourisme, deux porteurs de devises à Maurice », déplore l’économiste.

 

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Questions à…Manisha Dookhony, économiste : «Les mesures sociales vont à l’encontre du travail effectué par rapport à la politique monétaire»

manishaDans quelle mesure le Budget 2024-25 est-il inflationniste ?
Les différentes allocations de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) et l’augmentation de la pension de retraite sont de l’argent supplémentaire qui sera mis en circulation et dans les mains des consommateurs. Cela peut créer une situation de too much money chasing too few goods, qui n’est autre que la définition de l’inflation. Cependant, cela entraînera un impact moindre de la consommation sur le Produit Intérieur Brut (PIB) par rapport aux autres éléments. L’éventuel réalignement des salaires va toutefois provoquer une poussée inflationniste.  
 
Quels sont les dangers d’un Budget inflationniste ?
On essaie aujourd’hui de limiter le problème par rapport à l’inflation. Un Budget inflationniste va coûter plus cher que ce qu’on tente de mettre en place. Les coûts intrinsèques seront revus à la hausse. Ajoutés à cela, les autres éléments liés à la consommation et les prix vont grimper. Ce sera conséquent.

Comment le gouvernement pourrait-il maintenir l’inflation entre 3 et 5 % ?
Il faudra mettre tout un système en place pour éponger l’excès de liquidité. Cela inclut la promotion des dépôts, spécialement pour les personnes âgées, par exemple. D’autres moyens peuvent aussi être mis en place. Les taux d’intérêts ont été utilisés de façon assez importante pour éponger l’excès de liquidité depuis un certain temps.    

Finalement, est-ce que les mesures sociales du Budget 2024-25 ne vont pas à l’encontre du nouveau cadre de politique monétaire de la Banque centrale destiné à combattre l’inflation ?
Le Budget est la politique fiscale et le mandat de la Banque centrale concerne la politique monétaire. Cette dernière doit se faire de façon indépendante par rapport à la politique fiscale. Je pense qu’effectivement, les mesures sociales vont carrément à l’encontre du travail qui a été fait jusqu’ici par rapport à la politique monétaire. Cependant, le travail du ministre des Finances est d’essayer de booster l’économie comme il peut. Le rôle de la Banque centrale est de tenter de diminuer l’inflation. Chacun est donc dans son rôle. Les prévisions concernant le financement du Budget montrent que la mise en place de bonds est, par exemple, prévue.

Business Mauritius : « La productivité et la création de valeur doivent être continuellement prioritaires »

Le Budget 2024-25 prévoit une croissance économique continue avec un taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) de 6,5 %, après les croissances de 8 % et 7 % du PIB en 2022 et 2023 respectivement. C’est ce qu’indique Business Mauritius dans son « Budget Highlights » publié mardi. 

Parmi les mesures budgétaires clés, la communauté des affaires est encouragée par celles visant à stimuler la croissance économique, notamment en améliorant la facilité de faire des affaires, en soutenant la base industrielle et l’agro-industrie ainsi qu’en mettant en place des fondations pour les secteurs émergents tels que la biotechnologie, la Fintech et l’IA. 

« Nous notons des mesures proposées pour offrir une certaine flexibilité dans les lois du travail, bien que la productivité et la création de valeur doivent être continuellement prioritaires. Il y a également un effort national vers des initiatives liées au climat, en particulier sur l’adaptation au climat, l’économie circulaire, la gestion de l’eau et les énergies renouvelables », fait ressortir Business Mauritius.

  • LDMG

 

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