Débat

Boursiers de l’État : doivent-ils revenir?

Liste des lauréats cuvée 2017

La liste des 45 boursiers de l’État a été connue le lundi 5 février dernier… Beaucoup d’entre eux iront étudier à l’étranger. Comptent-ils revenir après leurs études ? Le Premier ministre le leur a demandé lors de la conférence de presse annonçant les noms des heureux Lauréats… Le feront-ils pour autant ? Seul le temps nous le dira…

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«J’irai étudier à l’étranger, mais je compte revenir à Maurice pour servir mon pays. » Juché sur les épaules de ses camarades, Heshant Bissessur vient tout juste d'entendre son nom à la radio. Il est boursier de la cuvée 2017 dans la filière Économie. Pour lui, il n'y a pas de doute, il reviendra à Maurice après ses études à l'étranger. Idem pour Ryan Bassava Reddi, un autre boursier, qui est également sûr de revenir pour se mettre au service de son pays.

Liciano Azor.

Pour Luciano Azor, en revanche, c’est une question qui mérite réflexion et sur laquelle on ne peut pas parler trop vite. « Dans un premier temps, je verrai quelles seront les opportunités qui s’offriront à moi afin d’être bien préparé et mieux équipé pour affronter le monde du travail. Je ne peux pas dire que je reviendrai pour ne pas revenir après. »

Zubeida Dahoo, pour sa part, compte étudier et travailler à l’étranger dans un premier temps et revenir à Maurice uniquement si elle arrive à trouver sa place sur le marché du travail mauricien. « Maurice doit diversifier son économie et aller vers des secteurs qui n’existent pas ici comme l’astrophysique et l’aéronautique. C’est ma demande au gouvernement. Le système éducatif doit également être revu pour renouveler nos ressources humaines et apporter de l’innovation. »  Certains boursiers de la cuvée 2017 que nous avons interrogés abondent dans le même sens. Revenir pour servir le pays reste une de leurs priorités. Sont-ils sérieux ? Ont-ils parlé trop vite ou est-ce tout simplement une décision du cœur ? Le temps nous le dira...

Zubeida Dahoo.

L'État débourse quelque Rs 235 millions pour les bénéficiaires des bourses chaque année. Mais malgré tout, certains préfèrent s'installer dans les pays où ils ont étudié, à l’instar de Ylan Lamour. « Un lauréat doit revenir s’il pense que c’est le bon moment, soit après ses études ou après quelques années passées dans le pays où il a étudié. Je suis rentré à Maurice après mes études pendant neuf mois mais j’ai ensuite eu une opportunité à Londres et je suis reparti. Un lauréat doit revenir mais uniquement s’il est convaincu que c’est le bon moment. »

Yashvin Hassamal, lui, a respecté son engagement. A-t-il pris la meilleure décision ?

Son cœur balance, mais il finira par concéder que l'on peut devenir un professionnel remarquable, ici ou ailleurs. « Je peux comprendre pourquoi bon nombre de boursiers ne reviennent pas. Mais que nous soyons à Maurice ou à l’étranger, je suis d’avis que nous devons donner le meilleur de nous-mêmes. »

Il revient sur les raisons qui l’ont poussées à rentrer au pays. « À la base, c’est le lien familial qui m’a poussé à revenir. Il faut aussi savoir que notre pays reste notre patrie. De plus, nous avons signé un contrat qui nous engage à revenir. Ce sont ces raisons qui m’ont encouragé à revenir après mes études. »

Ont-ils le devoir de revenir ? Sont-ils liés à leur patrie de force ? Kugan Parapen est d’avis que oui. « Les études tertiaires d’un lauréat sont payées par les contribuables bien qu’il ait mérité cette bourse de par ses compétences académiques. Il a le devoir de revenir. Peut-être pas juste après ses études, mais après avoir gagné en expérience dans ce pays étranger où il a étudié. »

Toutefois, cet ancien lauréat, aujourd’hui jeune professionnel et membre de la plateforme Rezistans ek Alternativ, avance que Maurice doit être un pays qui accueille ses anciens lauréats à bras ouverts et leur offre des opportunités à la hauteur de leurs espérances, pour renverser la tendance du phénomène de fuite des cerveaux, Maurice étant le 5e pays le plus touché au monde. « Maurice devrait motiver tous ceux qui sont allés étudier à l’étranger, et pas seulement les lauréats, à revenir à Maurice. Nous avons besoin de leurs compétences. Ces personnes doivent avoir le sentiment que Maurice a besoin d’eux. Cela les motivera à revenir. »


Feizal Jeerooburkhan, pédagogue : «Nous ne pouvons perpétuer un système qui n’est plus adapté»

Ils sont une quarantaine chaque année à obtenir une bourse de l’État. Il faut savoir que de 1995 à 2007, soit sur une période de 12 ans, seuls 18% sont rentrés au pays. C’est la dernière étude réalisée à ce jour.   

Pour le pédagogue Feizal Jeerooburkhan, de nombreux facteurs peuvent expliquer ce phénomène, mais c’est souvent le salaire qui motive les lauréats à ne pas revenir. « Les salaires dans ces pays étrangers sont nettement meilleurs que ce que les boursiers touchent à Maurice. Déjà, ils se retrouvent dans des pays développés avec un salaire plus intéressant et un environnement de travail favorable. De plus, avec la méritocratie qui prime, ces jeunes peuvent espérer monter en grade rapidement. » Feizal Jeerooburkhan avance également que la mobilité est un facteur encourageant pour ces étudiants qui sont à l’étranger. Ils peuvent aspirer à bouger d’institution en institution et même travailler pour des institutions internationales. « À Maurice, ils n’auront pas les mêmes opportunités. Déjà, il faut revoir tout l’aspect de méritocratie ici. Quand ils balancent les pour et les contre, ils ne reviennent pas. »

Selon lui, le taux de 82 % des lauréats qui ne retournent pas au pays est alarmant. « Chaque lauréat coûte entre Rs 7 et 10 millions à l’État, de l’école primaire à l’université. Cet argent investi est perdu. Maurice doit faire face à de nouveaux défis dans un futur proche, comme la globalisation et le réchauffement climatique, entre autres. Nous avons besoin de ressources humaines de première qualité pour relever ces défis. »

Feizal Jeerooburkhan est d’avis que le système de lauréat doit lui-même être revu. « Nous avons commencé avec ce système à la fin des année 1800, durant la colonisation anglaise. Nous ne pouvons pas perpétuer un système qui n’est plus adapté. Il ne nous sert à rien. Pour l’économie du pays, c’est une perte. Nous devons régler cela. »
Et pour le faire, le pédagogue propose que l’État instaure des conditions plus strictes et qu’en même temps, il trouve les moyens de motiver les lauréats à rentrer au pays. « Il faut que les jeunes soient aidés par des conseillers d’orientation afin qu’ils puissent trouver une filière que l’on retrouve sur le marché du travail mauricien. Tout cela doit être réglé afin qu’à son retour, le lauréat se sente à l’aise. »


Surendra Bissoondoyal, président de la TEC : «Le non-retour de nos lauréats n’est pas qu’une question de salaire»

Pour Surendra Bissoondoyal, président du conseil d’administration de la Tertiary Education Commission (TEC), le non-retour de nos lauréats n’est pas qu’une question de salaire. « Quand ils font trois ou quatre ans dans un pays, ils s’habituent à cet environnement. De plus, ils ne veulent pas rentrer de peur de se retrouver au chômage. Certains d’entre eux rentrent à Maurice et restent au chômage pendant des mois. Quand un lauréat va étudier, il faut qu’on lui offre un emploi à son retour. L’État devrait veiller à cela. S’il n’a pas d’emploi, il va repartir. On pourrait peut-être lui donner un contrat de travail de deux ans. S’il n’aime pas, il peut alors repartir. »

Pour Surendra Bissoondoyal, le marché du travail à Maurice doit évoluer. « Nous célébrons nos 50 ans d’indépendance cette année. Notre économie fonctionnait grâce à la canne à sucre au départ, après il y a eu le tourisme, le textile. Ça évolue. Les lauréats qui vont étudier évoluent aussi. Les débouchés sur le marché du travail évoluent dans ces pays où ils vont étudier. Il faut faire en sorte qu’ils reviennent, même si c’est pour deux ou trois ans. S’ils aiment leur travail, ils peuvent être motivés à rester. Par rapport au coût de la vie, il faut s’assurer qu’il puisse vivre. »

À propos du déclin du niveau en HSC, notre interlocuteur est d’avis que notre système éducatif est resté statique pendant des années. « Tous les élèves ne vont pas jusqu’au HSC. Il faut prendre leurs envies en considération et les laisser faire la filière qu’ils veulent. On ne leur donne pas assez la possibilité de suivre des filières qui ne sont pas académiques. Il faudrait y avoir plus de filières polytechniques. »


Thierry Goder de la firme Alentaris : «Le marché peut aspirer tous ces jeunes»

Rentrer au pays oui, mais le marché du travail mauricien peut-il aspirer tous ces lauréats ? Thierry Goder, de la firme Alentaris, assure que oui. 

« Le marché du travail peut aspirer tous ces lauréats qui sont partis étudier à l’étranger. Beaucoup sont dans des filières très connues et très diversifiées à Maurice. Certains font la médecine, d’autres font tout ce qui touche à la loi. Il y a aussi des experts financiers. De plus, ceux qui sont dans des domaines plus avant-gardistes comme la recherche ou le biomédical peuvent eux aussi trouver un job à Maurice aujourd’hui. Il existe pas mal de sociétés qui opèrent dans ces domaines. Par contre, ceux qui vont dans des domaines très poussés, que ce soit la science ou les recherches, peuvent ne pas trouver chaussure à leur pied dans l’immédiat. » Il soutient que leur retour aide au développement du pays mais il faudrait toutefois leur laisser la possibilité de gagner en expérience à l’étranger.

 

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