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« Bor Larivier » - À la rencontre des lavandières

Toutes les ménagères confirmeront qu’un vêtement lavé à la main, c’est autre chose qu’un linge lavé à la machine. Mais quid de ceux lavés à la rivière ? Retour sur une tradition qui s’érode. Une promenade dans le sud de l’île nous fait traverser des villages qui ont gardé leur cachet. Comme Batimarais, où la vie s’écoule lentement et tranquillement. Ce village nous offre des scènes de vie depuis longtemps disparues des autres endroits. De ce lieu, on ne retient visuellement que le pont et ses lavandières. Il est 9 heures. L’heure de la lessive a sonné. La rivière Batimarais, qui traverse le village portant le même nom, et celle de Britannia sont les points de rencontre des femmes de ces deux villages. Au lavoir, il y a toujours cinq à six femmes. Chacune a apporté son lot de linge dans des cuvettes et des seaux. Une fois lavé et étalé au soleil sur les arbustes avoisinants, il séchera rapidement. Elles frottent et battent le linge sur les rochers pour le nettoyer.  En même temps, elles échangent avec leurs voisines les nouvelles du village. Les femmes font de grands mouvements de bras pour rincer à l’eau courante le linge encore imprégné de savon. Pour Betsi Edibrasse, 29 ans, faire la lessive au bord de la rivière est une tradition qu’elle perpétue depuis l’enfance. « J’accompagnais ma mère au bord de la rivière du village pour faire la lessive. Lorsqu’elle s’affairait à sa tâche, moi, je nageais. Après mon mariage, il y a douze ans, j’ai continué à descendre à la rivière », raconte cette mère de quatre enfants. « Je ne viens pas tous les jours, juste le week-end, car je travaille comme machiniste dans une usine de textile. Mo pa kontan lav linz kot mwa akoz tou cout bizin rempli delo dan kivet e seo pou lave e rinse. Tandi ki isi, nou gagn gro delo. Pou lave e rinse, li pli fasil pou nou », dit Betsi Edibrasse. Peu importe le temps, les lavandières de la région sont à la tâche. Betsi Edibrasse utilise deux cuvettes pour porter ses vêtements à la rivière située non loin de son domicile. « Mes deux filles m’accompagnent souvent. Pour elles, c’est la baignade et un moment de détente. E pou mwa li enn lavantaz. À la maison, elles n’auront pas à prendre de douche. Quand il y a beaucoup de vêtements, mes fils me donnent un coup de main pour les transporter », poursuit la lavandière. Pour elle, être entourée par la nature est un plaisir inexprimable. « J’aime bien cet endroit calme et les grands arbres nous offrent un abri contre les rayons du soleil et la pluie », dit-elle.

« Comme une famille »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19342","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-33269","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"300","height":"783","alt":"Bor Larivier"}}]]Tout comme Betsi Edibrasse, Mala Nandoo, 53 ans, vient souvent faire la lessive en ce lieu. Munie d’un détergent et de savon, cette habitante de la localité fait la lessive. Le visage marqué par le temps et le sourire édenté, elle confie que c’est un lieu où elle s’est fait des amies. « Je fais la lessive ici depuis mon enfance. J’habite avec ma sœur. Elle travaille et moi, je viens à la rivière pour faire la lessive. Je rencontre des lavandières qui sont maintenant mes amies. En outre, des fois, nous faisons face à des coupures d’eau. C’est pour cette raison qu’on préfère venir à la rivière », souligne Mala Nandoo. « On est comme une famille. On ne se querelle pas pour les lavoirs. On vit comme des sœurs », explique la quinquagénaire. « Bien que ce soit un endroit perdu, ici, c’est calme. On est en union avec la nature. Ici, la nuisance sonore, ce n’est pas la musique à fond la caisse, mais des coqs qui chantent le matin, des crapauds qui coassent le soir et des oiseaux qu’on entend toute la journée », ajoute Mala Nandoo. De l’autre côté de la rivière, Michèle Modeste, 24 ans, est en sueurs. Les pieds dans l’eau glacée et le dos courbé, rien ne perturbe son dur labeur. Michèle Modeste frotte, brosse et décrasse les vêtements de sa famille dans cette rivière sous le pont. Dans son t-shirt troué et sa jupe trempée, cette mère de trois enfants se hâte d’en finir avec la corvée de lessive. Qu’est-ce qui la pousse à quitter son cadre familial pour venir s’éreinter à la rivière. « Delo koupe souvan e kont vinn bokou », confie-t-elle. Toutes les formes d’économies sont bonnes à prendre pour cette mère qui a trois enfants en bas âge et dont l’époux est maçon. « J’aime faire la lessive à la rivière. Isi li pa osi fatigan kuma lakaz. Avek sa gro delo la, ou gagn pou lave e rinse enn sel kou », dit Michèle Modeste. Elle n’emmène pas ses enfants, qui restent avec leur grand-mère paternelle.

Lieu de rencontre

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"19999","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-33270","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Bor Larivier"}}]]Pour Michèle Modeste, la lessive au bord de la rivière est l’occasion d’échanger des nouvelles, sinon des ragots. « La rivière est publique. Pour moi, cet endroit est un lieu de communication, de rencontre et de convivialité », avance la jeune mère. « J’aime être avec des amies, partager des connaissances, côtoyer d’autres femmes. De nos jours, nous ne sommes plus en sécurité. Nou bizin res korek ar bann vwazin. Parski nou rest tou sel. Demin nou dan ene problem, nou kone ki kapav vinn ed nou », estime-t-elle. Au-dessus de la rivière, sur le pont, les véhicules roulent à vive allure. Le virage sur cette partie de la route est réputé dangereux. Toutefois, l’atmosphère unique qui s’y dégage est fort appréciée et le village y dévoile son authenticité. Nous quittons Batimarais pour Bel-Air-Rivière-Sèche, où nous rencontrons une autre lavandière. Rajshree Lalljee bat son linge de toutes ses forces sur un rocher. Une image du passé qui fait bien partie du présent de ceux qui habitent la région. Durant des décennies et des générations, la rivière a été la machine à laver de nombreuses femmes au foyer. Rajshree Lalljee, 40 ans, n’a pas le temps de parler. Nous prenons place sur la berge en évitant soigneusement sa ros lave. Nous apercevons de minuscules poissons qui vont et viennent entre les pieds de cette mère de famille. Méthodiquement, elle jongle avec le bout de savon bleu, la bouteille de lessive, la cuvette et la brosse. Elle fait abstraction des bouteilles de boissons gazeuses, des bouteilles cassées et des boîtes de conserve qui polluent le cours d’eau. C’est pour économiser l’eau qu’elle vient à la rivière seule ou accompagnée de ses proches. Les yeux fatigués, un peu essoufflée d’avoir frotté le linge, Rajshree ne cache rien de sa misère. Elle loge dans une maisonnette de fortune, depuis une quinzaine d’années. À côté d’elle, son fils et un chien jouent à qui sera le plus mouillé. Le chien est plus qu’un compagnon, c’est aussi une garantie de sécurité, dans un lieu où il y en a peu. « Delo la fer tapaz ou pa tande si dimoun vini », lâche-t-elle. Après la lessive, Rajshree doit grimper, pieds nus, les quelques marches qui mènent à sa maison. « La rivière est source de vie. Privée d’eau courante, je parviens quand même à faire mes tâches ménagères », fait-elle observer.
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